mardi 31 mars 2015

Où vais-je ?

31 mars 2015


Il est 21h00 et pour une fois je ne suis pas au lit, entrain de m'endormir. Pourtant la fatigue est là, latente, mais j'ai préféré ressortir ce soir plutôt que de me coucher si tôt, entraînant alors systématiquement mon premier réveil vers 2h00 du matin. Oui, si cela était possible, une fois couché tout à l'heure j'aimerai dormir d'une traite jusqu'à six ou sept heure du matin, sans entre-sommeil, sans réveil toutes les deux heures. Je suis sortis parce que j'étais aussi un peu triste. Effectivement je suis rentré à la maison vers 19h00 afin d'être un peu en compagnie de Cynthia. Mais le simple fait de me retrouver entre les murs du salon m'a mis comme un coup de barre, me fatiguant à l'avance de je ne sais quoi. D'un autre côté Cynthia était occupé à ses cours, puis à se faire à manger. C'est donc vers 20h30 que nous nous sommes enfin retrouvé côte à côte, nous embrassant enfin. Ma fille m'a également appelé vers 19h30 et lorsque je lui ai fait comprendre que j'étais fatigué, que je ne resterai pas longtemps au téléphone, j'ai senti le ton de sa voix se fléchir, entendu sa déception et je regrette d'avoir ainsi écourté notre conversation. Bref, ce soir je me suis senti seul, c'est le cas de le dire et ce n'est la faute de personne, ce sont les circonstances qui veulent ça.

Aujourd'hui Cynthia a donc filmé les cours qu'elle donne à ses deux classes de seconde. J'ai tout transféré sur mon ordinateur et j'ai regardé quelques petits passages. Étant trop fatigué pour me concentrer longuement sur ces deux heures de cours, je regarderai tout cela demain, tranquillement et, j'en suis sûr, avec plaisir. Déjà de l'apercevoir derrière son bureau de prof, de voir qu'une bonne partie de ses élèves étaient plus grands qu'elle en taille, j'ai trouvé tout cela mignon. Les cours qu'elle a filmé portent sur l'initiation à la poésie. Je suis donc curieux de voir, d'entendre comment elle va leur « vendre » la poésie, manière d'écrire qui est en général peu apprécié des lycéens et rarement lu par les adultes. De même, je suis curieux de voir les réactions des élèves.

Je viens de relire quelques textes que j'ai publié sur mon blog, dont celui consacré à Michel. A la relecture, ce texte m'a fait froid dans le dos alors que, je le sais, au moment où je l'ai écrit c'est surtout en colère contre moi-même que j'étais. Que dire encore de cette histoire ? Mais comment l'éviter également ? Il m'est impossible de faire table rase, oui, impossible. Même si je ne culpabilise plus de la même façon qu'à l'époque de cette sinistre histoire, je sais que je culpabilise encore, mais je ne comprend pas comment, de quoi exactement et, du coup, je ne sais où chercher la solution, quelle direction prendre pour faire la paix avec moi-même face à cet événement. Oui, c'est une cicatrice qui n'a pas refermé toutes ses plaies, du sang coule encore, mais je ne sais par quel orifice. Depuis les années 2000, années où j'ai commencé à sortir la tête hors de l'eau face à ce drame, jamais plus je ne m'étais attardé sur cette période de ma vie. Non, c'est seulement depuis que j'ai mon cancer que je m'y replonge. Est-ce là pour moi une façon d'accepter ma mort peut-être prochaine ? Un rendu pour un rendu ? Est-ce là une façon plus supportable d'accepter ma maladie mortelle, tout comme j'ai été mortel pour Michel ? Est-ce là une façon de justifier ma fin à court ou moyen terme ? Est-ce parce que tout cela m'est insupportable, tant la gestion de la mort de Michel que la gestion de ma maladie, ce qu'elle signifie, que je me remet à fumer, histoire d'en finir une bonne fois pour toute et rapidement avec la gestion de moi-même, gestion qui me fatigue, m'épuise, me vide ? Il me semble être sur la voie des bonnes réponses, mais après les mots il faut les actes, des actes cohérents tant qu'à faire. Soit je prend le parti de me détruire et la logique veut que j’arrête de me soigner, soit je prend le parti de faire la paix avec moi-même et, là, tous les soins prennent alors un sens.

Radiothérapie

31 mars 2015


A toi, l'ange de mes nuits, l'ange de mes jours, à laquelle je m'accroche comme d'autres se raccrochent à la vie, c'est à toi et toi seule que je pense en cet instant. Pendant que tu te débats dans ton quotidien, cherchant à remplir le temps entre deux leçons, entre deux cours ou dans l'attente d'un cours à donner, je sens le vent souffler sur mon visage, agréable sensation, un vent qui s'agite, bien plus puissant qu'une simple brise, rafales qui respirent en faisant s'envoler cheveux et bonnets. Aujourd'hui n'est pas un jour comme un autre, c'est ainsi que je le ressens et ne me demande pas pourquoi, mais c'est bien ainsi que je le vis. Est-ce parce que nous sommes le dernier jour du mois, un mois de plus qui est passé comme filent les hirondelles ? Est-ce parce que Avril sera le mois de ma rencontre avec ma fille ? Est-ce parce qu'aujourd'hui c'est l'anniversaire de ma nièce ? Est-ce parce que le temps change, se faisant plus doux, avec un peu plus de soleil ? Est-ce parce que ce matin, vers 5h00, un rêve où je mourrai m'a réveillé brutalement ? Dans ce dernier, je me noyais et mourrait donc de suffocation, ce qui me renvoi encore au poumon, au souffle, au cigare que je fume, au cancer. Aujourd'hui est-il particulier parce que demain nous serons au mois d'avril et que le 7, dans une semaine, je rencontrerai à nouveau mon radiothérapeute ? D'ailleurs, je me demande à quoi va servir cet entretien puisque je n'ai fais aucun examen depuis février, moment de mes séances de radiothérapie. Cela me fait penser à mon crâne que, certes, j'ai complètement tondu, mais je m'aperçois que mes cheveux repoussent nettement moins vite dans la zone qui a été irradiée. Si dans la brasserie où je suis installé il y avait la wifi, j'irai de suite sur internet afin d'en savoir plus sur les effets secondaires de la radiothérapie, des rayons X. Enfin, est-ce que ce jour est particulier parce que je passerai la moitié du mois prochain à Paris, une période longue pour moi à présent, car cela fait au moins quatre ans que je n'y aurait pas passé autant de temps. Oui, juste le bruit constant parisien me fatigue, je ne parle même pas de son mouvement que je ne pourrai ignorer car, comme à Rennes ou quelque endroit où j'habite, je ne peux rester enfermer toute une journée entre des murs. Donc je sortirai chaque jours, c'est une évidence inévitable et, que cela me plaise ou non, je devrai faire avec le mouvement parisien, le rythme de ses habitants, la cadence de ses voitures, de ses taxis, de ses bus ou de son métro. Même si je ne pense pas quitter souvent le quartier où habite ma mère, la Porte de Saint-Cloud, là-bas le mouvement est déjà cinq fois plus dense que dans le centre de Rennes. Pourtant, hormis le parc des princes et Roland Garros, ce n'est pas un quartier fait pour sortir ou y flâner. Effectivement, un peu à l'image de tout l'arrondissement, c'est surtout un quartier résidentiel avec quelques commerces et beaucoup de brasseries.

Étrange coïncidence, mais tout à l'heure je parlais de wifi et de consultation sur internet, et il s'avère que je peux me connecter en wifi au café où je suis. J'ai donc été cherché des informations sur les effets secondaires de la radiothérapie au cerveau et voici ce que l'on en dit : « Il est assez fréquent d'observer dans les semaines ou les premiers mois qui suivent l'irradiation une certaine aggravation de la gêne neurologique, en particulier une somnolence, un état dépressif, une irritabilité, une perte d'appétit ou des nausées, ainsi qu'une difficulté à fixer son attention et à mémoriser. » Ma foi, cela correspond bien à ce qui m'arrive. Même si je ne me sens pas dans un état dépressif à proprement parlé, il est vrai que je suis souvent d'humeur nostalgique empreinte d'une certaine forme de lassitude. Cependant, cela ne me dérange pas puisque je m'occupe en les décrivant, les peignant, ce qui m'aide à supporter ces divers état d'âme. Oui, l'écriture est une arme qui peut se révéler redoutable contre toutes formes d'états dépressifs. C'est une psychothérapie avec soi-même, dont l'interlocuteur est soi-même et, même si c'est plus long qu'avec un interlocuteur tiers, on parvient au fil des mots que l'on pose à dénouer tout le chambardement qui peut secouer son cœur ou son esprit. Oui, je crois en la vertu de l'écriture, de l'écrit, des mots qui sortent du plus profond de nous et peu importe le sujet traité, comme je crois en la vertu de la parole dès lors que nous essayons de sortir verbalement nos maux, nos malaises ou nos doutes. Le dialogue, qu'il soit avec soi-même ou avec un tiers, est toujours salutaire, c'est là ma conviction.

En faisant mes recherches sur les effets secondaires de la radiothérapie du cerveau, je suis tombé sur une vidéo où une psychologue parlait de son expérience auprès des malades concernés. A plusieurs reprises elle a fait allusion à « la perte d'élan vital » que beaucoup éprouvait suite à leurs séances. Là-aussi je me retrouve dans cette définition. Peut-être est-ce pour cela que l'idée de me battre, de combattre mon cancer ne me parle pas. Comme je l'ai déjà écrit  mainte reprise, je laisse plutôt les choses aller, les prends comme elles viennent, ne cherchant pas le moins du monde à contrôler quoi que ce soit, acceptant d'être complètement tributaire de l'évolution de mon cancer, des soins que l'on me prescrit et des effets secondaires qui se manifestent en conséquences. Mais de mieux connaître, mieux comprendre ma maladie et ses traitements ne me requinque pas pour autant, ne me donne pas plus ou pas moins le moral. Je prends ces informations comme je lirai un livre de grammaire, sans enthousiasme, sans être spécialement content de ce que j’apprends, découvre, comprend. A contrario, cela ne me mine pas le moral non plus, peu importe ce qui est dit, c'est comme si j'étais en mode électroencéphalogramme plat. Oui, depuis août dernier, date où j'ai appris qu'une seconde métastase se formait dans mon cerveau, nouvelle qui me mit un coup au moral, j'ai commencé à sombrer dans la perte de mon élan vital, ne croyant plus en une guérison possible, ce que je croyais encore après mon opération du poumon en mai dernier. Enfin, lorsque j'ai appris en février qu'une troisième métastase se formait dans mon cerveau, là encore j'ai perdu un peu plus de mon élan vital.

Mais qu'est-ce que cet élan vital exactement ? Dans mon esprit, il est l'instinct de survie, celui qui nous pousse, nous incite à tout tenter pour rester en vie. La perte de cet élan vital, c'est ne plus chercher à tout tenter pour vivre, c'est même se préparer psychologiquement, psychiquement, à notre fin, c'est un peu comme la préparer. Dans mon cas, pour l'instant, cela se fait tranquillement, sans crise d'angoisse, sans stress et, lentement mais sûrement, je me fais à l'idée de ma mort prochaine, que celle-ci survienne l'année prochaine en dans deux ou trois ans. Oui, je ne me vois pas au-delà du moyen terme, cinq ans au maximum, car d'ici-là, je le pressens, il se passera encore bien des choses dans l'évolution de ma maladie ou de ses effets secondaires.

Le café où je suis est celui des jeunes, celui qui est situé dans le quartier Saint-Anne. Je m'attarde sur leur vêtements, qu'ils soient celui des garçons ou des filles, sur leur manière de s'asseoir, de se comporter les uns envers les autres, et que vois-je si ce n'est le monde de la séduction ? Cela me fait sourire car moi aussi j'ai baigné dans ce monde, surtout à Paris, mais également à Saint-Étienne. Ce monde n'est plus le mien, mais alors plus du tout le mien, depuis l'annonce de mon cancer. C'est comme s'il était devenu un monde superflu, surfait, où rien n'est vrai, où tout se joue sur un fil, celui de parvenir à séduire ou non, à plaire ou non, à amener l'autre à s'intéresser à nous ou pas. Oui, le monde de la séduction est le monde des quêtes et, ce, de l'enfance jusqu'à un certain âge, âge que je ne saurai définir, un monde de quêtes qui prend immédiatement fin dès lors que nous sommes confrontés à la mort, qu'il s'agisse de la nôtre ou de celle d'un très proche. Oui, il n'est que face à la mort, dans cet état d'esprit, que nous ne cherchons plus à séduire, que ce mode de relation devient accessoire, inopérant, dont on se dispense sans même s'en rendre compte. D'avoir quitté ce monde, et donc tous ceux et celles qui y sont encore, est pour moi un soulagement. Effectivement je ne suis plus dans l'attente depuis, dans l'attente de la réaction de l'autre en fonction de ce que je suis, de qui je suis ou de ce que je fais ou non. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas envie de faire plaisir à quelques personnes, mais c'est surtout pour me faire plaisir que je le fais, n'attendant rien de plus qu'un sourire en retour. Je ne donne plus pour être accepté, ne tends plus la main pour que l'on se mette à quatre patte devant moi, comme si j'étais un messie, non, tout cela n'est plus mon monde, mon état d'esprit, ma manière d'envisager mon présent et l'avenir.

Tout à l'heure, alors que je passais devant une boutique de lingerie féminine, elle affichait ses promotions avec comme slogan « faites-vous plaisir ». Du fait du produit vendu, a qui s'agit-il de faire plaisir ? Au partenaire ou à soi-même ? Et de fil en aiguille, je me rappelais de tout ce temps où je voulais me faire plaisir en étant content de moi physiquement, que ce soit avec ou sans vêtements. Cela participait du monde de la séduction dont je parlais précédemment, car en étant satisfait de ma prestance physique, j'avais plus confiance en moi et, en conséquence, en mes capacités de séduction, que cette séduction soit d'ordre physique ou intellectuelle. A présent, cela aussi n'est plus. Je ne me préoccupe plus de mon apparence, ne cherche plus à ce que mes chaussures soient assorties à mon manteau, à savoir si je suis bien coiffé ou non, si ma barbe n'est pas trop longue, etc. Oui, quelque soit l'aspect que je vois de ma personne aujourd'hui, avec ou sans vêtements, il me convient, j'en prend mon partie et ne cherche pas à modifier quoi que ce soit. Là aussi, c'est un peu d'élan vital qui disparaît ou, peut-être plus justement, mon élan vital se concentre à présent sur d'autres aspects de la vie, des aspects que je juge plus importants, plus sensés, plus sage. Par contre, en écrivant mon autobiographie, en sachant tout ce qu'elle contient, en sachant qui était l'être que j'ai tenté de décrire, d'expliquer, de faire comprendre, je ne peux apprécier cet aspect de ma personne. Depuis que j'ai rédigé cette autobiographie qui me rend mal à l'aise à chaque fois que j'y pense, je me demande pourquoi je l'ai faite avec autant d'insistance, pourquoi j'ai tant tenu à l'écrire. Effectivement, à part le malaise qu'elle déclenche en moi, qu'est-ce que cela m'a apporté ? J'ai l'impression d'être tout nu depuis, n'ayant nul endroit où pouvoir me cacher, étant obligé d'admettre, d'accepter, de faire avec ce qui a été, avec ce que j'ai été, un être qui me déplaît profondément. Est-ce à dire qu'aujourd'hui je suis mieux, plus fréquentable, plus respectable ? Je sais seulement que je suis devenu plus calme depuis que je connais Cynthia, plus détendu, plus serein, moins penché sur mon petit nombril et, depuis la maladie, encore plus détaché du rare qui m'importait encore hier. Il n'empêche, repensant à mon autobiographie, que je ne m'explique pas que durant toute cette période, près de trente ans, il y ait eu des êtres pour me faire confiance, m'aimer, m'apprécier, au point de rester à mes côtés dans mes pires moments. Oui, cela est une énigme, quelque chose qui dépasse mon entendement tant, moi, je me serai éloigné d'un tel être. Oui, jamais je n'ai aimé ou fréquenté longtemps des personnes qui étaient trop à problèmes et peu importe quel type de problème. J'allais uniquement avec des personnes qui étaient dans le même délire que moi, que mon délire soit soft ou non, et il était hors de question que s'insère dans notre relation des problèmes, des actes ou une idéologie dont je n'étais pas partie prenante. De la même façon, je n'ai jamais apprécié ceux ou celles qui m'impliquai malgré moi dans des problèmes qui leur était propre, me prenant à témoin pour tel ou tel raison, faisant appel à moi pour régler des comptes ou jouer les entremetteurs. Oui, j'éloignais de moi toute cette catégorie de personne car seuls m'intéressaient ceux et celles qui assumaient leurs dires, leurs faits et gestes, sans avoir besoin d'une bouée de secours en permanence. Bref, pour en revenir au portrait que je dresse de moi dans mon autobiographie, il est clair qu'il me déplait. Bien entendu, personne n'est jamais tout blanc ou tout noir, j'en ai bien conscience, mais on peut être plus ou moins sombre, plus ou moins lumineux, plus ou moins appréciable, et mes choix de vie, au moins jusqu'à mes trente ans, ont tous été de bien mauvais choix la majorité du temps et, ma vie dans son ensemble, jusqu'à ma rencontre avec Cynthia, n'a rien d'une vie enviable, encore moins glorieuse ou exemplaire. Certes, il y a des épreuves que je n'ai pas choisie, comme la rupture avec ma fille, épreuve qui m'ont bien laminé la tête, les neurones, la raison, mais peut-être ne sont-elles qu'un juste retour des choses, le retour de tout le mal que j'ai pu faire volontairement. Oui, je n'ai pas une bonne image de moi, c'est vrai, et c'est peut-être pour cela que quelque part j'apprécie l'arrivée de ma maladie, de ce cancer, de ses métastases, de ses tumeurs, qui semblent sonner la fin de la partie, la fin de cette vie débridée, sale, dans un monde sale où pourtant tout le monde ne l'est pas. Quand je crache sur ce monde, quelque part c'est sur moi-même que je crache, car ce sont des êtres comme moi qui le salissent, peu importe la méthode, en n'apportant d'attention qu'à leur nombril, que ce soit à travers le montant de leur compte en banque ou des preuves de leur virilité, excluant d'entrée de jeux tous les êtres qu'ils jugent faibles de leur univers, prêt à marcher sur eux, à les écraser si besoin est, voire parfois par simple plaisir de les voir ramper, quémander, se lamenter. Une grosse merde, oui, voilà ce que j'ai été si longtemps et rien ne rattrapera jamais çà.

lundi 30 mars 2015

Politique

30 mars 2015


Il est 16h00, Estelle est dans train pour rentrer chez elle, à Lyon. Elle est vraiment gentille et j'apprécie que Cynthia ait ce genre d'amie. Elle ne se plaint pas, a toujours le sourire, est curieuse et, même si je la connais peu, je suis également certain qu'elle est très serviable. Cynthia n'a pas beaucoup d'amie, de vraies amies, mais elle les choisie bien.

Pour ma part, aujourd'hui j'ai dormi jusqu'à 14h00 et sort donc à l'instant. C'est mon premier bol d'air de la journée, cela me fait du bien, c'est bien mieux que de rester chez moi entre quatre murs face à la télévision. Je ne sais pourquoi, mais je me sens léger, comme si j'étais heureux. Je crois que c'est parce qu'aujourd'hui il ne pleut pas et il ne fait pas froid. Je ne suis pas emmitouflé comme d'habitude sous mes pulls et mon manteau entrain de pianoter sur mon ordinateur. C'est comme un air de printemps, presque un air d'avant-été.

J'ai un peu suivi le résultat des élections départementales ce matin, entre deux siestes, j'ai écouté les propos de nos principaux leaders politiques, à commencer par notre premier ministre dont je n'aime pas du tout la ligne politique. Que fait-il à gauche, je me le demande ? C'est à l'UDI ou au Modem qu'il devrait être, mais certainement pas à gauche. Sarko m'a surpris par ses propos modérés, une fois n'est pas coutume. Pas de triomphalisme, pas de petites phrases assassines dont il a le secret, oui, je l'ai trouvé presque sobre. Par contre, de savoir que le PS avait perdu le nord au profit de l'UMP, cela m'a fait bizarre. Effectivement, je n'ai commencé à m'intéresser à la politique que lorsque Mitterrand est arrivé au pouvoir en 1981. Pierre Mauroy était son premier ministre et c'est là que j'ai appris l'importance de la « confédération du nord » dans le succès de Mitterrand.  Avant qu'il ne soit élu président, Pierre Mauroy était alors le maire de Lille et, je crois, le président du conseil général du nord. Toujours avant l'élection présidentielle de 1981, il y avait deux grand courant au PS, les rocardiens et les mitterrandiens, et c'est parce que Mauroy a soutenu Mitterrand que ce dernier a pu, sans difficulté, représenter la gauche lors de la présidentielle. Je me souviens aussi qu'à l'époque le PCF faisait 15% des suffrages et que sans ces voix, jamais Mitterrand n'aurait été élu et Giscard aurait fait un second mandat. Où en est la gauche aujourd'hui, je vous le demande ? Où en est l’extrême-gauche ? Dans le brouillard, malgré toutes les gesticulation de Mélanchon. Quant au vert, leur ligne politique, purement politique, m'est incompréhensible. Parfois je me dis qu'ils sont fous et d'autres fois suicidaires. Effectivement, sans accord avec le PS, que représentent-ils réellement dans notre paysage politique ? Pas grand chose, voire presque rien. Comparé à eux, le FN est un mammouth. Le problème des verts est qu'ils n'ont pas de programme globale, incluant tous les aspects d'une société, dont l'écologie n'est qu'une facette. Ou alors, s'ils ont un programme global, je n'y ai rien compris. Mais bon, assez parlé politique.

Là je pense à Rennes, ville que je vais quitté prochainement, dès cet été, ville où j'avais commencé à prendre des habitudes, ville où il fait bon vivre, ville où le temps, même si souvent il pleuviote, m'est agréable. Ce n'est pas comme Saint-Étienne ou Lyon où, en hivers, le vent vous glace littéralement et, l'été, vous crevez de chaud. Oui, j'apprécie les températures ambiantes, pas extrêmes, et je sens que près du Jura l'hiver sera également rude. Comment sera l'été, là est la question ?

Je pense également à mon cancer, à son évolution, à la manière dont je serai suivi lorsque je serai dans la région de Besançon, surtout en matière de radiothérapie. Effectivement, le Cyberknife, l'appareil avec lequel on me fait mes séances de radiothérapie, il n'y en a que sept en France. Y en aura-t-il un sur Besançon, sont-ils équipés de cet appareil ou serais-je obligé d'aller sur Lyon s'il doit y avoir de nouvelles séances, si de nouvelles métastases cérébrales se développent ? Pas loin de Besançon il y a également Dijon. Peut-être est-ce là-bas que je serai suivi. Oui, en matière médicale, je suis dans le flou le plus total concernant ma prise en charge à venir. Le 7 avril j'ai rendez-vous avec mon radiothérapeute et, si j'y pense, je m'en inquiéterai auprès de lui et je verrai bien ce qu'il me répondra.

Je pense également à Cynthia, à sa semaine de travail qui débute, semaine où elle aura une charge de travail plus lourde que d'habitude parce que ce week-end, recevant Estelle, elle n'a pas préparé grand chose. Ce sera donc une semaine où je la verrai sans cesse sur ses copies, sur ses dossiers, sur ses cours, ses séquences. Enfin, histoire de rajouter un peu de stress, elle sera inspecté vendredi par sa tutrice de Fac. C'est un examen qu'elle se doit de réussir, un de plus, pour aller vers l'obtention de son Master 2 et de sa titularisation définitive. Demain, si tout se passe bien, elle devrait également se filmer entrain de donner un cour. Elle a trouvé la caméra, il ne lui reste plus qu'à comprendre le mode d'emploi. Ainsi je pourrai la voir tôt ou tard en action, en œuvre, voir à quoi elle ressemble en professeur de classe et, à l'avance, je souris car je sais que je vais découvrir une facette d'elle que je ne connais pas. Ce sera donc une grande surprise, surprise que je regarderai avec attention.

Je repense à la politique, aux élections présidentielles de 2017. Qui sera candidat ? Quel sera le résultat des primaires à droite ? Et à gauche, y aura-t-il des primaires si Hollande décide de se représenter ? Et moi, de mon côté, ferais-je le nécessaire pour avoir ma carte d'électeur ou m'abstiendrais-je comme je l'ai presque toujours fait ? Effectivement, avec la vision que j'ai de notre monde, de l’Europe, de notre pays, de notre classe politique, je ne me retrouve en personne, même pas dans les anarchistes. Mais à présent il y a le FN qui monte, qui devient un réel danger pour la démocratie, la démocratie au sens où je l'entends, sans discrimination flagrante, sans haine et sans racisme, pour la liberté d'expression de tous et de toutes. Oui, je n'aimerai pas que mon abstention favorise par défaut l’essor de ce parti de merde. Mais pour qui voter, voilà la question qui me taraude. Déjà ce ne sera pas pour la droite, de cela je suis sûr. Alors j'hésite, je pense souvent à Bayrou, au Modem, et me dis pourquoi pas eux. Même élu, Bayrou ne pourrait faire de miracle, mais contrairement à Hollande qui nous a menti effrontément, je pense que Bayrou essayerait d'appliquer le programme qu'il proposerait. C'est un modéré, raison pour laquelle il ne pourra changer en profondeur le système. L'économie, toujours, décidera de notre sort. Peut-être pourra-t-il en arrondir certains angles, une taxation sur les transactions financières par exemple, taxation redistribuée aux nécessiteux, à ceux et celles qui en ont besoin, mais s'il est seul à exiger cela ou toute autre mesure allant dans le même sens, alors c'est vain à l'avance. Oui, pour pouvoir prendre des mesures pareilles, il faut à présent des accords européens, voire mondiaux. Je ne verrai donc par cela de mon vivant.

Enfin, je pense à ma fille, comme chaque jour, aux vacances à venir, et je suis dubitatif. Qu'allons-nous échanger ensemble ? Ce que nous allons faire, je le sais déjà. Les lieux, les personnes que nous rencontrerons, tout cela je le sais aussi. Pour autant, allons-nous échanger ensemble, discuter, dialoguer ? Par exemple je me vois mal lui parler de politique. Je ne me vois pas non plus la harceler pour lui faire comprendre dans quel monde on vit, d'où l'importance de réussir à l'école. Je ne me vois pas lui parler de ma maladie, de mes états d'âmes en conséquence. Alors je me vois obligé de l'écouter, elle, d'écouter les histoires de son âge, de ce qui, toujours à son âge, est important, sachant pertinemment que dans quelques années elle aura une toute autre vision des choses. Je comprend qu'à son âge elle ait envie de s'amuser, de passer du bon temps, de ne pas se prendre la tête, je suis passé par là également. Mais dans mon cas j'ai occulté alors tout le reste, l'important, à commencer par le travail scolaire. Cette année elle a fait un très bon premier trimestre, mais le second, comparativement, est nul. N'étant pas sur place pour voir comment cela se passe, comment gère sa mère le rapport de notre fille à l'école, je ne sais que penser de ses résultats scolaires. Oui, ma fille est encore la source de bien des soucis dans mon esprit.

dimanche 29 mars 2015

Etrange réveil

29 mars 2015


Il est 16h00, je viens de faire une petite sieste et c'est un rêve, ou plutôt un cauchemar, qui m'a réveillé. Ce n'est pas la première fois que ce même cauchemar me réveille. Je me vois entrain de mourir, dans le dernier moment, le dernier instant, suffocant et mourant, ma tête penchée sur le côté gauche, ma bouche restant ouverte. De suite cette scène m'a réveillé, installant en moi une espèce de malaise, comme à chaque fois, et il me faut bien cinq bonnes minutes pour retrouver mes esprits, constater que je suis bel et bien là, que ce n'était qu'un rêve, certes mauvais, mais qu'un rêve et qu'à présent la réalité, le fait que je vive, que je respire, que je pense, prenne le dessus, prenne le pas sur ce rêve qui m’apparaît à chaque fois comme prémonitoire. Est-ce ainsi que je mourrai ? En suffoquant ?

Afin de ne plus y penser, de suite je me suis habillé et suis sorti. A présent je suis au même café que ce matin, près de la gare de Rennes, et il pleut. En ce moment, Cynthia et Estelle sont à Saint-Malo, peut-être sous la pluie également. Lorsqu'elles rentreront ce soir, je pense que j'aurai le droit à un compte-rendu, surtout qu'Estelle ne connaissait pas Saint-Malo et sa belle petite ville fortifiée, sa longue plage et les vagues qui y déferlent.

Néanmoins je me sens encore fatigué et si c'était un autre rêve qui m'avait réveillé, je me serai ré-endormi. Cependant, l'intensité de ce rêve me travaille encore au corps, comme si réellement j'avais suffoqué en dormant, et c'est entre les mains de Cynthia que ma tête, ma vie, ma personne finissait sa course. Est-ce que je pressens quelque chose ? Est-ce que je me fais à une sorte de réalité, ma mort tôt ou tard, inéluctable ? Suis-je encore en phase d'adaptation face à ma mort, donc à ma maladie ? Ais-je bien intégré ce que signifie le cancer ? Si oui, pourquoi est-ce que je fume encore ? Toujours ces mêmes questions qui tournent en boucle dans ma tête, même si c'est de moins en moins souvent, mais récurrentes néanmoins.

Si j'étais à paris, que ferais-je pour me changer les idées ? Je ferai la même chose qu'ici. Je sortirai de chez moi et irai incognito dans un café, certainement avec l'ordinateur pour y vider ma pensée, mes peurs, mon angoisse. A l'époque où mon cancer a été découvert, fin 2013, on me donnait une année de vie si je ne me soignais pas. Et aujourd'hui, alors que je me suis soigné et me soigne encore, combien de temps me donnerait-on ? Si je ne m'étais pas soigné, aujourd'hui je serai mort. Serait-ce un mal, un véritable mal, y compris pour Cynthia et ma fille ? Je ne le pense pas vraiment car je crois que l'on se remet de tout, absolument de tout, même si cela laisse parfois de grandes cicatrices.

J'ai les écouteurs sur mes oreilles et j'entends Bashung, une compilation que je me suis faite de ses chansons que je préfère. Alain Bashung, c'est tout un univers, un monde à part qui ne ressemble qu'à lui, que je n'ai retrouvé nul part ailleurs dans la chanson francophone. C'est en même temps mélancolique et lourd, révolté et résigné, mais quoi qu'il en soit une sphère courageuse où, coûte que coûte, on essaye d'avancer, quoi qu'il se passe, quoi qu'il se dise, ne pas lâcher, ne pas tomber, ne pas s'écrouler, ne pas sombrer. De même, l'immense majorité de ses textes sont de véritables odes à la poésie, de celles qui nous envolent, nous font planer au-dessus d'autres planètes, entre deux ou trois mille étoiles quelque part là haut, entre deux galaxie, deux nébuleuses.

J'ai toujours le retour de ce rêve en tête, je l'éprouve encore dans mon cœur, dans mon poumon gauche, et si je m'écoutais je m’enivrerai afin qu'il passe définitivement. Mon poumon gauche est celui qui est intacte, qui n'a pas encore été touché, ni par des métastases ni par le bistouri du chirurgien. Aussi étrange que cela puisse paraître, je sens en moi qu'il est plus grand que mon poumon droit, que c'est là que s'empile la majorité de l'air que je respire, qu'il est celui qui gonfle le plus. Aujourd'hui je vis avec un poumon et demi et déjà je ne peux plus faire d'effort physique. Comment vivent, respirent ceux et celles qui n'ont qu'un poumon ? Que peuvent-ils porter, quels efforts physiques peuvent-ils fournir ? Vaut-il mieux être handicapé neurologiquement, comme mes pertes de mémoire, ma difficulté à me concentrer, à faire attention sur une longue durée, ou être handicapé physiquement, donc être très souvent dépendant, tributaire de quelqu'un d'autre ?

Je pense également à Besançon. Est-ce parce que c'est la montagne que j'ai un a-priori ? Je le pense. Est-ce que son climat en hivers, au printemps, me conviendra. Et l'automne, comment c'est par là-bas ? Et l'état d'esprit des habitants, comment sera-t-il ? Seront-ils ouverts, comme ici à Rennes, ou ressembleront-ils plutôt à des lyonnais, des gens froids et renfermés ? De même, dans quelle ville exercera Cynthia ? A Besançon-même ou ailleurs ? Et nous, où habiterons-nous ? Là où sera situé son collège ou lycée d'affectation ou à Besançon, quitte à ce qu'elle prenne les transports, voir le train, pour se rendre sur son lieu de travail ? Il y a tant d'inconnu avec cette ville, cette nouvelle affectation, que j'évite d'y penser dans la mesure du possible. De même, pour que Cynthia soit enfin professeur titulaire à part entière, il faut également qu'elle réussisse sa dernière année de Fac, qu'elle obtienne son Master 2. Même si sur ce point tout est en bonne voie, l'année n'est pas finie pour autant et elle a encore des épreuves à passer.

De penser à l'école me fait penser à ce faits divers dont en parle actuellement à la télévision, ce directeur d'école pédophile dont au moins 14 enfants auraient été victimes. Si l'on ne peut même plus se fier aux directeurs de nos écoles, où va-t-on, je le demande ? Je n'arrive pas à imaginer quelle serait ma réaction si ma fille était concernée par de tels agissements. Je me sentirai certainement en colère et en même temps démuni, impuissant. Ce doit être un sentiment horrible qu'éprouvent les parents d'enfants victimes de ces faits. Comme à mon habitude, j'essaye néanmoins de comprendre ce qui peut se passer dans la tête des pédophiles. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond dans leur esprit, dans la zone qui contrôle les pulsions sexuelles, pour qu'ils puissent éprouver un quelconque plaisir dans leur jeux sordides ? Connaîtrons-nous un jour assez le cerveau, son fonctionnement, pour mettre au point de véritables camisoles chimiques, voire des puces électroniques capable d'endiguer ce genre de pulsions morbides ?

Je viens d'avoir ma belle-mère au téléphone et franchement je suis content de toutes les bonnes nouvelles qu'elle m'a donné concernant sa santé et son train de vie dans la maison de repos où elle se trouve. Depuis un an maintenant elle était alitée, ne pouvait se déplacer de son lit, ne connaissait que la position allongé, ne pouvais s'asseoir, y compris dans son lit, car elle avait des pertes d'équilibre systématique. Pour pallier à tout ça, elle a fait à de nombreuses reprises des séances de kiné, histoire de lui muscler à nouveau les jambes, les cuisses, les abdominaux,etc. Cependant, jusqu'il y a peu encore, il n'y avait pas d'évolution significative. Et là, qu'est-ce que j'apprends ? Elle était dans un fauteuil roulant qu'elle arrive à manœuvrer seule, avec ses mains, ses pieds, et même si ce n'est pas toujours facile m'a-t-elle dit, elle arrive à gérer. De même, depuis un an elle prenait tous ses repas dans sa chambre, seule, et comme elle ne sortait jamais dehors du fait de son état, elle ne côtoyait donc pas les autres pensionnaires de cette maison de retraite. A présent, depuis peut-être une bonne semaine, elle mange désormais dans le réfectoire dans son fauteuil roulant, avec les autres pensionnaires, ce qui lui permet de faire des rencontres. De même, elle semble retrouver l'appétit, même si la cuisine n'est pas fameuse selon ses goûts. Bref, tout cela sont d'excellentes nouvelles et j'espère qu'elle va continuer sur cette pente et que bientôt elle pourra enfin réintégrer son domicile. Oui, vu l'état dans lequel elle était il y a un an, cela relève presque du miracle qu'elle s'en remette ainsi. Mieux vaut tard que jamais, dit-on, et je confirme dans son cas. Du coup, ces bonnes nouvelles ont balayé de mon cœur les effets de mon rêve pour laisser place à un sentiment de plaisir, de joie. Effectivement, j'estime qu'elle en a assez bavé, plus qu'elle ne l'aurait dû, et que c'est un juste retour des choses que son état s'améliore enfin, avec des signes tangibles, concrets, qui font qu'avec le temps elle sera moins dépendante d'autrui. De même, je sais que sa maison lui manque et je béni à l'avance tout ce qui pourra faire qu'elle la réintègre. Oui, je sais que ce jour là elle sera dans le plaisir, le vrai, celui qui vous prend tout entier et vous submerge. Plus d'une fois, surtout lors de ses premiers mois d'hospitalisation, elle nous a fait peur. Effectivement, comme elle n'arrivait pas à cicatriser, ses organes intérieurs se promenaient, lui procurant non seulement des douleurs infernales, mais de plus menaçant de la tuer si la cicatrisation ne prenait pas. A trois reprise au moins elle a été opéré du ventre, toujours pour trouver une solution afin qu'elle cicatrise, opérations qui généraient systématiquement une anesthésie générale, ce qui ne pouvait que l'affaiblir encore un peu plus. Puis, en plus de tous ces déboires, il y eut les séances de chimiothérapie qui débutèrent, l'affaiblissant également un peu plus encore. Non, elle revient de loin, et tout cela je l'ai vu de mes yeux puisqu'à l'époque Cynthia et moi habitions encore Lyon. Bref, cette journée se termine par de bonnes nouvelles et c'est tant mieux. Des nouvelles comme celle-ci, pour quelqu'un comme moi, donne envie de vivre, de se battre, d'aller également de l'avant. Oui, son évolution est encourageante et, en conséquence, encourage ceux qui, comme moi, son prêt à se laisser abattre, à se laisser aller sans tenter quoi que ce soit pour modifier le cours des choses. Oui, contrairement à moi, ma belle-mère est un bel exemple de courage. Entre son père et sa mère, Cynthia a de qui tenir en la matière, ce qui explique certainement qu'elle soit aussi persévérante en générale, quoi qu'elle entreprenne et quoi que le sort lui réserve.

Sexualité

29 mars 2015


Un jour comme un autre, une fin de semaine comme une autre, seule change le rythme autour de moi, le mouvement, car en ce dimanche matin, à cette heure matinale et par ce temps maussade, venteux, peu de personne sont de sorties. Actuellement je suis à la terrasse de l'un des café de la gare, car les autres, ceux où je me rends d'habitude en semaine, sont fermés le dimanche.

Tout à l'heure, avant de sortir, je regardais en replay une émission dont l'intitulé était « A qui appartient notre corps ? ». Il y était évidement sujet de la prostitution, de son abolition ou non, mais aussi de la vaccination et du don d'organe. Oui, vivant ou mort, à qui appartient notre corps ? Vivant, il m’apparaît évident qu'il n'appartient qu'à nous-mêmes et que nous devrions être libre d'en faire ce que nous voulons, régime, opération chirurgicale, prostitution ou don d'organe. Oui, concernant la prostitution, débat que je ne cesse d'entendre depuis ma plus tendre enfance, j'ai changé souvent d'avis sur le sujet au gré des arguments des uns et des autres. Le corps de la femme ou de l'homme, une marchandise comme une autre ? Cela je ne peux le concevoir, mais pourtant les faits sont là. Le corps contre de l'argent existe bel et bien, et pas seulement dans le domaine de la prostitution. Il y a aussi les mères porteuses, les dons d'organes contre rémunération et peut-être d'autres domaines où l'on marchande son corps ou une partie de ce dernier. Certes, en France, toutes ces pratiques sont interdites, sauf la prostitution. Effectivement il existe un statut légal pour les travailleurs du sexe. Ils doivent déclarer aux impôts leur revenu et, comme tout travailleur, ils sont taxés en conséquence. C'est ça la France, avec ses contradictions, son double langage, celui des faits et celui de nos politiques, celui qui autorise un homme ou une femme à faire commerce de son corps et, parallèlement, qui hurle à qui veut l'entendre depuis des décennies qu'il faut abolir la prostitution. Alors je m'interroge sur moi-même et me demande si j'aurai fait commerce de mon corps si l'occasion s'était présenté. A priori, je crois que oui, mais à certaines conditions. Déjà, il aurait fallu que j'ai le choix de mes clientes, que je ne sois pas dans une spirale qui m'obligerai à coucher avec la première venue. Souvent je me dis, à la lumière de mon parcours lorsque j'étais adolescent et après, que si j'avais été une femme, j'aurai tôt ou tard essayé la prostitution. Mais là je parle en l'air, n'ayant même pas idée de la façon dont je me penserai si j'étais une femme dans une société tout de même dominé par l'homme dans de nombreux domaines, y compris celui de la violence physique. Néanmoins, tout comme il y a la liberté d'expression, valeur à laquelle je suis farouchement attaché, je considère que la liberté de faire ce que je veux de mon corps, de ma personne, dès lors que cela ne met pas en danger la vie d'autrui, doit être, elle aussi, totale. Plusieurs fois dans mon passé, je me suis demandé comment devenir un travailleur du sexe indépendant. Si j'avais eu le logement, la connaissance des réseaux, si à l'époque l'internet avait exister avec tous les sites de rencontres qu'elle abrite, oui, c'est sans état d'âme que j'aurai fait commerce de mon corps. Dans mon cas, moi qui suis hétéro sexuel et sachant que les filles ou femmes de mon âge n'ont nullement besoin de payer un homme pour que celui accède à leurs faveurs charnelles, je savais que ma clientèle serait composée de femmes âgées, voire très âgées. Arriverais-je alors à être en érection à la vue de leur corps ? Cela me semblait peu probable, voire complètement improbable, ce qui explique que je n'ai jamais été dans cette direction, que je n'ai fait aucune recherche pour devenir prostitué. Cependant, dans l'idée, cela m'aurait plu de connaître et vivre cette expérience.

Oui, il ne m'est pas souvent arrivé dans ma vie de coucher avec de parfaites inconnues. De mémoire, cela a du se produire une seule fois. Je travaillais alors comme barman à Paris, Place de Clichy, tous près du quartier Pigalle. Je devais avoir trente-six ans, travaillais de nuit, et le café était fermé entre 2h00 et 4h00 du matin, le temps pour le personnel de nettoyer et de manger. A 4h00 la brasserie ré-ouvrait et je terminais mon travail à 7h00 du matin. J'étais donc au bar et en salle, pour le service, il y avait un jeune petit nouveau, âgé de 25 ans. Dès l'ouverture une jeune femme d'une trentaine d'année pris sa place au comptoir. Elle me commanda une bière, puis une seconde, puis de fil en aiguille nous nous mîmes à discuter. Elle me fit alors part de ses états d'âme suite à une rupture récente et, je ne sais pourquoi, elle me dit alors que son fantasme serait de coucher avec deux garçons à la fois. Au début je ne savais pas si je devais la prendre au sérieux, si c'était un pied d'appel de sa part à mon égard, ou si elle délirait un peu sous l'effet de l'alcool. Pourtant, malgré les quelques bières qu'elle avait bu, elle ne semblait pas ivre, elle semblait maître d'elle-même. C'est alors, sous le ton de la plaisanterie, que je fis part au garçon de salle des desiderata de cette femme et ce, devant elle. Interloqué, surpris, il lui demanda si c'était réellement vrai, si vraiment elle voulait ça. C'est avec une naturalité complète qu'elle lui confirma son souhait, lui précisant que comme nous étions deux beaux gosses, elle se verrait bien faire cela avec nous. Alors nous conclûmes un marché. A 7h00, la fin de notre service, nous irions dans l'un des hôtels de la place de Clichy et passerions à l'acte. L'hôtel serait payé par nos soins, le serveur et moi-même, et ce serait nos seuls frais. Sans se démonter une seconde, elle accepta ma proposition et, de 5h00 à 7h00 elle s'installa à l'une des tables de la salle, attendant que nous finissions notre service. Pour ma part, jamais je n'avais fais des coucheries à plusieurs et ce serait donc une découverte, une nouvelle expérience. Ensuite, concernant la prostitution et sa rémunération, comment considérer la situation. Devenions-nous des clients parce que nous allions payer l'hôtel, ou était-ce juste une histoire de coucherie comme il en existe tant d'autre du même genre ? Puis vint 7h00. Nous nous rendîmes tous les trois à l'hôtel et, une fois dans notre chambre, sans véritables préliminaires, nous passâmes à l'action. Mais rapidement je me suis rendu compte que la situation ne m'excitait pas, que je m'ennuyais plutôt qu'autre chose. Donc très rapidement je m'écartais d'eux, me rhabillais, leur signalant que je les attendrais dans un café qui jouxtait l'hôtel. Je vis dans leur regard qu'ils ne comprenaient pas mon attitude, mais cela ne les empêchât pas de poursuivre leur ébat. Depuis, je sais que les coucheries à trois, quatre ou plus ne sont pas mon truc. J'ai du être trop bien conditionné à la monogamie et, physiquement parlant, mon corps, mon pénis va dans le même sens. Mon esprit n'étant pas conditionné à voir d'autres corps que celui de ma partenaire, l'érection ne se fait pas, ou alors avec difficulté et, à partir du moment où cela devient un effort que de se maintenir en érection, je ne trouve plus de plaisir à poursuivre un ébat sexuel.

De même, dans ma vie et toujours dans le but de connaître une expérience supplémentaire, je n'ai fait appel qu'une seule fois au service d'une prostituée. J'avais alors vingt-ans et avec un copain du même âge dont le surnom était Zinzin, après une soirée entière passé en boite de nuit, il me fit part de son envie d'aller voir des prostituées. Je lui dit OK et c'est ainsi que nous allâmes, là encore, à Pigalle. Nous étions tous les deux sur son scooter à tourner dans le quartier, recherchant deux prostituées, une pour chacun d'entre nous. C'était l'époque où on commençait à parler sérieusement du Sida et des moyens de protections pour l'éviter. Au bout de quelques tours de pâté de maison sur le scooter, nous trouvâmes enfin deux prostituées qui discutaient ensemble, deux métis. Nous arrêtâmes et après s'être mis d'accord sur les tarifs, à l'époque en francs, elles nous entraînèrent dans leur hôtel de passe. Pendant que Zinzin suivait sa prostituée dans l'une des chambre, je suivais l'autre dans les étages. Une fois seul dans la pièce avec elle, elle sortit un préservatif qu'elle déroula sur mon pénis. Cependant, du fait de la situation, du fait que je savais que je la payais et du fait que le port d'un préservatif annihile toujours en moi toute forme d'envie sexuelle, il ne se passa donc rien. J'enlevais donc le préservatif, me rhabillais et allait attendre mon pote à l'entrée de l'hôtel. Ce fut ma seule et dernière expérience avec une prostituée et là aussi il m'apparut clairement que cette forme de relation n'était pas pour moi.

Oui, pour que je prenne du plaisir à coucher avec une femme, je l'ai bien compris, il faut que je la connaisse un minimum, que j'ai déjà une bonne idée sur son tempérament, son caractère. Les inconnus ne sont pas faites pour moi, avec elle je ne peux passer à l'action dans la minute qui suit. Mais cela n'a pas toujours été ainsi. Pendant mon adolescence et ce, jusqu'à mes vingt ans, je pouvais coucher avec la première fille qui passait. Toutes m'excitait facilement et juste la vue de leur corps nu suffisait à ce que je passe à l'acte. Tout à changé suite à ma rupture avec Virginie. Je l'ai connu alors que j'avais dix-neuf ans et un an plus tard nous formions un couple. Notre histoire a duré presque quatre ans et, dans mon esprit, elle était la femme avec qui je ferai toute ma vie, c'était pour moi une évidence. Pourtant, à deux ou trois reprises je l'ai trompé. Cependant je ne lui ai pas menti et à chaque fois que j'ai entamé une relation avec une autre fille, je mettais un terme à notre couple. En faisant ainsi, il me semblait agir de manière juste. Pas d'hypocrisie, pas de mensonge, les choses étaient claires. Lorsque mon aventure avec la tierce personne était finie, je revenais vers Virginie qui accepta toujours que nous nous remettions en couple. Trois ans plus tard, c'est elle qui me fit le coup, m’annonçant qu'elle entamait une liaison avec un autre homme et, qu'en conséquence, elle mettait un terme à notre couple. Je me suis alors effondré comme jamais aucune femme ne m'a fait m'effondrer. J'étais chaos debout et comprenais subitement, soudainement et dans la douleur, tout ce qu'elle avait pu éprouver à chaque fois que je l'avais délaissé pour une autre. Oui, aimer, éprouver ce sentiment est une chose, ainsi que de se faire aimer, mais agir en conséquence pour continuer à aimer et, surtout, être aimé est une toute autre paire de manche. Éprouver le sentiment ne suffit pas. Il faut le montrer, le démontrer, donner des gages, des preuves de cet amour, et il est clair que délaisser celle que l'on aime pour une autre est aux antipodes de cela.

Quoi qu'il en soit, après ma rupture avec Virginie, mon rapport aux femmes changea beaucoup. Les aventures d'un soir ne m'intéressaient plus du tout et, avant de m'engager avec celle-ci ou celle-là, il me fallait auparavant la connaître un minimum. L'attirance physique, uniquement cette dernière, n'avait plus d'impact sur mon désir d'assouvir mon envie sexuelle. Non, cela je le maîtrisais parfaitement. Certes, l'attirance physique m'amenait à vouloir connaître la femme en question, mais il était clair dans ma tête que si son état d'esprit, son tempérament ou son caractère ne me convenait pas, alors il ne se passerait rien sexuellement parlant. Oui, dans ma petite tête, si je passe à l'acte sexuel, cela signifie que je m'engage, que je suis prêt à me donner à fond pour que le couple se forme, s'entende et fonctionne. Ainsi, même si les occasions ne m'ont jamais manqué pour passer à l'acte, je ne les ai que très peu saisi et, lorsque je les saisissais, c'est parce que je pensais sincèrement qu'une histoire était possible entre la femme et moi. En cela, je suis complètement différent de mon frère qui, lui, ne se pose pas de question. Si une femme l'attire physiquement et qu'elle est consentante, l'acte sexuel suivra dans la minute. Pour ma part, il faut aussi que la femme m'attire psychologiquement, psychiquement, que je me sente à mon aise en sa présence, bref tout un tas de facteurs qui ne peuvent être réuni en deux minutes. Donc, depuis Virginie, j'ai toujours pris mon temps avant de m'engager, avant de passer à l'acte sexuel, mon désir de m'entendre avec la personne étant bien plus fort que mon simple désir sexuel.

Le sexe, la sexualité, est vraiment au cœur des relations humaines, de cela je ne doute pas, et parce que trop souvent nous mélangeons, mettons sur le même pied d'égalité, le sentiment d'amour et l'assouvissement ou le désir d'assouvissement d'une simple pulsion sexuelle, cela trouble les esprits, ces derniers n'étant souvent plus capable de faire la part des choses. De même, notre conditionnement à être monogame ne facilite pas les choses. Beaucoup d'hommes et femmes qui sont en couple, aimant sincèrement leur conjoint, sont parfois perturbé lorsqu'ils éprouvent une attirance physique pour un autre ou une autre. Certains d'entre eux en culpabilisent. Pourtant, je ne vois pas comment l'on peut penser possible de contrôler nos goûts. Si nous aimons le chocolat, à chaque fois que nous en aurons sous les yeux, nous ne pourrons que le désirer. Mais où est le mal ? Il n'y a aucun mal à désirer, cela fait partie de notre nature, c'est chimique, génétique, humain. Non, si mal il y a, c'est dans notre gestion du désir. Se laisse-t-on aller ou non ? Ecoutons-nous, soumettons-nous notre personne à nos pulsions, à nos envies, ou essayons-nous de les contrôler, de les canaliser ? Le mal ou le bien est là, rien que là, dans les choix que nous faisons en conséquence.

De même, en couple, qu'est-ce qui est réellement important ? L'aspect physique ? D'expérience je sais que l'on s'habitue à tout, y compris au charme, à la beauté, à l'intelligence, à la joie ou la déception de vivre de l'autre. Oui, il arrive toujours un moment où notre conjoint, notre ami, notre famille ou notre collègue de travail ne nous surprend plus. C'est alors que nous rentrons dans l'habitude et plus rien d'extraordinaire, surtout lorsqu'il s'agit d'aspect physique, ne ressort plus. Ce qui était trépident lors des premières rencontres ne l'est plus, toute l'excitation que suscite la découverte de l'autre s’estompe peu à peu, au fur et à mesure que nous apprenons à le connaître et, enfin, concernant les ébats charnels, là-aussi nous nous habituons au corps de l'autre, à ses formes, son odeur, la texture de sa peau, sa couleur, et espaçons sans nous en rendre compte immédiatement nos rapports sexuels. Donc ce qui fait durer un couple, qu'il soit amoureux, amical ou autre, c'est avant tout la bonne entente et, même mieux, la complicité qui existe entre les deux protagonistes. Si cela n'est pas, alors c'est la porte grande ouverte à la désintégration du couple, tôt ou tard, y compris si dans les faits ils ne se séparent pas. Oui, la sexualité compte, c'est indéniable, mais surtout au début de la relation. Après, pour que cette dernière perdure, il faut la bonne entente, la complicité, seule sentiment capables d'engendrer l'attachement et une véritable affection pour l'autre. Cela nécessite souvent des efforts, des compromis, car celui que l'on découvre correspond rarement à celui que l'on imaginait. De même, son rythme est souvent différent du nôtre et, là-aussi, il faut faire des ajustements. Mais de tout cela, surtout lorsque l'on est jeune, nous n'en avons pas conscience. Nous sommes le plus souvent dans le souhait d'assouvir le plus vite possible nos désirs, nos pulsions, quitte à nous engager en couple alors que l'avenir dira que nous ne sommes pas fait pour vivre ensemble au quotidien. Oui, le quotidien peut être autant l'allié du couple que son pire ennemi. Une relation basé sur des rencontres épisodiques n'est en rien comparable avec une relation quotidienne. Dans l'épisodique, chacun peut faire l'effort ponctuel de se présenter sous son meilleur jour, ce qui est impossible dans le quotidien. Comme l'on dit : chassez le naturel et il revient au galop, surtout dans des relations quotidiennes.

samedi 28 mars 2015

Ecrire sur sa maladie

28 mars 2015


Il est 16h20, je suis levé depuis une heure seulement car j'ai passé toute la matinée et le début d'après-midi à dormir. Cependant, cela ne s'est pas fait sans raison. Je me suis d'abord réveillé vers 7h30 et, par faim, j'ai mangé un paquet de gâteau, des tartelettes aux fraises exactement. Une heure plus tard, du fait d'un petit coup de fatigue, j'ai été me recoucher et sous les coups de 10h00 des nausées m'ont réveillé. Cela n'a pas loupé, elles ont été suivi de vomissement, une fois encore, une fois de plus. Ayant la tête qui tournait je me suis donc recouché pour la seconde fois de la journée, dormant ainsi jusqu'à 15h30. Il me semble que je n'ai plus le choix, que je vais être obligé de reprendre rendez-vous avec mon médecin généraliste ou mon radiothérapeute afin qu'il ajuste mon traitement médical envers les nausées et vomissement. Effectivement, si je fais les comptes de la semaine, je n'ai mangé et pu digérer que deux repas. Cela fait peu et m’affaiblis.

En ce moment, Cynthia et Estelle se promènent dans Rennes, visitent ses églises et ses parcs, tandis que moi, comme à mon habitude, je suis entrain d'écrire tout en me réveillant à une terrasse de café, juste sur la place Sainte-Anne. Comme nous sommes samedi, il y a pas mal de monde qui traverse ou flâne sur la place, mais comme le temps est tout de même très nuageux, même s'il ne pleut pas, les terrasses de café ne sont pas bondées. Ce soir, Cynthia et Estelle ont prévu de manger des crêpes dehors, dans un bon petit restaurant situé près de la gare et, si mon estomac me le permet, je les accompagnerai. Quoi qu'il en soit, même si je ne mange pas, je serai avec elles.

Estelle est donc arrivé hier soir, c'est la première fois que Cynthia accueille l'une de ses proches chez elle, dans sa maison, ce qui me ramène au bon vieux temps où nous nous sommes connus, alors qu'elle habitait chez ses parents et que moi je dormais dans des foyers pour SDF. Même si cette époque n'était pas la panacée point de vue hébergement, elle est néanmoins gravée à tout jamais dans mon esprit. Oui, c'est l'époque où j'ai vu pour la première fois Cynthia de mes propres yeux, non plus en photo, où j'ai pu la toucher, entendre le son de sa voix ailleurs qu'au téléphone, époque où je l'ai découverte presque totalement, car entre l'image que j'avais d'elle à travers les mots et textes de son blog et la jeune fille fluette que j'avais sous les yeux, une jeune fille douce et réservée, il y avait quand même un décalage. Sur son blog, ses textes étaient durs, acerbes, raides, sans compromissions et je m'attendais à rencontrer un état d'esprit de cette trempe dans le ton, le vocabulaire ou les idées de Cynthia. Mais elle n'est pas cela du tout dans la forme. Certes, dans le fond, ses opinions sont toujours assez tranchées, mais elle est assez fines pour les exposer posément, presque gentiment. Même s'il lui arrive d'avoir des points de vue brutaux, elle n'est pas une femme brutale pour autant, loin de là. Tout ce qu'elle fait, qu'il s'agisse de préparer ses cours, de préparer de bons plats, de s'occuper de son chat ou de ses plantes, de sa manière de se déplacer, de se mouvoir, oui, tout ceci elle le fait dans la délicatesse, sans aucune brusquerie, même lorsqu'elle est énervée parce qu'elle ne trouve pas un papier qu'elle recherche. Oui, elle est douce et cela m'est d'un grand réconfort.

Je repense à mon frère et à ce que j'écrivais hier à son sujet, disant que quelque part il ne méritait pas que je reste en relation avec lui, que je fasse l'effort d'entretenir cette dernière alors que lui ne le faisait pas. D'un autre côté, à chaque fois que j'ai eu besoin de lui et qu'il l'a pu, il s'est montré présent, soit pour venir me voir là où je me trouvais, soit pour m'écouter patiemment entrain de geindre sur mon sort, voire d'en pleurer. Oui, je ne peux pas dire qu'il ne m'était pas disponible, ce serait mentir effrontément, et peut-être est-ce là sa manière à lui d'entretenir une relation, en répondant présent dès qu'on le sollicite. Pour autant il ne donne pas de nouvelles de lui si on ne l'appelle pas et il est rare qu'il sollicite sa famille pour une aide matérielle. Pour cela, il se tourne en général vers ses copains et copines, ce que je peux comprendre puisque dans notre famille personne ne roule sur l'or. En l'état, malgré que je n'ai que l'allocation adulte handicapée, je suis peut-être celui qui s'en sort le mieux financièrement. Évidement, c'est ainsi parce que je suis en couple, ce qui n'est pas le cas des autres membres de ma famille, et que Cynthia travaille, ayant un revenu correct.

Je repense également aux effets secondaires de mes séances de radiothérapie, surtout à la perte d'une partie de mes cheveux. Vous dire quel effet cela m'a fait et me fait encore, je ne le peux. Ce que je ressens est bizarre, étrange, c'est comme si j'étais partagé entre différents sentiments, mais je ne sais lesquels. Par contre je sais que je n'éprouve aucune peur, c'est comme si j'étais incrédule face à cet état de fait, la perte de mes cheveux sur un périmètre parfaitement défini, là et uniquement là, pas un poil plus loin, par un centimètre plus loin. Depuis je me suis donc tondu, mais j'ai l'impression que mes cheveux repoussent plus vite dans les zones qui n'ont pas été irradié. Cela me fait penser que je n'ai toujours pas été sur internet pour me renseigner plus précisément sur les rayons X, sur leur impact réel sur les tumeurs, les métastases, les neurones.

Enfin de compte, écrire sur sa maladie, c'est comme raconter une aventure, écrire un roman, dont le fil conducteur est justement la maladie et son évolution, narrer comment elle change notre rapport à nous-même et aux autres, raconter comment notre perception du temps et du monde alentour se modifie, expliquer, si tant est que cela se peut, pourquoi nous prenons du recul avec beaucoup de choses, presque du jour au lendemain, dire comme il n'est pas simple de se reconnaître là encore, du jour au lendemain, dans le corps, l'identité d'une personne malade, voire condamnée, alors que quelques jours plus tôt nous nous regardions comme des personnes saines, à l'abri de tout danger. Oui, à travers tout ce que l'on éprouve, toutes les phases physiques et psychologiques par lesquelles nous passons, la réalité dépasse bien souvent la fiction. Moi-même j'ai vécu des états d'âme, surtout au début, lorsque j'ai appris ma maladie, que je n'aurai jamais pu imaginer possible. Auparavant, même dans mes pires histoires, jamais je n'avais éprouvé que toutes les parties de mon univers, absolument toutes, s'écroulaient d'un coup, subitement, en l'espace de quelques heures seulement. Plus rien n'avait le même visage, pas plus moi que l'hôpital, pas plus Cynthia que le personnel hospitalier, pas plus ce que je pensais du cancer avant et après son annonce. De même, ma fille, sa mère, ma famille, mes amis, tous devenaient nouveaux pour moi, comme si je les regardais pour la première fois. Mon domicile d'alors n'avait plus du tout le même sens. Auparavant il était mon toit, mon refuge, et là, subitement, il ne devenait qu'un vulgaire lieu de transition, des murs sans réelles importances où il état clair que je n'étais pas chez moi. C'est comme si je prenais d'un coup conscience de ce que signifiait le terme « locataire ». Oui, cette période où j'ai appris mon cancer est elle-aussi indélébile, même si je ne me souviens pas de tous les détails, même si je ne me souviens que de peu de chose au final, mais l'état d'esprit, lui, est gravé au fer rouge dans ma mémoire. Vous dire que je me sentais seul serait un doux euphémisme. C'était bien au delà. Je revois Cynthia dans la chambre d'hôpital où l'on m'avait plongé dans un coma artificielle après mes trois crises d'épilepsies consécutives, crises dû à ma métastase au cerveau. Lorsque je me suis éveille, elle était là, assise sur une chaise, et moi j'étais attaché avec un tuyau dans la bouche pour m'aider à respirer. Je ne pouvais pas parler, me demandai où j'étais, qu'est-ce qui c'était passé et voulais que l'on me délie les mains. Je ne me rappelle plus quand cela fut fait. Le jour-même, le lendemain ? Et Cynthia était donc là, assise sur une chaise, face à moi, ne disant mot. Je pouvais voir sur son visage le reste des larmes qu'elle avait du verser, comme si ces dernières avaient laissé des traînées sur sa peau, et à l'expression de ses yeux, de son regard, je me doutais que les nouvelles ne devaient pas être bonne. Cependant, à mon réveil, même si j'étais complètement perdu, déboussolé par ce cadre que je découvrais, pas une minute je n'ai pensé que j'avais contracté une maladie grave. D'ailleurs je ne sais même plus qui m'a annoncé que j'avais un cancer. Fut-ce Cynthia, un interne ? Quoi qu'il en soit, quelques jours plus tard, j'étais transféré dans un autre hôpital, nous étions au mois de novembre 2013, y restant un mois pour passer toute une batterie d'examens. Oui, raconter sa maladie c'est raconter une histoire et, à travers elle, l'histoire de tous ceux et celles qui partagent malgré eux cette aventure. Oui, tout s'imbrique ou se ré-imbrique, des choses se défont pendant que d'autres se créent, la forme et parfois le fond des relations changent. Nous en balayons certaines d'un revers de main et en choyons d'autres que, jadis, nous n'entretenions pas tant que ça. Oui, c'est comme si quelque part nous allions à l'essentiel, sans bien le savoir au début, mais c'est bien cela le chemin. Cet essentiel, bien souvent, est incompris par notre entourage. De même, notre rapport à notre maladie et donc à nous-même, n'est pas toujours compris, voire assimilable par nos proches. Nous changeons de comportement, de priorité, de centre d'intérêt et je veux bien croire que si nous ne nous en expliquons pas, l'entourage ne peut comprendre.

vendredi 27 mars 2015

Astrologie

27 mars 2015


Aujourd'hui je réalise que nous sommes bientôt à la fin du mois de mars, mois que je n'ai pas vu passer, et que d'ici-peut je serai avec ma fille à Paris. Le temps passe vite, alors qu'hier, lorsque j'étais jeune, voire enfant, il me semblait qu'il n'avançait pas. Et lorsque l'on a 80 ans ou plus, quelle est notre notion du temps ? A-t-on l'impression que son mouvement s'accélère encore plus ? A-t-on l'impression à peine réveillé que la journée, déjà, est presque finie ? Moi, c'est l'impression que j'en ai. Le plus long dans ma journée, c'est la matinée. Mais une fois midi passé, je vois déjà le soir pointer son doigt, me disant que si je veux en profiter c'est maintenant, pas tout à l'heure, et c'est donc le moment que je choisi pour sortir de chez moi, prendre l'air et écrire.

Je ne sais ce qui se passe aujourd'hui, mais tout à l'heure, en passant devant la mairie de Rennes, il y avait des stands tenus par des militaires ainsi que de l'armement exposé. Est-ce une journée porte ouverte en vue de recruter ? Quoi qu'il en soit, je n'aime pas l'armée, ce qu'elle symbolise, c'est-à dire des guerres. Dans mon monde utopique, il n'y aurait pas d'armée, il n'y aurait pas divers pays, il n'y aurait donc aucune raison de se faire la guerre. Tout au plus il y aurait une police, histoire que tout le monde fasse l'effort de vivre en bon entente, mais la Terre serait l'unique pays. Il n'y aurait plus de français, de russe ou de marocain, il n'y aurait que des terriens dont les seules frontières du territoire seraient les mers.

Aujourd'hui encore je suis dans le quartier Saint-Anne, à la brasserie où je vais d'habitude, entouré de jeunes de vingt ans. Je ne sais pourquoi, mais je me demande ce que je ferai aujourd'hui si j'avais leur âge, avec qui je serai assis, quels seraient nos sujets de conversation, comment referions-nous le monde ? A cet âge, avec mes amis d'alors, nous parlions beaucoup des autres, de ceux que nous connaissions et de l'histoire qui leur était propre. Nous parlions également de leur rapport avec leurs parents, des emplois exercés par ces derniers, de la facilité qu'ils auraient ou non de trouver un emploi selon ce que faisait leur père ou leur mère. Nous comptions également ceux qui étaient déjà indépendant, ayant leur propre logement, leur propre studio ou chambre de bonne. Ils n'étaient pas nombreux à être dans ce cas-là. Oui, la majorité d'entre nous habitait encore chez ses parents, que nous soyons en couple ou non. Pour ma part, j'étais alors avec Virginie, et nous passions tantôt une semaine chez ses parents et tantôt une semaine chez ma mère. Je ne sais si c'est important de le signaler ou non, mais elle était du signe Capricorne, comme Cynthia. Que dois-je en déduire ? Les deux femmes qui ont compté dans ma vie sont du même signe astrologique. Moi-même je suis Vierge. Y a-t-il un truc, une affinité particulière qui relierait mon signe et le leur ? Oui, l'astrologie est une grande interrogation pour moi. Je ne parle pas de l'astrologie prédictive en laquelle je ne crois pas une seconde, mais de l'astrologie qui brosse des portraits, des personnalités, en fonction du lieu et du moment de votre naissance. Plus d'une fois j'ai été bluffé par certains de ces portraits.

C'est ma mère qui m'a amené à m'intéresser à l'astrologie. Je n'ai pas souvenir qu'elle s'y intéressait du temps où elle vivait avec mon père, mais je me souviens de la révolution que fût la sienne lorsqu'ils divorcèrent. J'avais alors quinze ou seize ans, et c'est là que ma mère commença à ramener à la maison des amies toutes plus étranges les unes que les autres dans mon regard. C'est à cette époque que je la vis plonger dans l'étude de l'astrologie, de la numérologie et d'autres discipline ésotériques. C'est également à cette époque qu'elle rencontra Jacqueline, une médium, qui se fera appeler par la suite Séraphina. Pendant une année au moins, ma mère l'hébergea avec son fils, fils qui avait l'âge de mon frère, soit trois ans de moins que moi. Oui, je ne reconnaissais plus ma mère et me demandai si elle ne devenait pas folle. Depuis cette époque, ma mère n'a plus jamais quitté cet univers. De même, de fil en aiguille, je la vis partir assister à des messes chrétiennes, à allumer des chandeliers et des bougies, à mettre au mur des effigie de tel ou tel saint, de telle ou telle sainte. En parallèle, Séraphina commença à monter un petit groupe de fidèle autour d'elle, des personnes qui venaient la consulter pour ses dons de médium. Deux ou trois fois j'ai assisté à ces groupes de prière, par curiosité, histoire de voir ce qui s'y passait et comment. Nous étions tous assis sur une chaise tout en formant un cercle. Puis nous mettions nos mains dans celles de nos voisins tandis que Séraphina faisait je ne sais quelle incantation. Une fois fini cette première prière commune, Séraphina s'adressait alors à chacun d'entre nous, un par un, individuellement, entrait dans une espèce de transe qui l'a liait au monde des esprits et répétait à la personne concernée les messages qu'elle recevait. Autant je trouvais Séraphina très gentille, serviable, autant dans le registre de la spiritualité je la trouvais complètement dérangée, ainsi que les personnes qui venaient la consulter, ma mère y compris. Oui, pendant quinze ans jamais il ne fut question de spiritualité ou de religion dans notre foyer et, vraiment du jour au lendemain, elle s'installa définitivement dans la vie de ma mère. C'est donc ainsi que j'ai découvert l'astrologie et c'est la seule pseudo-science qui m'a un petit peu parlé. Oui, en matière d'affinité, j'ai remarqué que je m'entendais très bien avec seulement quelques signes. De même, effet d'optique ou réalité, il me semble que certains signes sont beaucoup plus expansif que d'autres, que certains sont plus réceptifs à l'art qu'à la masturbation mentale, telle la philo ou la sociologie, etc. Oui, l'astrologie est grand mystère pour moi et je veux bien croire que la place des planètes au moment de notre naissance influe sur notre personnalité, tout comme la lune influe sur les marées. Du coup, et c'est resté une habitude chez moi, dès que je rencontrai une nouvelle personne, une nouvelle connaissance, je lui demandais en plus de son âge quel était son signe astrologique. Après je plongeais dans les petits fascicules de ma mère afin d'en savoir plus sur la personnalité de mon interlocuteur. Est-ce à dire que tout est à prendre à la lettre ? Certainement pas, mais, encore une fois, les grandes lignes d'un signe sont souvent troublantes car elles correspondent, peu ou prou, à la personne qui se trouve face à nous. Si j'avais pensé que cette pseudo-science pouvait se révéler exacte, nul doute que je serai devenu astrologue.

Cette époque où j'ai découvert ma mère sous un angle que je ne lui connaissais pas m'a un peu déstabilisé. C'est comme si subitement je découvrais quelqu'un d'autre, une personne que je pensais connaître, et en conséquence je ne savais plus quelle attitude adopter face à ses agissements, face à ses nouvelles convictions que je découvrais, face à ses nouvelles amies, Séraphina en tête, bref, j'étais un peu perdu dans ce nouveau monde. C'est également à cette époque que j'ai commencé à entendre parler de bouddhisme, de chamanisme, de mantra, de réincarnation, etc, bref tout un langage et un univers dont j'étais à mil lieux de penser qu'il existait. Souvent je me suis demandé d'où venait ce revirement complet de ma mère. Était-elle déjà auparavant attirée par cet univers ? Le fréquentait-elle alors qu'elle était encore avec mon père ? Lorsque mes parents se séparèrent, ils étaient criblés de dettes. Les huissiers sont même venu chez nous pour saisir nos meubles. Rejoindre ce monde spirituel était-il pour ma mère un moyen de se raccrocher à quelque chose pour pouvoir lutter, se battre, garder la tête haute, face à la misère qui était alors la nôtre ? Je me souviens comme elle se démenait en quatre, en six, en huit, pour que nous ses enfants ayons chaque jour de quoi manger, de quoi nous habiller. Avant de tomber au chômage, toujours à cette même époque, ma mère exerçait la profession de secrétaire de direction. Ne trouvant d'emploi adapté à son CV, je la vis faire des ménages tout en se reconvertissant professionnellement. Suite à une formation, elle devint commerciale et trouva un emploi dans une SSII, une société de travail intérimaire spécialisée dans les métiers de l'informatique. Cependant, à cause du montant des dettes qu'avait généré la faillite de l'entreprise d'import-export qu'elle avait créé avec mon père quelques années plus tôt, son salaire ne suffisait pas à faire face à toutes ses charges. Non, ma mère est une femme courageuse et combattante, je ne peux le nier, même si plus d'une fois nous nous sommes pris le bec, prêt à en venir au mains s'il le fallait. Oui, son monde et le mien ne sont pas compatible, pas plus que mon monde n'est compatible avec celui d'un croyant, quelque soit sa confession. Je suis obstinément rationnel, ou tout au moins j'essaie de l'être, cartésien et, pour ainsi dire, je ne crois que ce que je vois. Donc quand on me parle de paradis, de réincarnation, d'esprit qui nous parle, de messages reçus du royaume des morts, oui, je suis plus que dubitatif et c'est comme si on me parlait chinois. Auparavant je me battais contre toutes ces formes de croyances, y compris et surtout contre ma mère, puis avec le temps, les années, j'ai laissé tombé car il a bien fallu que je me rende à l'évidence, on ne peut ramener sur terre un croyant et peu importe en quoi ou qui il croit. La croyance, cette espèce d'intime conviction, est intouchable, indestructible pour celui qui la vit. Oui, la foi, cette espèce précise de foi, est quelque chose qui dépasse mon entendement. Souvent dans ma vie j'aurai aimé être habité par elle, avoir la certitude que tous nous avions bien un chemin à parcourir, que quelque soit ce chemin il aurait un sens, sens que je découvrirai une fois mort. Oui, j'aurai aimé croire en Dieu, en cette puissance unique qui nous aurait fait à son image et que, tôt ou tard, nous rejoindrons. Ainsi, quelques soient les déboires de notre vie terrestre, tous deviendraient supportables parce que nous saurions que l'essentiel n'est pas là, mais après, dans l'après-vie. Tout miser sur l'après-vie, voici ce que je reproche aux religions. C'est bien parce qu'il y aurait cette après-vie qu'il y a des terroristes qui se font sauter et qu'il y a eu les croisades. Puisque le monde meilleur est pour après, pourquoi s'emmerder à essayer d'en faire un ici-bas ? Autant éliminer ceux qui nous emmerdent et Dieu reconnaîtra les siens, comme le dit le fameux adage.

Je vois les gens passer, les gens marcher, errant pour combler leur journée, la remplir de quelque chose, d'où l'intérêt d'avoir un corps pour notre cerveau, car si le cerveau pouvait vivre sans le corps, à quoi occuperait-il son temps, que pourrait-il construire ou déconstruire ? Rien. Notre cerveau a besoin de notre corps pour être utile à quelque chose. Ainsi, tout au moins pour ceux qui y croient, il en va exactement de l'âme. A quoi servirait une âme sans corps ? A rien, strictement rien. Oui, quelque soit l'espèce vivante, quelque soit la matière vivante ou non, seule elle permet les choses. Notre soleil est matière, les planètes sont matières, l'arbre qui grandit est matière, le chat qui miaule est matière et nous, hommes, n'échappons pas à la règle. Oui, ma conviction est que nous sommes matière et uniquement cela, pensées y comprises, pensées qui ne pourraient exister sans ce support matériel qu'est notre cerveau, qui ne sont que le fruit des diverses réactions chimiques de nos neurones, de nos synapses, etc. Contrairement à Platon, je ne pense pas qu'il existe un monde des idées indépendamment de notre cerveau. C'est lui qui construit ce monde, le compose, le décompose et le recompose, raison pour laquelle nous pouvons changer plusieurs fois d'idée sur un sujet bien précis tout au long de notre vie. L'idée, même si nous ne pouvons la tenir dans notre main, est néanmoins matière. Le plus petit des insectes, la plus minuscule des créatures possède également son propre monde idée. Il sera aussi grand, aussi fourni que le lui permettra la taille et l'agencement de son cerveau. Chez nous l'homme, combien de million d'années se sont écoulées entre la naissance du premier cerveau reptilien et ce qu'il est devenu chez nous, évoluant, grandissant, se perfectionnant, se spécialisant ? Qu'en va-t-il de la végétation ? Un arbre n'a pas de cerveau, pas plus qu'une fleur. Pourtant ils ne poussent pas n'importe comment, ne poussent pas n'importe où, ont également une durée de vie déjà limitée, avant même que la graine ne soit plantée.

Bref, je nous regarde occupé nos journées, chacun à sa sauce, certains devant la télé, d'autres dans des promenades, d'autres encore au travail. Certains sont satisfaits, d'autres le sont beaucoup moins, et moi, au milieu de tout ça, comme tant d'autres malades, je me demande si je dois ou non être satisfait de ce que je fais de mes journées. Elles sont routinières, chaque jour est à peu près le même programme que la veille, le même cheminement que celui qui aura lieu demain. Je dort la matinée puis, entre midi et treize heure, je me décide à sortir. Je prend l'ordinateur, écrit toute l'après-midi à différentes terrasses de café puis, sous les coup de 17h00 ou 18h00, je rentre chez moi. Je publie alors sur mon blog ce que j'ai écrit puis c'est la télé qui prend le relais et ce, jusqu'à mon coucher, entre 20h00 et 22h00, cela dépend des jours. Entre-temps, soit tôt le matin soit tard le soir, je croise Cynthia qui se lève ou rentre de son lycée ou de de sa fac. Le matin, nous sommes tous les deux dans le gaz, il y a peu d'échange. Le soir, nous sommes tous les deux plus ou moins fatigués, mais il y a déjà beaucoup plus d'échange. La plupart du temps c'est moi qui décroche, n'arrivant plus à assimiler tout ce qu'elle me raconte. En cela la télé est plus simple. Peu importe que je suive ou non le fil directeur du programme que je regarde, les images sont là, comme silencieuses, muettes, et leur seule présence raconte déjà quelque chose. Oui, mes journées n'ont absolument rien d'extraordinaire, mais elles m’occupent, astreignent mon esprit à focaliser sur quelques petites choses, quelques petits sujets, et ainsi je ne m'ennuie pas, la matière qu'est mon corps permettant tout cela.

Ce soir Cynthia rentrera tard. A 18h00 elle aura donné ses derniers cours et dans la foulée elle devra participer à un conseil de classe. A quelle heure se terminera-t-il ? Puis, peut-être sous les coups de 20h00, elle arrivera à la maison, mais ne pourra pas encore se poser complètement. Effectivement, son amie Estelle arrivera à la gare à 22h30 et Cynthia ira la chercher. Pour ma part, à cette heure si tardive, je ne sais si je serai encore debout pour accueillir Estelle ou si je dormirai déjà. Je vais néanmoins essayer de l'attendre, retardant l'heure de la prise de mes médicaments du soir pour se faire.

Je ne sais pourquoi, mais je pense encore à mon frère. Je me demande à quoi ressemble l'appartement où il habite, si des bouteilles de bières traînent dans tous les coins. Je ne sais même pas si c'est un studio ou un deux pièces, s'il a une vrai cuisine ou une petite kitchenette, s'il habite au RDC ou en étage. Bref, je m'aperçois que je connais bien peu de chose de son quotidien, alors que vingt année durant nous avons vécu ensemble au quotidien, sous le même toit, mangeant les mêmes repas, participant aux mêmes conversations. Oui, tout cela m’apparaît aujourd'hui comme un monde étranger, presque comme une anomalie dans nos parcours respectifs tant aujourd'hui nous savons si peu de chose l'un de l'autre. A la limite, on pourrait même se demander si l'un intéresse encore l'autre et inversement. Oui, si nous n'étions pas lié par le sang, il est clair que nous ne nous côtoierions pas car nous sommes très différents, tant dans notre mode de vie que dans notre conception de beaucoup de chose. Oui, je pense que je garde le contact au nom de ce sang qui nous lie, contact qu'il ne recherche pas de son côté. Oui, nous n'avons pas la même conception de ce que signifie le concept de famille, cela est très clair. En cela, je me rapproche nettement de ma sœur et de ma mère sur la question. Pourtant je sais bien que ce ne sont pas les liens du sang qui font que l'on s'aime ou non, que l'on s'apprécie ou non, que l'on s'entende bien ou pas et, hormis les parents qui ont des devoirs envers leurs enfants, l'inverse n'est pas pour autant vrai dans mon esprit. De même, si nous avons du mal à nous entendre avec des membres de notre famille, la morale, nos valeurs, veulent que nous essayons néanmoins de faire l'effort de garder le contact, d'arrondir les angles, tous efforts que nous ne ferions pas envers des tiers qui nous indisposent. Cela n'est pas très cohérent, je le concède, mais je fais l'effort de garder le contact avec mon frère alors que je pense qu'il ne le mérite plus depuis longtemps. D'ailleurs qui est-il maintenant ? Je ne le connais même plus, je ne sais même plus ce qui se passe dans sa tête, quels sont ses désirs, ses souhaits, ses souffrances. Oui, plus les années passent et plus il m'est devenu un presque parfait inconnu.

jeudi 26 mars 2015

Symbole

26 mars 2015


Écriture automatique

Symbole, paradoxale, liberté, voici les mots qui s'affichent dans ma tête, tête non rempli, mais néanmoins pleine de mots, de déserts entre ces mots, d'espaces perdues où la jonction n'est pas encore, encore la nuit, encore l'envie, celle d'écrire, de dévoiler, d'éclaircir les pans entiers de mes cartes synaptiques, véritable cartographie de mon cerveau où, tel un navigateur, je cherche la boussole dans mes poches afin de pouvoir me diriger dans ce labyrinthe, labyrinthe de pensée qui ne me mènent nul part, ou plus exactement toujours au même endroit, celui de la vie et de la mort, car qu'y a-t-il d'autre dans l'existence ? Nous remplissons un vide, mais un vide qui n'est pas vide, un vide emplie de chose inatteignable à notre entente, nous sommes trop bête, pas assez intelligent, mais cela n'est-il pas normal puisque nous ne pouvons nous juger qu'avec la matière grise que nous a fourni l'existence, en quantité limitée, et nous ne pouvons faire plus que ce qu'elle nous permet de faire. Alors oser imaginer le vide que nous comblons, c'est être empli de prétention, c'est au-delà de l'ambition, c'est être orgueilleux au-delà de l'orgueil même. Ainsi, tout scientifique est prétentieux, fatalement, inexorablement, et moi-même qui recherche je ne sais quelle illumination, révélation, vérité, je suis aussi prétentieux qu'eux.

Faire de l'écriture automatique est un repos de l'esprit, esprit qui n'en réclame pas tant généralement, mais aujourd'hui le mien le réclame, l'acclame, défaisant ainsi ce que j'ai construit auparavant. La construction, l'édification, tout effort de réflexion pour maintenir droite la bâtisse, une tour Eiffel bancale néanmoins que le vent peut faire tanguer, surtout là-haut, au troisième étage. Paris, ville des lumières, ville de lumière, ville de miracle et ville de riche, symbole de la France, bien plus que l'atlantique ou la méditerranée, bien plus que « la duchère » que « vaux-en-velin ». Simulacre, succès damné, voici ce qu'est ma ville, Paris, ses pirouettes, ses diverses facettes, son étendue, sa pollution et son bruit, Paris, ville massacre, ville indélébile fait pour débile, débile de l'avant-garde, débile de nouveauté,débile de beauté aussi, oui, il y en a pour tous les goûts, de la femme frêle à la femme frigide, de la nymphomane à la lesbienne, car moi qui suis un homme je vous le dis, je me fous complètement des hommes parisiens. Ils ne sont qu'objet de décor dans cette ville lumière et seule la femme est convoitise, surprise agréable ou non, seule amène de décorer le bitume, les grandes barres, le tramway ou le métro.

Écriture automatique, comme pistolet automatique, à quadruple détente, ça part dans tous les sens sans rechercher le moindre sens, pas de panneau interdit, pas de panneau permis de passer, pas de feu vert, jaune ou rouge, pas de poisson à faire griller, les mots viennent comme ils vont et je fais mon seul partie de les poser tel qu'ils arrivent, par ordre d'arrivée puisqu'ils s'en vont sitôt déposé sur le simulacre de parquet qu'est l'écran vierge de mon ordinateur. Jouissance, faïence, sirupeux plaisir,je pense donc au charnel, à la cuisse, à la jambe, à son pied, un bas embrassant tout cela, ma main remontant l'entre-jambe pour de suite voler en l'air, à hauteur de visage, à hauteur de la joue à caresser, à fignoler, à aimer. Je vois alors les yeux de Cynthia, son regard merveilleux, son sourire si souvent absent, et n'ai que mes deux bras à lui ouvrir, à lui tendre pour la détendre, à lui tendre pour la défendre, mais la défendre de quoi, si ce n'est de ce bas-monde, monde impie fait de pies de toutes sortes, de pies sottes, de pies mercantiles et autres espèces de corbeaux qui ne valent guère mieux. Sur l'immense scène, dans les jardins de cet énorme théâtre qu'est l'existence, où se cacher, où se trouver, se retrouver, où être soi-même, y compris sur la glace du pôle nord ? Le spectacle est permanent, de partout jaillissent des créatures, des objets, un peu de nature dans nos villes bétonnées.

Oui, cela fait du bien d'écrire sans réfléchir. C'est un peu comme boire de l'eau alors qu'une grande soif nous tient en haleine. Plus rien n'existe, plus rien n'est important, seule l'eau qui coule dans notre gorge a raison d'être, seule elle est légitime, seule a importance, ça en est fini de la grammaire, de la syntaxe, il ne reste que le vocabulaire, des mots qui s'associent comme bon leur semble, sans confiture, sans conjoncture, sans fioriture, à l'aventure uniquement, en devanture, cachant derrière leurs lettres le nœud final de leur histoire.

Aujourd'hui le temps est morose

26 mars 2015

Ma nuit a été similaire à celle d'avant-hier, nausée, vomissement, nuit troublée. Dont acte, je vais cesser de dîner le soir et ce, jusqu'à mon prochain rendez-vous avec mon radiothérapeute début avril. Je ne comprends pas tous ces effets secondaires, surtout ceux liés à la digestion, car je ne vois pas le rapport qu'il y a entre mes neurones, mes deux métastases cérébrales irradiées au rayon X et ma digestion. Encore une fois, je me demande quelle partie de mon corps contrôle l'endroit de mon cerveau où sont situées ces deux métastases ?

Aujourd'hui le temps est morose. Ce matin il n'a pas cessé de pleuvoir et, en ce début d'après-midi, c'est le vent qui prend le relais. Le ciel est totalement couvert de nuages plus ou moins gris et, parallèlement, je me demande sur quoi je vais écrire aujourd'hui. J'aimerai avoir assez d'imagination pour écrire une histoire. Chaque jour j'en écrirai un nouveau chapitre et verrai là où ça me mènerait. Mais je n'ai pas cette imagination-là, celle qui est propre à l'écriture de roman. Des idées de romans, j'en ai plein. Par contre, leur contenu est un désert abyssal devant moi. Oui, trouver des trames est aisé, mais en faire un roman est une autre paire de manche. A côté de cela, écrire son autobiographie est un jeux d'enfant, tout au moins pour moi.

Je suis dans le quartier Saint-Anne et tout à l'heure, lorsque je suis arrivé à la terrasse où je suis attablé, le café était plein de jeunes. Pas un, pas une n'avait plus de vingt-cinq ans. Parmi eux je faisais donc ancêtre, dinosaure, et lorsque je les entends parler, discuter, converser, je mesure le fossé qui nous sépare, des mondes entiers qui nous isolent chacun dans notre coin. Oui, lorsque je les écoutes, je constate que leurs centres d'intérêts correspondent peu ou prou à ceux qui étaient les miens lorsque j'avais leur âge. Faire la fête, la musique, les série télé, la découverte du monde professionnel, les premières liaisons solides. Oui, même si je les sens un peu tendu, ils sont néanmoins encore dans l'insouciance, ignorant la pénibilité du travail sur le long terme, ignorant que l'on ne peut être éternellement et en permanence amoureux, ignorant tous les compromis qu'exige la création d'un couple, ignorant ce que signifie devoir payer ses factures chaque mois, ignorant ce qu'est la responsabilité d'être un parent, de devoir assumer ce choix. Oui, ils sont encore dans le bel âge, mi-enfant mi-adulte, menant malgré tout leur petit bout de chemin sans savoir pour autant où ce dernier les mènera. Pas un seul d'entre eux ne peut se visualiser à quarante ans, c'est certain, pas un seul n'a idée de ce qu'il vivra alors. Parmi eux, il en est peut-être quelques uns qui n'atteindront même pas cet âge, qui seront mort avant. Je me souviens de l'hécatombe qu'il y eut autour de moi lorsque j'avais leur âge. Sur une année j'avais perdu pas moins de trois amis. Deux sont morts dans des accidents de motos et le troisième d'une overdose, dans les toilettes de l'un des cafés de la porte de Saint-Cloud. Ils n'ont même atteint l'âge de vingt-cinq ans. En pensant à ça, malgré mon cancer, je me dis qu'enfin de compte j'ai bien de la chance, même si une grande part de ma vie a été tout sauf agréable. Oui, si j'étais mort à leur âge, je n'aurai connu ni Cynthia, ni Tony, ni quelques autres. Si j'étais mort à leur âge, ma fille n'existerait pas et, même s'ils n'ont pas été très nombreux, je n'aurai donc pas connu les quelques moments de plaisirs que j'ai passé en sa compagnie. D'un autre côté, si j'étais mort à vingt ans, je n'aurai pas connu tous les déboires que j'ai rencontré par la suite, déboires et déconfitures que j'aurai préféré ne pas vivre.

Aujourd'hui encore je pense à la mort, à la fin de vie, m'imaginant mourant, entrain de vivre mes derniers jours, ma dernière semaine. Dès que j'entends un peu de calme, un peu de silence lorsque je suis dehors, cela me replonge dans cet état d'esprit, état d'esprit que j'apprécie.

Je viens de quitter le quartier Saint-Anne, il y avait trop de jeunes, trop de bruits, et suis maintenant rue Vasselot, la rue piétonne du quartier République. Ici c'est beaucoup plus calme, presque silencieux et, fatigué comme je le suis parce que j'ai le ventre vide depuis trois jours, cela me repose. Si j'étais raisonnable, je m'efforcerai de manger quelque chose, là, de suite, mais je suis tellement ballonné que je n'en ai nulle envie. Peut-être grignoterais-je quelque chose en rentrant chez moi tout à l'heure, des gâteaux, mais même de cela je ne suis pas sûr. Pourtant je sens que j'ai faim, mais l’appétit n'est pas là.

Plus les heures passent depuis que je suis sorti, plus le soleil se manifeste. C'est agréable. Pour autant le vent ne cesse de souffler, ce qui est nettement moins plaisant. Je pense à ma mère, au mois d'avril, aux quinze jours que nous allons passer ensemble et j'espère qu'elle ne va pas m'épuiser à coup de conseils en tout genre. Sans même parler de conseil, ma mère est un moulin à parole et lorsqu'elle démarre une conversation, on ne sait jamais à quelle heure elle va s’arrêter. Elle a un avis sur tout, absolument tout, ça en est épuisant à la longue. De même, mais sans doute ne s'en rend-t-elle pas compte, elle se répète souvent, ce qui ne fait qu'en rajouter une couche supplémentaire sur ma fatigue, sur l'effort que me demande d'écouter l'autre et de me concentrer sur ses dires. Lorsque je lis, ce même type d'effort me fatigue également rapidement, raison pour laquelle je ne lis presque plus rien, même pas ce que j'écris car la relecture m'épuise vite.

Demain soir l'amie de Cynthia, Estelle, arrivera de Lyon. Elles vont passé un week-end ensemble, un week-end entre copines, et j'en suis très content pour Cynthia. J'espère que cela lui changera un peu les idées et qu'elle vivra de véritables moments de plaisirs en compagnie d'Estelle.

Dimanche dernier mon frère a fait une crise d'épilepsie. Il a eu ses premières crises lorsqu'il avait vingt ans et, depuis, épisodiquement, d'autres surviennent. Je n'aime pas çà car cela me rappelle Bruno, un ami d'enfance, qui est mort suite à une crise d'épilepsie alors qu'il n'avait que vingt ans. J'ai donc appelé mon frère hier afin de prendre des nouvelles et, au son de sa voix, j'entendais qu'il n'avait pas encore complètement récupéré. La fatigue se faisait sentir dans le son de sa voix, une sorte d'épuisement qui ne voudrait dire son nom. Mon frère est devenu insomniaque avec le temps. Donc il dort peu et il dort mal. A côté de cela, ceci expliquant peut-être cela, il n’arrête pas de boire, de faire la java le soir avec ses copains et copines, même s'il me dit qu'il a calmé la cadence. Lui, comme moi, ne prenons pas vraiment soin de notre santé, contrairement à ma mère et à ma sœur. Les personnes obnubilées par leur santé ont toujours été des mystères pour moi. Pourquoi cherchent-elles à vivre le plus longtemps possible ? Quelle est leur idée de la mort, que signifie-t-elle pour elles ? Et la vie, qu'est-ce que cela représente à leurs yeux ? Il est de toute façon claire qu'elles et moi ne sommes pas sur la même longueur d'onde tant je ne sacralise pas la vie, le fait de vivre, y compris s'il y a des plaisirs, de réels plaisirs. Oui, pour moi la vie n'est qu'un passage, une transition entre deux je ne sais quoi, un moment bref et futile pour soi-même si l'on se penche sérieusement sur la question. A la limite, notre vie est plus utile à autrui qu'à nous-mêmes et, parfois, elle est plus importante pour l'autre que pour soi-même. Oui, je ne sais de quand date cette mise en sacralisation de la vie, sacralisation mis en avant par toutes les religions monothéistes, mais également polythéistes. Est-ce ainsi depuis que l'homme est homme, du jour où il a pris pleinement conscience que vivre signifiait mourir ? De même, pourquoi avons-nous aussi peur de la mort alors que nous ne savons pas du tout ce qu'elle est ? Nous savons uniquement ce qu'elle n'est pas, autrement dit la vie, ses rires et ses pleurs, mais elle, la mort, qu'est-elle donc ?

mercredi 25 mars 2015

Maladie et mort

25 mars 2015


Je n'aurai pas dû manger de feuilletés hier soir car, je ne sais pourquoi je ne les digère pas, et ma nuit a donc été ponctué de nausées et de vomissements. Oui, je sais, comme entrée en matière il y a mieux pour débuter un texte. Simplement, même s'il est 13h00, je sens toujours mon estomac un peu noué, comme si la digestion n'était pas finie.

Depuis que je suis parti de chez moi, voilà une heure maintenant, le temps s'amuse. Pendant dix minutes vous avez de la grêles et les dix minutes suivantes sont un plein soleil. Entre temps de gros nuages noirs passent dans le ciel poussés par un vent fort, un vent en hauteur que l'on ne sent pas à hauteur d'homme.

Je me souviens qu'hier je terminais mon journal sur le sujet de la mort. Aujourd'hui, c'est de la maladie dont j'ai envie de parler, mais que pourrais-je dire de plus que je n'ai pas déjà dit ? Parmi la population des fumeurs, j'ai entendu qu'un sur deux développerait un cancer. C'est énorme comme proportion, surtout lorsque l'on sait que nous sommes des millions à fumer. Que font les pouvoirs publics qui se lamentent sans arrêt sur le déficit de la sécurité sociale ? Car traiter un cancer coûte cher, très cher, et c'est la sécu qui prend tout en charge. Oui, que fait le ministère de la santé, qu'attendent-ils pour interdire le tabac ? Mais là encore, santé en danger ou non, le nœud de la guerre est l'argent et la vente de tabac rapporte trop à l'état pour qu'il puisse se passer, du jour au lendemain, de cette manne financière. De même, les lobbys du tabac ne  ménagent pas  leurs dépenses pour que leur produit soit autorisé. Oui, les dirigeants des manufactures de tabac se foutent complètement que leur produit, la cigarette, tue un fumeur sur deux. Là encore, fidèle à la logique de notre système, seul l'argent qui rentre dans la caisse compte, le reste est subalterne. Face à cette hécatombe de mort, que pensez de nos politiques, des lois qu'ils ne promulguent pas et qui, pourtant, nous harcèlent sans arrêt avec leur principe de précaution ? Cela me fait penser à ce qui s'est passé la semaine dernière sur tout le nord de la France, Paris en tête, la pollution aux particules fines. Une semaine ce feuilleton a duré, pendant une semaine la maire de Paris à demandé à la ministre de l'écologie de décréter la circulation alternée dans la capitale, et elle n'a eu gain de cause qu'une fois la pollution finie. Oui, en matière de santé publique, entre les divers scandales liés aux activités pharmaceutiques à cause de certains de leurs médicaments, entre le tabac qui tue, la pollution qui, elle aussi, tue, je me demande ce que l'on peut attendre de nos élus tant les sommes d'argent engendrées par les enjeux de la santé sont considérables, voire énorme.

Contrairement aux quatre république précédente, les politiques ont perdu de leurs pouvoirs sous la cinquième république, de leurs influences réelles sur le cours des choses dans notre société et, ce, surtout depuis le choc et l'augmentation du prix du pétrole dans les années soixante-dix. Puis Mitterrand est arrivé au pouvoir et c'est en 1986, lorsque Chirac devint son premier ministre, que je commençais à m’intéresser à la politique, que je commençais à la comprendre. J'avais alors dix-neuf ans. C'est à cette époque que j'ai assisté à la création, à l'ouverture des premières agences d'intérims. De même, quelques années plus tard, Rocard créait le RMI. Effectivement, depuis 1974, la courbe du chômage ne cessait d'augmenter d'année en année et il fallait trouver de nouvelles solutions pour ne pas laisser les gens dans la misère, pour leur permettre de travailler, ne serait-ce qu'un peu. Toujours à cette même époque, j'ai vu la création de SOS Racisme et des Restos du cœur qui, à l'origine, ne devait exister qu'une année seulement. On sait de quoi il en est aujourd'hui, trente ans après. Oui, j'appartiens à une génération qui n'a pas connu les trente glorieuses, le plein emploi. J'ai connu la naissance du Front National, des 5% de suffrages qu'il faisait régulièrement lors des divers élections. Aujourd'hui ce dernier est à 25%. Que pensez de tout cela, de tous ces changement radicaux auxquels j'ai assisté, qu'il s'agisse de politique, d'économie ou de social ? Oui, j'appartiens à la première génération désillusionnée depuis la guerre, ne croyant plus en un avenir prospère, serein. J'ai vu et subi la discrimination raciale, j'ai vu également la discrimination sociale. Je ne sais pourquoi je repense à tout ça, pourquoi je dresse cet espèce d'inventaire, mais je ne peux m'empêcher de me demander comment tout cela va évoluer, surtout politiquement et socialement. Sommes-nous dans les prémisses de la fin de l'occident, de la fin de notre modèle, le capitalisme, la démocratie ? Tout comme l'empire Romain s'est un jour écroulé sur un ou deux siècles seulement, suivrons-nous la même trajectoire ? Rien n'est éternel, même pas un système, aussi bien rôdé, huilé  soit-il.

Mais revenons à ma maladie et à la mort, seuls sujets qui m'importe réellement. Du coup je pense aux enfants que nous faisons. Certes nous leur apportons la vie, la leur offrons, mais nous leur apportons également la mort et toutes les angoisses, peurs, craintes qui accompagnent l'idée de cette dernière. Est-ce cela vouloir aimer quelqu'un, l'enfant que nous ne connaissons pas encore, qui n'est qu'un embryon dont nous ne connaîtront le sexe que des mois après, oui, est-ce cela se dire aimer ou être prêt à le faire, alors qu'au bout du compte c'est sa mort, à court terme ou long terme, que nous mettrons au monde ? Je pense que si la nature avait fait en sorte que nos enfants meurent avant nous, nous agirions d'une toute autre manière avant de nous engager dans la parentalité. Mais la nature étant ainsi faite, notre disparition étant normalement programmée avant la leur, nous nous efforçons de ne pas penser leur rapport à leur propre mort, comme si nous avions déjà assez à faire avec nous-même face à ce même problème. Puisque mourir est inéluctable, pourquoi y penser, pourquoi s'y projeter ? De même, à mon âge, même si je n'ai pas tout vu ni ne connais tout, qu'ais-je de si fondamentale à découvrir encore ? Plus rien il me semble. Non, à présent la vie ne peut me proposer que des moments agréables ou désagréables, mais plus d'immenses surprises. Plus exactement, la dernière grande surprise a été la découverte de mon cancer et de tout ce que cela signifie dans mon esprit. Par rapport à cette surprise, même si je me rends de plus en plus en compte que les cancéreux prennent, le temps aidant, du recul avec bien des choses, cela ne veut pas dire pour autant que notre maladie signifie la même chose pour chacun d'entre nous. Par exemple, je vois ma mort directement conséquente de mon cancer. Oui, je n'arrive pas à imaginer que je pourrai mourir d'autre chose, d'un banal accident par exemple ou d'une autre maladie. De même, je n'arrive pas à m'imaginer vivre plus de cinq ans encore. Vous dire pourquoi, je ne le peux. C'est comme une espèce d'intime conviction, peut-être même un espoir si j'y réfléchie bien. Sans doute pensez-vous qu'il faut être dans un sale état psychologique pour souhaiter sa mort proche ? Pourtant, je me sens parfaitement à l'aise dans ma tête face à ce sujet. Oui, je ne regrette pas le temps qui passe, mais pour autant je n'éprouve pas l'envie qu'il s'éternise.

Mon ennemi, c'est l'ennui. Oui, je ne me supporte pas lorsque ma pensée n'est pas focalisé sur quelque chose, ne serait-ce que par la télévision, et que je suis inactif en conséquence. De même, je n'aime pas penser à voix haute. Non que l'exercice soit déplaisant, mais si je ne couche pas mes réflexions par écrit, alors c'est comme si elles tournaient en boucle dans ma tête, ne pouvant dès lors m'apporter un petit peu de repos, sauf si j'agis en conséquence. Je ne sais si je me fais bien comprendre, j'en doute un peu, tant il n'est pas simple d'expliquer un état d'esprit. Penser à ma mort par exemple ne me plonge pas dans la réflexion. Non, cela me plonge dans une espèce de mélancolie qui me berce tranquillement et agréablement. Du coup je ne m’ennuie pas et me laisse porter par les images, car ce sont souvent des images que je vois alors. Par contre, si je pense à mon cancer, alors de suite j'entre dans la réflexion. Aucune mélancolie sur ce sujet, aucune tranquillité, aucun apaisement. Pourtant de quoi est-il synonyme dans mon esprit si ce n'est de la mort ? Oui, tandis que le sujet de la mort m'apaise, le sujet de ce qui causera ma mort, cancer ou autre, me tend, voire me stress. Je crois que c'est parce que l'on ne peut que se faire une raison de la mort, on ne peut lutter contre elle dès lors qu'elle se manifeste. A l'instant T elle s'abat et voilà, tout est terminé. Tandis que face à la maladie, on peut lutter, se battre, élaborer des stratégies de vie ou de survie, bref, l'instant T peut être tributaire de notre action. Nous pouvons le repousser ou le précipiter, l'attendre ou jouer avec, tel que je joue avec en continuant à fumer par exemple. Néanmoins, toutes ces réflexions que m'occasionne la seule pensée du cancer, qu'il s'agisse du mien ou de celui d'un autre, celles-ci je ne peux les laisser enfermer dans ma tête à tourner en boucle et en boucle. Il faut que ces pensées sortent, d'une manière ou d'une autre, que je les pose sous mes yeux et non plus derrière ceux-ci, histoire d'avoir l'impression d'y voir plus clair, de conjurer le sort en quelque sorte, bref, c'est ma façon de me battre contre la maladie. Donc souvent je pense aux autres atteints par ce même mal, cette même maladie, et de les savoir vivants, vivantes, me donne du courage, de l'élan, l'envie d'aller de l'avant.

Oui, il est vrai que je préfère parler, écrire sur la mort, plutôt que sur la maladie. Quand je pense à la mort, je vois une immense forêt sous un paysage d'automne. J'y suis seul et me promène entre les arbres, les plantes. C'est le matin, peut-être aux alentour de 9h00, et je sais que je suis dans la forêt de la mort, qu'à un moment, au détour d'un arbre, elle me prendra. Je m'écroulerai alors au bas de cet arbre, ses feuilles par terre faisant mon lit. Je serai un peu recroquevillé, comme si je reprenais la position du fœtus, histoire de fermer la boucle. Autour de moi, sur moi, soufflerait un léger vent, une légère bise qui m'envelopperait comme pour me soulever et m'emmener ailleurs, cet ailleurs qui serait ma véritable destination, autrement dit l'habitat de la mort, son monde que je ne sais comment imaginer, mais dont je suis sûr qu'il ne sera ni l’Éden, ni le paradis, ni le purgatoire. Je pense la mort bien plus sereine que la vie. J'en veux pour preuve que tous et toutes, avant que nous ne soyons des embryons, des fœtus, nous étions dans son royaume, celui de l'absence de vie justement. Avons-nous rapporté avec nous des souvenirs de ce royaume du non-vivant ? Non, aucun. Si ce royaume était si terrible, si terrorisant, si effrayant, alors nous devrions avoir des parcelles de souvenir, car l’effroi, la douleur, la peur, la frayeur, ne laisse jamais personne indemne. Mais quand nous débarquons ici-bas, nous arrivons exempt d'inquiétude, totalement vierge de ce qui fut auparavant. Notre cerveau, ce qui fait la spécificité de notre espèce, n'est même pas construit. Lui aussi est vierge de tout ce qui est, de tout ce qui sera, y compris de sa propre mort à long terme. Rendez-vous compte que notre cerveau met près de vingt ans à se construire, qu'il nous faut près de vingt ans pour enfin pouvoir prendre du recul par rapport à tout ce que nous avons crus, tout ce que nous avons appris, et que ce même cerveau, jusqu'à notre mort, n'aura de cesse de continuer à s'adapter à son environnement. Oui, notre vie c'est notre cerveau. Si ce dernier tombe en panne, tel le coma, la crise d'épilepsie, l'AVC, certes la pompe qu'est notre cœur continue de fonctionner, mais nous, notre identité, celui ou celle que nous pensons être, où est-il ? D'un coup nous avons disparu, pour un laps de temps plus ou moins long, mais nous ne sommes plus là pour dire ou ne pas dire, agir ou non, aimer ou non. D'aucun croit en l'âme, au sens religieux du terme, cette part de nous qui subsisterait je ne sais où dans notre mort, après la mort. Pour ma part, je ne crois pas en cela. Je pense que nous ne sommes que notre corps, cerveau y compris, et que lorsque le corps s'éteint nous disparaissons à tout jamais, sauf dans la mémoire de ceux et celles qui restent, qui nous ont aimé et choyé. Oui, lorsque je regarde l'univers, tout du moins ce que j'en connais, je trouve extraordinaire que nous soyons sur la seule planète où il y a de la vie organique. Le cosmos étant si immense, il se peut parfaitement que d'autres planètes soient similaires à la nôtre, abritant également de la vie organique, mais pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Il se peut également qu'il n'y ait que notre planète qui ait cette vocation. Si je devais m'en référer aux textes bibliques, au paradis et à l'enfer, je vous dirai que la terre, la vie organique, notre condition humaine, tout cela est l'enfer. Oui, notre séjour ici-bas serait notre punition, mais punition à quoi, de quoi ? Dans la même veine, dans le même ordre d'idée, peut-être que plus tôt l'on meurt et mieux c'est, car plus tôt nous quittons l'enfer. Mais si la terre était l'enfer, cela implique qu'auparavant nous étions ailleurs, sous notre forme humaine ou autrement, et qu'après notre mort ici-bas nous irions encore ailleurs. Dans une certaine mesure, c'est la doctrine bouddhiste qui s'appliquerait, le principe de réincarnation. Malheureusement, tout comme je ne connais pas le Coran, je ne connais pas plus le Bouddhisme, sinon dans leurs grandes lignes.

Tout à l'heure j'ai appelé ma belle-mère et mon beau-père. Cela m'a fait plaisir d'entendre ma belle-mère, elle qui a un cancer beaucoup plus handicapant que le mien, une santé nettement moins bonne que la mienne. Cela devait faire presque un mois que je ne lui avait pas parlé et je m'en veux d'avoir attendu aussi longtemps avant de la rappeler. A ma décharge, j'étais dans mes propres problèmes, mes métastases, mes séances de radiothérapie et leurs effets secondaires. Mais ceci n'est pas une excuse, car prendre cinq minute de son temps pour prendre et donner des nouvelles à quelqu'un, qui plus est malade et seul dans sa chambre d'hôpital, ce n'est vraiment pas le bout du monde. Aujourd'hui j'ai donc entendu de vive voix ma belle-mère et elle avait vraiment une bonne voix. Comme qui dirait, elle avait la pêche et on la sentait battante dans le ton de sa voix. Elle m'a dit comme elle en avait marre de passer examen sur examen, pas moins de quatre la semaine dernière, auquel s'ajoute les séance de chimiothérapie. Il y a encore peu, elle faisait une séance par semaine, cela trois semaines d'affilées, puis il y avait un break d'une semaine et après, de nouveau, une série de trois séances. A présent, son cancer se stabilisant, elle a une seule séance toutes les trois semaines. Oui, dans son cas, il n'est nul question d'éradiquer son cancer du péritoine, il y a trop de métastases, mais le fait que toutes ces métastases se stabilisent, ne grossissent pas et que d'autres ne font pas leur apparition est encourageant. Moins de chimiothérapie, c'est de la fatigue en moins, des forces en plus, et Dieu sait si elle a besoin de force pour retrouver ses fonctions locomotrices, à commencer par le réapprentissage de la marche, réapprendre à s'asseoir, à tenir en équilibre. Oui, j'ai énormément apprécié d'entendre sa voix vive et ragaillardie. Elle m'a dit que lundi dernier elle avait craqué, fondu en larme et qu'elle n'était pas arrivé à les stopper. Je me dis que j'ai bien de la chance qu'elle se confie ainsi à moi, moi qui ne suis que son gendre. Cela veut dire dans mon esprit qu'elle me fait confiance et j'en suis vraiment honoré. Je me rappelle de notre première rencontre, en 2008, alors qu'elle s'inquiétait fortement de ma relation avec Cynthia. Effectivement, plus de vingt ans nous sépare Cynthia et moi-même et je comprends que ses parents aient été inquiets. Puis, petit à petit, la confiance s'est installée. Avec Bernard, le père de Cynthia, le courant est tout de suite passé. Avec Michelle, sa mère, il a fallu beaucoup plus de temps et je ne sais quand, exactement, elle m'accorda enfin sa confiance. Quoi qu'il en soit, c'est la première fois que je m'entends aussi bien avec des beaux-parents et, dans mon regard, dans mon cœur, ils sont devenus mes amis.

En parlant d'ami, immédiatement je pense à Tony et suis content à l'idée de le revoir prochainement, dès que je serai à Paris avec ma fille pour ses vacances scolaires. A l'avance je suis content des moments que nous allons passer ensemble, qu'ils soient brefs ou qu'ils soient long, et j'espère que lui aussi sera en bonne santé, pas trop affaiblie par le travail qu'il a repris, le replongeant dans un rythme soutenu qu'il ne connaissait plus depuis trois ans. Par contre je regrette que Cynthia ne puisse être là, car j'aime avoir autour de moi tous les gens que j'aime en même temps. Souvent je me tais, les écoute parler et m'imbibe complètement de l'atmosphère sereine qui en découle. Cela me détend, m'apaise et je me laisse bercer par leur conversation. De même, en montant à Paris plus de dix jours, j'espère que Luc, mon second ami, aura du temps à nous consacrer. Effectivement, entre sa grande famille, il a trois grands enfants, et son travail, il est ingénieur informatique, il n'a pas beaucoup de temps pour les loisirs. Luc, je l'ai donc connu quand j'avais seize ans. Son père était français, blanc de blanc, et sa mère nigérienne, noire de noire. Luc est donc un métis, comme moi et beaucoup d'autre. Lorsque je l'ai connu et jusqu'à très tard, plus de la vingtaine d'année, jamais il ne fut question de religion entre nous. C'est un sujet dont on ne parlait pas, comme si cela ne nous concernait pas. Aussi, quelle ne fût pas ma surprise lorsqu'il m'apprit un jour qu'il était devenu un musulman pratiquant. C'est ainsi, de fil en aiguille, que j'appris que le Niger était un pays musulman. Cependant cela ne m'a jamais expliqué pourquoi, presque du jour au lendemain, il est devenu musulman pratiquant. Oui, il fait la prière cinq fois par jour, ne mange pas de porc, etc. Quoi qu'il se passe ou doive se passer, il s'en remet tout le temps à la grâce d'Allah, ce qui, je l'avoue, m'exaspère parfois au bout de la journée. Moi, je ne m'en remet qu'à la grâce de nous-mêmes, de ce que nous humains choisissons de faire ou de ne pas faire, ne croyant pas une seconde que quoi que ce soit dans nos vies soit prédestiné, déjà écrit. Oui, je crois en le libre-arbitre, en la possibilité de faire des choix, même si souvent ce sont des choix par défaut, et qu'aucune histoire n'est écrite à l'avance. Donc ma maxime n'est pas « si Dieu le veut », mais bel et bien « si l'être humain le veut ». En cela, Luc et moi sommes complètement divergent et j'avoue que j'ai parfois bien du mal à accepter sa logique qui relève d'une espèce de fatalisme, voire de résignation que je ne peut accepter. Il est clair que si je ne l'avais pas connu alors que nous étions adolescent, je ne fréquenterai pas quelqu'un comme lui aujourd'hui, pas plus que je ne fréquentais des croyants pratiquants hier. Face à la religion, je suis radicalement dans l'optique de Michel Onfray. Tout cela n'est pour moi que supercherie, niaiserie, contes pour adultes, et du coup je n'arrive pas à comprendre les croyants, à les prendre au sérieux, bien que la plupart soit bien plus charitable, généreux et bienveillant que les non-croyants.