jeudi 30 avril 2015

Verdict

30 avril 2015


Logiciel de traitement de texte, page blanche, oui, aujourd'hui je n'ai pas spécialement envie d'écrire. Pourtant les nouvelles ne sont pas mauvaises, loin de là, j'en ai même eu de très bonnes ce matin, après avoir passé mon scanner cérébrale, après avoir vu mon radiothérapeute m'annonçant que ma métastase,  celle pour laquelle j'ai été traité au rayons X il y a deux mois, métastase qui mesurait à l'époque 2,4cm à régressé à 1,8cm aujourd'hui. Oui, la nouvelle est bonne,  c'est que la radiothérapie agit, mais je ne sais pourquoi, le cœur n'y est pas. Alors depuis ce matin je m'interroge. C'est quoi mon problème ? Qu'est-ce qui ne me convient pas ? Je suis donc dans l'expectative, essaye d'écouter ce que mon fort intérieur veut me dire, mais rien ne vient, là, tout de suite. Est-ce que je suis rassuré ? Un peu. Le radiothérapeute m'a clairement expliqué d'où provenaient mes maux de têtes, toutes ces décharges électriques qui envahissent encore par moment mon cerveau, me déstabilisant à chaque fois. Ce ne sont pas mes deux métastases, c'est l'oedème, le gonflement des tissus qui sont autour des métastases par de l'eau, à l'image d'une éponge qui absorbe de l'eau, mais le crâne étant un périmètre bien délimité l'éponge ne peut plus se déployer et, à un moment donné, elle compresse les autres parties du cerveau, d'où ces décharges électriques, d'où ces maux de crâne digne de la migraine. Une nouvelle ordonnance a été faite, je reste à 80mg de Solupred, ma cortisone, réduisant la dose tous les quinze jours, car d'après mon radiothérapeute les effets secondaires de tout ce bordel devrait cesser d'ici une à deux semaines. Je l'espère, le souhaite, car je commence à en avoir marre de sentir le poids, au sens littéral de ce mot, de mes pensées, du moindre mot qui me traverse l'esprit. Cependant, je le ressens et l'éprouve bien, je ne suis pas content. Aurai-je préféré qu'il m'annonce une quatrième métastase ? Parfois je me le demande.

Depuis hier après-midi il pleut sur Rennes. Je crois que mon humeur accompagne le temps, oui, je suis d'humeur pluvieuse. Qu'est-ce à dire exactement ? Je n'en sait rien, je crois que la formule se suffit à elle-même, qu'il n'est nul besoin de la décortiquer plus que cela. Cynthia était avec moi ce matin, toute la matinée. Comment a-t-elle pris toutes ces nouvelles ? Avec soulagement je crois, mais différemment de moi quoi qu'il en soit, c'est certain. Tant mieux qu'elle soit soulagée, c'est un poids en moins sur mes épaules, dans mon cœur, le poids de son inquiétude.

Là, je suis en état d'appeler mon frère, j'ai même essayé, mais je suis tombé sur sa messagerie. Peut-être que pour une fois il travaille, à moins qu'il ne se remette de je ne sais quelle beuverie. Platement, d'une voix monocorde, je lui aurait annoncé que la taille de ma métastase diminuait, que  cela me laissait pourtant froid, ou presque. Lui m'aurait écouté, patiemment, sans dire mot, me répondant oui, oui, oui. Il n'y aurait eu ni inquiétude ni euphorie dans sa voix, juste une écoute, comme d'habitude. J'ai également pensé à appelé Tony, mais je me suis ravisé car lui, certainement, m'aurait pris la tête sur mon humeur non pas morose, mais monotone, malgré les bonnes nouvelles. Je pense également à ma mère. Elle mériterait quelque part de savoir ce que j'ai appris ce matin. Mais non, je lui en veux trop d'être toujours aussi envahissante. Si je l'appelle, ce sera après pour elle un excellent prétexte pour me rappeler et, tôt ou tard, me re-bassiner avec ses médecines parallèles, sa science infuse, ses vérités toutes faites. Donc je ne l’appellerai pas. J'ai aussi pensé appelé ma sœur. Ce qui m'a retenu, c'est d'entendre dans sa voix, à tout les coups, de la satisfaction, mais pas n'importe quel type de satisfaction, de celle qui font que c'est comme si le cancer n'existait plus puisque la tumeur régresse, une satisfaction qui lui permet de retourner tranquillement dans son petit monde à elle, loin de ma maladie, loin du malade que je suis. Mais puis-je lui en vouloir qu'elle veuille éloigner d'elle l'inquiétude, la peur, le stress ? Bien sûr que non, mais pour l'heure je n'ai pas envie d'entendre ce genre de satisfaction. Donc je suis là, toujours à la terrasse du café dans le quartier Saint-Anne, tantôt à poser des mots sur cette page, tantôt à regarder autour de moi, que ce soit le ciel ou les gens, surtout des jeunes dans ce café.

Cancer, cancer, le pot de terre contre le pot de fer ? Mais qui est ton pot de fer ? En soi tu n'es rien. Effectivement, une cellule cancéreuse, une tumeur cancéreuse, qu'est-ce que c'est ? Rien de plus qu'une bestiole qui nous emmerde à un point précis de notre corps et contre cette merde, nous avons des pots de fer. Ils s'appellent chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie. Oui, nous avons le pot de fer. Cependant il est inefficace sur le long terme car la clé secrète du cancer est sa reproduction, il est une poule qui pond sans cesse des œufs et ce, dans tous les sens. Alors nous avons beau cibler un ou deux œufs avec nos rayon X, s'il y en a trop, on ne peut plus rien. La guerre des étoiles n'est pas encore pour aujourd'hui. De même, du fait de l'agressivité de la chimiothérapie vis-à-vis de nos cellules saines, les globules blancs pour commencer, là-aussi on ne peut sans cesse en user. Quant-à la chirurgie, que peut-elle lorsqu'il n'y a plus rien à enlever, lorsqu'elle ne peut plus enlever sans mettre elle-même notre vie en danger ? Oui, la cellule cancéreuse n'est rien, c'est sa capacité à se reproduire à une vitesse phénoménale qui est le vrai danger, le seul danger.

Je pensais que je n'écrirai pas beaucoup, que je n'aurai pas grand chose à dire, et pourtant je m'aperçois que je tartine néanmoins. Comme quoi, je serai toujours un mystère pour moi-même, pensant je ne sais quoi et agissant pourtant différemment. En tout cas, écrire fait que s'estompe petit-à-petit mon mécontentement initial, ce sera au moins çà de pris. Oui, étrange effet que l'écriture, tout du moins sur moi. Systématiquement cela m'apaise, me fait redescendre de mes branches, que ces dernières soient joyeuses ou non, et petit-à-petit je retrouve un équilibre, comme un peu plus de sagesse, de recul, ce qui ne veut pas dire que j'ai compris tout ce qui se passait en moi, en l'autre, ici ou là-bas.

Demain n'est pas un autre jour, tout au moins pour moi. Oui, demain sera le même jour qu'hier, le même jour qu'aujourd'hui, car désormais et ce, depuis presque deux ans, chacune de mes journées est rythmée par le cancer, qu'il s'agisse de mes pensées à son sujet ou de ses manifestations. Donc j'attends, chaque jour j'attends la mauvaise nouvelle, la prochaine manifestation de sa présence et chaque soir seulement je suis content, content d'avoir vécu néanmoins une journée de plus tout en me demandant ce qu'il en sera le lendemain. Au réveil, c'est comme si j'étais déjà aux aguets, mais pas forcément dans le stress, c'est même plutôt rare, mais aux aguets quand même. Ensuite s'écoule la journée et, où qu'aillent mes pas ou mes pensées, irrémédiablement quelque chose me ramène à ma condition, celle de malade du cancer, malade en plein soin, malade qui ne peut voir l'horizon car complètement immergé dans ses soins, avec cela pour seul horizon, les soins et encore les soins. Cela camoufle un peu le paysage, c'est bien vrai, et le soleil n'est plus le même tout comme la pluie. Et il y a tous ces êtres autour de nous, à commencer par ceux que nous connaissons. Là-aussi il y a un voile. Nous ne les voyons plus comme avant, sans doute parce que nous-même nous ne nous voyons plus comme avant. Oui, se voir différemment transforme notre regard sur bien des choses, être chers y compris.

Je pense à mon autobiographie « Chacun est seul » et me demande si je vais la reprendre pour la compléter, y rajouter des éléments et des événements que j'ai occulté dans un premier temps. Effectivement, tel quel, on pourrait croire que je n'ai vécu que des moments pénibles dans ma vie. Pourtant c'est faux, j'ai également vécu plein de moment heureux, comme la naissance de ma fille qui, à peine sorti du ventre de sa mère, fut déposer sur mon torse nu, juste sur mon cœur. Elle ne pleurait pas, me fixait des yeux et, de mon côté, je faisais de même sans dire un mot. Je la contemplais, nous nous découvrions, je commençais à apprendre à l'aimer, à l'apprécier, elle, cet être encore inconnu un quart d'heure auparavant. Oui, même si ma mémoire me joue des tours, je sais parfaitement que j'ai connu ponctuellement des moments de réel bonheur qui méritent autant leur place que mes malheurs dans ce qui est l'histoire de ma vie.

mercredi 29 avril 2015

A Cynthia

29 avril 2015


Je me souviens lorsque nous nous sommes rencontrées, d'abord sur la toile puis place Bellecourt, à Lyon, où je voulais t'offrir un avenir lumineux. Quand est-il aujourd'hui, sept ans plus tard, je ne te tend qu'un avenir sombre, voire noir. Je le sais à présent, tu patientes,  tu attends sans ambiance, sans sucre et sans miel, le moment fatidique, ce moment où pour la première fois de ta vie tu seras seule, isolée comme jamais tu ne l'as encore été, même si je le sais, tu seras accompagné, ne serait-ce que par ton père.

Je me souviens de ce corps de ferme que tu voulais acquérir. Je me souviens que je m'étais engagé à le retaper, à le remettre à neuf quelque soit la masse de travail qu'il exige. Cela aussi n'est plus, c'est un peu plus de lumière qui s'est éteinte, définitivement, car comme moi tu le sais, le temps nous est compté.

Pourtant ta vie n'est pas fini, peu importe mon départ, et tu dois la vivre à fond, dans tes éléments, qu'ils soient d'ordre affectifs ou professionnels. Oui, tu n'auras pas à baisser les bras, ce serait une ineptie, une injure  la vie, ou alors tues-toi de suite.

J'ai voulu t'offrir le soleil et voilà que je te tend un néant, comme tu me l'as si bien dit. Ce néant, c'est juste l''inconnu en ce qui te concerne, ni plus ni moins. Encore tu rencontreras des gens, ils te plairont ou non, encore tu auras ta famille, avec ces agréments et ses désagréments, et, je l'espère, tu rencontras sans doute une autre âme sœur, nous sommes si nombreux sur cette terre.

Que tu m'oublies ou non, cultives ma mémoire ou non, en public ou en silence, sais-tu que je ne le saurai pas là où je serai, dans ce néant dont nul ne connaît ni la forme ni le fond ? Alors à quoi bon s'attarder sur moi trop longtemps. Il faudra que tu sortes, prennes de bon bol d'air, cagoles tes chats et tes  poules, invites tes amies, amis, famille, collègues, bref, que  tu profites de ce que la vie tend au vivant et qu'un mort ne peut plus prendre.

Oui, ta vie continuera, quoi qu'il en soit, et il serait dommage qu'un chagrin, qui passera de toute façon, tôt ou tard, t'abîme plus que de raison.

Quand le mal revient (II)

29 avril 2015


Ainsi, hier j'ai pleuré plusieurs fois dans la journée, conséquence de tout ce qui se passe physiquement sous mon crâne, dans mon cerveau, décharges électriques et maux de tête en continue, jusqu'à mon coucher, le tout révélant à nouveau à ma conscience ma peur de disparaître, de mourir dans un proche immédiat. Alors j'ai recontacté mon psychiatre, celui que voyais depuis mon arrivée à Rennes et avec qui j'avais cessé mes consultations voici bientôt deux mois. Je sorts à l'instant de mon rendez-vous avec lui et, contrairement à ce que je présumais,  il n'a pas jugé utile de ma mettre sous anti-dépresseur. Je reste donc avec mon traitement actuel, un neuroleptique dont il m'a augmenté la dose du soir, afin que je dorme mieux, et toujours mon anxiolytique, le Xanax.

Dans que état suis-je aujourd'hui, moralement et physiquement ? Je sens toujours en moi cette envie de pleurer, mais pleurer sur quoi, contre qui ou contre quoi ? Le sort en est ainsi, je fais partie du lot des cancéreux, sans distinction aucune avec ceux et celles qui ont une autre forme de cancer, car tous nous sommes dans la même merde, avec certainement les mêmes peurs dès que la maladie se rappelle à notre bon souvenir, s’interrogeant certainement au moins une fois par jour sur l'évolution de notre maladie, sur le temps qu'il nous reste à vivre, se demandant s'il est bien sain, sage, de faire des projets et, quand bien même nous en ferions, si nous auront le temps de vivre leur concrétisation. De même, constatant notre état actuel et peu importe à quel stade est notre maladie, comment s'empêcher de se demander dans quel état nous serons demain, dans un mois, dans six mois ou dans un an ?

Dans mon crâne, depuis hier, l'augmentation du Solupred, mon anti-inflammatoire et d'un autre dragée contre les maux de tête, une espèce de mélange de paracétamol et de dérivés de morphine, cela va un peu mieux. Il est 11h30 actuellement et depuis mon réveil, vers 5h00 ce matin, je n'ai eu que deux ou trois moments ces rafales de décharges électriques, décharges qui ne font pas mal en soi, mais qui désactivent tous mes sens le temps de leur présence, vue, ouïe, toucher, etc. A côté de cela, sans doute grâce au nouveau dragée que m'a prescrit hier mon médecin généraliste, c'est uniquement un arrière-fond de maux de crâne que je ressens, sommes  toutes tolérable.

Hier soir j'ai eu le besoin d'entendre la voix de ma fille, mais ayant peur de pleurer au  téléphone, ayant peur qu'elle m'interroge sur mon état, je l'ai néanmoins appelé mais ai vite abrégé notre conversation. Je lui ai simplement dit que j'avais envie d'entendre le son de sa voix, lui ai posé quelques questions sur sa rentrée scolaire et j'ai ensuite raccroché. Cela a été bref, mais m'a fait du bien d'entendre l'insouciance dans sa voix, à mille lieux de ce que je vivais avec et sous mon crâne. Du coup je repense à ma mère, à mon séjour chez elle à Paris, un séjour qui me laisse un bien mauvais souvenir. Effectivement,  je suis monté à Paris pour prendre des vacances, autrement dit sans ma maladie, sans mon cancer ou quoi que ce soit aurait pu me ramener à lui. Dans ma maladie, j'y suis toute l'année, chaque jours, toute la journée ou presque, et prendre des vacances, dans mon esprit tout du moins, c'est s'évader, prendre du recul, le large avec son quotidien, se permettre de rêvasser, d'oublier, de se croire quelqu'un d'autre avec une autre vie l'espace d'un instant. Mais dès mon arrivée chez ma mère, ce fut tout sauf çà. J'ai atterri dans un hôpital parallèle dont la pratique est de soigner avec des médecines parallèle. Le matin, comme dans les vrais hôpitaux où l'infirmière vous réveille en vous remettant vos premières pilules de la journée, j'ai eu le droit à ce même manège de la part de ma mère. A peine avais-je mis le pied hors du lit qu'elle me présentait déjà ses mixtures. De même, son seul sujet de conversation était le cancer et la manière dont, elle, pensait qu'il fallait le traiter, n'hésitant pas à cracher vertement sur toutes les thérapies chimiques existantes, qu'il s'agisse de chimiothérapie, de radiothérapie ou  autre. En d'autre terme elle m'envoyait à la gueule que la manière dont les médecins avaient pris en charge mon cancer, avec mon entier aval, n'était que merde, ne servait à rien ou presque, la vérité  étant dans ses recettes miracles et pas ailleurs. Oui, être chez elle était bien pire que d'être dans un véritable hôpital. Lorsque nous sommes à l'hôpital, même si nous ne savons pas trop pourquoi et pour combien de temps, au moins une chose est sûre : nous savons que nous ne sommes pas en vacance. Ainsi, cinq ou six jours après mon arrivée chez ma mère, j'ai donc remis les choses en place, lui ai dit de me foutre la paix avec ses traitements et ma santé et que c'était à moi de décider de manière de vivre et de mourir. Cette explication eut lieu chez ma sœur, alors que nous étions tous à table, ma fille y compris. Depuis, jusqu'à mon départ, ma mère s'est tenu à distance de ma personne et, enfin, j'ai commencé à me croire un peu en vacances. D'aucun me diront qu'elle ne pensait pas mal. A ceux-là je leur répondrai que si quelqu'un ne vous demande pas votre avis, ne vous demande pas votre aide, en générale le mieux est de rester dans votre coin. Ce genre de différent entre ma mère et moi ne date pas d'aujourd'hui. D'aussi loin que je me souvienne il en a toujours été ainsi et pas qu'avec moi, ma sœur et mon frère en ont également pâti. Ma mère, qui pourtant est curieuse de tout,  s'intéresse à tout, est paradoxalement complètement fermé d'esprit dès qu'elle s'est faite une idée, une opinion sur quelqu'un, quelque chose ou un fait. Dès qu'elle a une idée sur une question, sur un problème, jamais plus vous ne pourrez modifier son point de vue. Aussi je vous laisse imaginer son attitude si vous êtes en désaccord avec elle, je vous laisse imaginer ce qu'elle pensera de vous, et sachez qu'elle ne prend pas de gant.

La santé, s'en préoccuper dans le but de vivre longtemps, le plus longtemps possible, dans un corps sain et un esprit sain, ne m'a jamais intéressé. Même si cela choque certaines tournures d'esprit, met à mal certaines visions de la vie, depuis toujours mon parti pris a été de vivre le plus intensément possible, quitte à faire les pires folies, de ne répondre qu'à mes désirs, mes souhaits, car sachant que je n'ai qu'une vie et qu'il n'y en aura pas de seconde, à quoi rime donc que je me soumette à toutes les contraintes qu'une vie réglée, conforme à la norme, impose, dès lors que ces contraintes m'empêche de me sentir vivre, de me sentir exister. C'est la raison pour laquelle le métro-boulot-dodo n'a jamais été mon créneau et ne le sera jamais, non parce qu'en soit cela me dérange, aucunement, mais les conditions de travail et les pressions exercés par la hiérarchie, le management, dans tous les emplois que j'ai exercé, ont tôt ou tard fini par me taper le système, raison pour laquelle j'ai systématiquement démissionné de tous ces derniers. De même, dès que j'ai réalisé dans quel monde de merde nous vivions, j'avais alors dix-sept ou dix-huit ans, il était déjà clair pour moi que je n'avais pas envie de durer dans ce dernier. Mourir à la quarantaine ou la cinquantaine me convenait alors très bien. D'ailleurs, dans les hauts et bas de ma vie, plus d'une fois je me suis posé la question de mon suicide, question que je me pose encore aujourd'hui malgré que j'ai une fille à présent et ma compagne. Je ne suis pas fait pour endurer ce que je juge absurde, ainsi en est-il. Être malade, je ne suis pas contre, cela fait partie de la vie, mais en souffrir, cela je le refuse, que cette souffrance soit physique ou psychologique. Donc soit je trouve des palliatifs pour ne pas souffrir et alors je suis d'accord pour continuer à vivre, soit je n'en trouve pas et je ferai tout pour abréger mes souffrances, y compris par le suicide s'il le faut, qu'il soit assisté ou non.

Lorsque j'étais à Paris, la patronne d'une brasserie de mon quartier disait de Tony, mon meilleur ami, qu'il était une personne triste en son fort intérieur. Est-ce que moi-même je le suis ? Je  ne le crois pas. Je pense que je suis surtout une personne lassé, lassé des innombrables efforts que j'ai moi-même fait ou que je vois d'autres faire, efforts qui, dans leur large majorité, m'apparaissent complètement absurdes et, aujourd'hui, du fait de ma maladie et de ma brève échéance dans ce monde, encore plus absurdes que je ne le pensais.

mardi 28 avril 2015

Quand le mal revient

28 avril 2015


Ais-je le moral aujourd’hui ? Pas vraiment. Mais par où commencer tellement c'est à nouveau le bordel dans ma tête. Premièrement un rêve, encore un, m'a réveillé vers cinq heure du matin. Dans ce rêve, je m'arrivais plus à respirer, je visualisais mon poumon encore sain qui n'arrivait plus à se contracter pour respirer l'air, l’oxygène, et parallèlement je culpabilisais de m'être remis à fumer, ce qui est vrai dans les faits même si comme commune mesure avec ce que je fumais auparavant, avant l'apparition, la découverte de mon cancer. Dans ce rêve j'étais donc entrain d'asphyxier, ce qui m'a réveillé. Néanmoins j'ai essayé de me rendormir, mais vers six heure je me lavais définitivement. Là, quelle ne fût pas ma surprise de découvrir que ma tête me jouait encore des tours, exactement les mêmes qui ont précédé mon départ à Paris, des espèces de décharges électriques qui envahissent mon cerveau, laps de temps où a chaque fois il me semble partir vers une espèce de coma, de non-conscience, où tout s'arrête dans mon esprit qui semble comme terrassé. Pourtant j'ai augmenté mes doses de Solupred la dernière fois et c'est ainsi que tout s'est bien passé à Paris, au moins à ce niveau-là. De 40mg, j'étais passé à 60mg. Que dois-je faire maintenant, augmenter encore la dose alors que j'étais sensé arrêter ce médicament au mois de mai ? J'ai donc appeler l'hôpital, le service de radiothérapie, et jeudi je dois passer un scanner cérébrale en urgence et verrai mon radiothérapeute dans la foulée. D'ici-là, c'est mon médecin généraliste qui va prendre le relais. J'ai rendez-vous avec lui en fin d'après-midi et, je le suppose, nous augmenterons la dose de cortisone, c'est à dire le Solupred.

Je n'ai plus de force, mais il est vrai que je ne mange presque plus depuis des semaines, au mieux un petit repas par jour, et que cela doit jouer sur mon état général. Oui, depuis mes séances de radiothérapie, cause d'elles ou non, j'ai perdu tout appétit, je ne ressens plus la faim et manger m’apparaît comme une corvée. Aujourd'hui, privilège du bordel de mon cerveau, j'ai des vertiges, tout tangue un peu, mais je me suis forcé à déjeuner ce midi, au café^même où j'écris en ce moment. Ce déjeuner, un plat du jour, a été laborieux à manger du fait de la perte de ma dextérité de ma main droite ajouté à mon état de ce jour. Je sens le repas qui  me reste sur l'estomac, je suis essoufflé, essoufflé comme je le suis à chaque fois que je fais un mouvement maintenant.

Bref, je suis trop fatigué aujourd'hui, trop assommé pour poursuivre plus longtemps ces lignes, et c'est ainsi que je m’arrête.

lundi 27 avril 2015

Paris

27 avril 2015


Il est 14h30, j'ai dormi toute la matinée et, parce que le soleil est présent, cela m'a décidé à sortir. Je suis donc rentré à Rennes, chez moi, avec Cynthia que j'ai croisé cette nuit à mon arrivée, vers une heure du matin, et ce matin, juste avant qu'elle ne parte au travail. Phénoménale est la différence sonore entre Rennes et Paris et, afin de profiter pleinement du calme de Rennes, plutôt que de sortie avec mon ordinateur afin d'écrire, j'aurai pris Cynthia par la main si elle avait été là afin que nous nous promenions dans la ville. Non, ici personne ne courre, chacun prends son temps dans le rythme qui est sien, et comme je suis dans le quartier piétonnier du quartier Saint-Anne, pas de bruit de véhicule non plus. Paris est un enfer qui ne dit pas son nom, où la tentation est omniprésente du fait de la profusion de commerce en tout genre, mais tout cela est du faux-semblant, sans grand rapport avec la valeur réelle de bien des choses, tel que le moment présent par exemple. Oui, à Paris nous sommes toujours dans le moment suivant, à prévoir, élaborer, que ce soit sur un trottoir pour éviter d'être bousculer par des gens, ou que ce soit sur le choix de la sortie à faire dans la soirée alors que la matinée ne fait que commencer. Il a fallu que je parte longtemps de cette ville et qu'advienne ma maladie pour que je comprenne pleinement le mode de vie qui a été le mien et l'état d'esprit qu'il engendre. Pour un parisien, ne pas se projeter ou ne pas le vouloir relève d'une forme de démence tant cette état d'esprit est incompatible avec cette ville qui est mouvement, qui l'impose, voire l'exige. Si vous ne prévoyez rien, si vous n'avez rien de prévu, vous êtes regardé comme une espèce d'extra-terrestre, presque un danger potentiel tant votre attitude remet en cause la logique parisienne. Il n'est alors guère étonnant que les parisiens qui veulent goûter au moment présent s'exilent une semaine ou deux dans des monastères ou des coins reculés, endroits où la cadence parisienne est absente.

Dans le train

26 avril 2015


Ça y est, je suis dans le train qui me conduit à Rennes, je quitte Paris, son bruit, son mouvement, son agitation permanente, et m'en vais retrouver le calme et mes petites habitudes. Ce soir, avant de partir pour la gare, j'ai dîner chez ma sœur. Ma nièce et son compagnon m'ont accompagné jusqu'à la gare, jusqu'à mon train. Nous avons bu un dernier verre ensemble devant la gare Montparnasse pis, une fois arrivé à mon wagon, nous nous sommes dit longuement au revoir. Demain j'appellerai Tony pour le remercier d'avoir été disponible, même si je n'ai pas eu grand chose à lui dire, même si je n'ai pas été d'un grand amusement ou d'une grande détente pour lui. Il n'empêche que comme d'habitude il a été présent, fidèle à l'image que j'ai du personnage. Là, maintenant, je m'en vais retrouver Cynthia, ma Cynthia, et tout à l'heure, d'ici deux heures à peu près, je serai allongé à ses côtés, dormirai auprès d'elle.

Ce midi, comme convenue hier avec mes amis de la porte de Saint-Cloud, j'ai été les retrouver pour l'apéritif. Tous ceux présents, Tony y compris, étaient des portugais et s'interrogeaient pour se donner plus tard, en début de soirée, rendez-vous dans un café portugais afin de regarder un match de foot concernant le championnat du Portugal. Nous sommes resté ensemble un peu plus d'une heure et c'est à ce moment-là que j'ai dit au revoir à Tony, avec un petit pincement au cœur il est vrai, me demandant quand je le reverrai à présent. Effectivement, jusqu'à présent, il m'était simple de monter à  Paris car je logeais chez ma mère, dans le cinq pièces où j'ai grandi. De même, du fait de la taille de l'appartement, il m'était également aisé de prendre ma fille avec moi sur Paris. Mais les choses vont changer, dettes de ma mère oblige, car elle a reçu son avis d'expulsion de son appartement dû à des loyers impayés. Effectivement, même si ma mère réside dans un HLM, du fait du montant ridicule de sa retraite, elle ne pouvait assumer seule un loyer de 800€. Cependant, l'organisme qui gère son appartement lui en a proposé un autre, un deux pièces, toujours dans le quartier de la porte de Saint-Cloud, logement qu'elle devrait intégrer en septembre prochain. Du coup, il ne me sera peut-être plus aussi aisé de descendre à Paris dans l'avenir, sauf si je suis seul. Cela signifie que quelque soit l'endroit où j'habiterai dès cet été, c'est dans ce logement ou cette maison que je recevrai désormais ma fille.

Ayant encore plus d'une heure à passer dans mon train, je me demande sur quoi je pourrai écrire et devinez ce qui me vient en tête ? La maladie, le cancer, ce crabe qui m'enserre de ses pinces, qui ne semble pas vouloir me lâcher les neurones, qui veut grossir et grandir en moi, à notre détriment à tous les deux, car me tuant par son désir d'immortalité, il se tuera ainsi lui-même. Quelque part, nous les humains, lui ressemblons quelque peu. Par notre désir de puissance, notre volonté de dominer, que ce soit soi-même, l'autre ou notre environnement, nous détruisons ainsi bien des choses et bien des êtres. Parfois je pense à nos lointains ancêtres, les premiers homo-sapiens, qui ne devaient pas être bien nombreux, vivant par petit groupe, par petit clan. Combien étaient-ils à l'origine ? Mille, deux mille, cinq mille ? Et à présent combien sommes-nous ? Bientôt sept milliard. La Terre est-elle faite pour accueillir autant d'humain ? Par notre présence en si grand nombre et notre manière de nous comporter dans notre environnement, ne mettons-nous pas la Terre, notre demeure, en danger, tel que le font mes cellules cancéreuses dans mon corps ? Certains le disent, parlant de biosphère, de gaz à effet de serre et autres dégâts dont nous serions la cause. Nous serions le cancer de notre planète car n'ayant plus de prédateurs menaçant nos vies, il n'y a plus rien pour enrayer la croissance de notre espèce et, parce que nous respectons rien, ou alors très peu de chose, très peu de personne, parce que nous prenons rarement en question notre environnement lorsque nous décidons d'agir, alors oui, forcément, nous instaurons des déséquilibres, des instabilités, voir pire nous détruisons.

Mais revenons à mon cancer. Qu'est-ce que j'en pense ce soir ? Et bien pas grand chose. Évidemment je me demande comment il va évoluer, s'il va ou non progresser, attends mon IRM au mois de juin qui, je l'espère, m'en dira plus sur ces questions, mais pour l'heure c'est surtout sur les effets secondaires de mes séances de radiothérapie, sur les effets actuels de mes tumeurs que je focalise. Par exemple, pour écrire, je n'arrive pratiquement plus à le faire avec ma main droite. Oui, je suis droitier et c'est donc une gêne pour moi. Cynthia m'a dit que je devrai m’entraîner tous les jours à écrire un peu, afin de retrouver de la dextérité en la matière. Peut-être n'a-t-elle pas tort. De même, je ne peux que constater, prendre acte, de ma difficulté à suivre une conversation dès lors que mon interlocuteur parle trop vite. Souvent je dois me répéter dans ma tête la phrase qu'il vient de prononcer pour parvenir à la comprendre, à en saisir le sens. Du coup, entre-temps, je n'écoute plus la suite de sa conversation, trop occupé que je suis à me répéter la phrase que je n'ai pas saisi sur le champs, et lorsque cette dernière est enfin intégrée dans mon esprit, me remettant en mode écoute de la conversation, je suis largué car je n'ai pas entendu une partie de cette dernière.

dimanche 26 avril 2015

Une bonne soirée

26 avril 2015


Hier soir, depuis bien des mois que cela ne m'étais pas arrivé, je suis rentré chez moi après minuit. D'habitude, à cette heure, il y a bien longtemps que je suis dans les bras de Morphée. Hier soir  donc, vers 20h00, Tony et moi avions convenu de dîner ensemble à la brasserie « Les trois obus », place de la porte de Saint-Cloud. A notre arrivée deux amis se trouvaient au bar, entrain de boire l’apéritif. Il y avait José, que j'ai connu en même temps que Tony, il y a plus dix ans maintenant, et Nicolas que je connais depuis mes dix-huit ans. D'ailleurs, lorsque j'ai rencontré Nicolas les premières fois, il était justement barman au « Trois obus ». Depuis il a largement fait son petit bonhomme de chemin et a aujourd'hui sa propre entreprise. A l'origine c'est un malouin, de Saint-Malo, qui a migré vers Paris pour trouver du travail. A cette même époque, vers le milieu des années 80, je ne faisais strictement rien, sinon passer du bon temps avec mes potes de l'époque, y compris en buvant des verres tous les soirs aux « trois obus ». Quant à José, qui a lui aussi son entreprise, il est de la tranche d'âge de Tony. Peur-être cinq bonnes années nous séparent. Lui, comme Nicolas, ainsi que Tony et moi-même avant nos maladies, le cancer, sont de bons vivants, aiment rire  et se détendre. Donc hier soir nous nous sommes joints à eux tandis qu'ils prenaient leurs  appétitifs. Pendant deux bonnes heures nous sommes restés au comptoir, l'atmosphère était à la détente et, même si je n'avais pas spécialement la tête légère, à rire, écouter Nicolas sortir une plaisanterie par minute eût l'effet de me détendre, de me déstresser, et c'est de bon cœur que je rentrai alors dans l'ambiance, me mettant également à plaisanter et à rire. Comme j'ai alors dit à Tony, la seule chose que je regrette de Paris, ce sont les soirées comme celle-là où, après l'heure du travail, nous nous retrouvions tous aux « Trois obus » ou ailleurs, tous venant d'univers différents, exerçant des métiers différents, mais avec le même soucis de ne pas se prendre la tête, de passer du bon temps, oubliant ainsi les tracas de la journée. Vers 22h00 José nous a quitté pour rentrer chez lui et c'est avec Nicolas que nous avons dîner, regardant un match de hockey sur glace tout en mangeant nos pizzas. Oui, ce fût une bonne soirée, la seule de mon séjour à Paris qui m'ait véritablement changé les idées, où j'eus le sentiment un court instant de revenir dans le monde d'avant, d'avant ma maladie. Mais, je le crois, cela n'a put être ainsi que parce que Tony et moi avions à nos côtés des personnes qui ne sont pas directement concernés par quelque maladie grave que ce soit, qui peuvent être naturellement légère, pas constamment dans la gravité de leur condition pourtant aussi précaire que la nôtre, avec un début et une fin tôt ou tard, mais occultant cette fin car, effectivement, à quoi sert-il de focaliser sans cesse sur cette dernière ?

Oui, c'est bien malgré moi que je focalise sur ma fin et la fin de tout en général. Je me réveille le matin et déjà je suis dans cet état d'esprit, comme si j'étais à chaque fois dans mon dernier jour, mes derniers moments, et c'est au nom de cet état d'esprit que je ne veux plus me prendre la tête ni qu'on me la prenne. Puisque je vis mes derniers moments, autant qu'ils me soient agréables, le moins contraignant possible. Les révolutions, les contestations, les manifestations, tout cela ne me concerne plus, non qu'elles soient forcément inutiles, mais moi je n'ai plus le temps pour me mêler à tout ça, pensant peut-être à tort que ma maladie ne me laissera pas le temps de voir évoluer tout ça, de voir des changements significatifs quant à la condition humaine, les injustices et inégalités que nous avons instauré et continuons à entretenir, les folies diverses qui s'emparent de certains au nom d'idéologies plus que douteuses, que ces dernières soient d'ordre économiques, sociales, philosophiques ou religieuses. Oui, nous sommes si nombreux sur terre, presque sept milliards de personnes, avec autant de pensées disparates qu'il y a de modèle de voiture, que je ne crois plus une seule seconde en une harmonie quelconque entre nous. Certains modes de pensées font les trois ou quatre systèmes dominants qui gouvernent le monde, capitalisme en tête,  et d'autres, dans le désordre et une anarchie chronique, tente tant bien que mal de modifier le cours des choses. Même si je sais que ce sont les petites rivières qui font les grands fleuves, je sais que je ne verrai jamais ces fleuves de mon vivant. Je vois donc tout notre petit monde comme une immense fourmilière où aucun ordre réel n'existe, hormis la nécessité d'avoir de l'argent, peu importe comment, et des tas de fourmis s’agiter dans tous les sens, sans aucune coordination entre elles, un spectacle qui me fatigue à présent et qui ne m'intéresse plus tant tout cela me semble vain dans le fond.

samedi 25 avril 2015

Bilan

25 avril 2015


Mon séjour à Paris qui touche à son terme, demain soir je serai dans mon TGV pour Rennes, me révèle mes changements. Effectivement, je n'ai pour ainsi dire parler à personne, pas plus aux membres de ma famille qu'à mes amis. Oui, c'est comme si je n'avais plus rien à dire, comme si parler pour informer, dialoguer de manière conviviale ou convaincre ne m’intéressait plus du tout. Est-ce un effet de mon isolement à Rennes, d'avoir pris l'habitude d'être seul, la plupart du temps en solitaire dans la ville, n'attendant personne, n'attendant également rien de personne, ou est-ce la prise de conscience de ma maladie, de mon statut précaire, presque futile, qui fait qu'aucun sujet de conversation ne trouve vraiment grâce à mes yeux, ne vaut la peine que je m'attarde avec attention, car il est manifeste que la concentration que cela exige de ma part fatigue vite mes neurones. De même, les choses de ce monde, qu'elles soient laides ou qu'elles soient belles, ne me parlent plus vraiment, comme si je ne me sentais plus concerné. Il en va un peu de même de mes relations familiales et amicales. Bien que je sois resté dix jours à Paris, c'est la première fois que j'ai aussi peu vue Tony, mon meilleur ami pourtant, et les rares fois où nous nous sommes vus c'était pour un quart d'heure ou une demi-heure. De même, pour la première fois, nous n'avons pas déjeuner ensemble une seule fois. Plusieurs fois nous avions pourtant prévu de le faire, mais destin ou hasard, cela n'a pu se faire. A lui aussi je n'ai pas parlé et ne me suis pas plus véritablement intéressé à sa situation actuelle, à son état d'esprit, à son moral. Avant, lorsque j'habitais encore Paris, matin, midi et soir nous refaisions le monde. Puis il y eut mon départ pour Lyon, mais là encore, lorsque je redescendais en vacance sur Paris, nous continuions à refaire le monde. Puis il y eut son cancer du foie, son face à face avec la mort, toute l'année qui s'écoula dans l'attente d'une greffe du foi, puis toutes les complications qui découlèrent de cette greffe. Cette expérience l'a changé, presque métamorphosé. Refaire le monde ne l’intéressait visiblement plus. Puis il y eut ma propre expérience face à la mort. Ainsi, aujourd'hui, nous n'avons presque plus rien à nous dire lorsque nous nous retrouvons, comme si pour l'un et l'autre les choses de ce monde étaient si futiles qu'il ne servait plus à rien de discourir dessus. Oui, même si pour lui je ne suis sûr de rien quant au cours de sa pensée, il est néanmoins clair qu'en ce qui me concerne que la société, tous les sujets qui la touchent, ne m'intéressent plus. Je ne trouve plus rien d'important là-dedans. Dans un détachement de plus en plus total, de plus en plus global, voici ce que devient mon état d'esprit. Donc, vis-à-vis de Tony et de ma famille, j'ai constaté au cours de ces dix jours ce même détachement de ma part à leur égard, à leurs histoires, à leurs projets, leurs espoirs ou leurs attentes. C'est comme si mon monde, lentement mais sûrement, me séparait d'eux, comme deux bulles de savons qui ne faisaient qu'une à l'origine, juste avant de se scinder en deux, chaque bulle poursuivant alors son propre parcours, sa propre trajectoire, la mienne partant de plus en plus à l'opposé de la leur. Seules deux personnes échappent à mon détachement à l'heure d'aujourd'hui,Cynthia et ma fille, mais pour combien de temps encore ? Je pense que tout dépendra de l'évolution de ma maladie et, je dois l'avouer, je ne suis guère optimiste quant à son évolution. Oui, le cerveau est un organe bien fragile où la moindre perturbation vient foutre un bordel pas possible et, à l'heure actuelle, les progrès de la médecine, certes réels, ne sont pas pour autant des recettes miracles le concernant.

vendredi 24 avril 2015

Vendredi

24 avril 2015


Il est 9h30, je suis debout depuis une bonne demi-heure et viens de m'installer à une terrasse de café, « L'affiche », mais je crois que j'ai mal choisi ma terrasse ce matin. Effectivement, sur la petite place où je suis situé, les marteaux-piqueurs n’arrêtent pas, il y a des travaux et même le grondement des voitures qui circulent place de la Porte de Saint-Cloud serait plus agréable à mes oreilles. Tout à l'heure je dois déjeuner avec Tony dans la brasserie de Martial située en plein cœur de Paris, près de la place du Châtelet.  Je pense à ma fille, me demande quand nous reverrons-nous, pendant les grandes vacances ou non. Je pense également à son troisième trimestre scolaire. Sera-t-il meilleurs que le second ? Sera-t-elle moins fainéante ? A cette heure je ne sais si elle est réveillé ou non, sinon je l'aurai appelé. Je lui téléphonerai plus tard dans la matinée ou la journée.

Ce matin il fait encore beau sur Paris, même si la météo annonce des pluies dans la soirée et pour le week-end. Demain ou dimanche je reverrai ma sœur une dernière fois avant de repartir pour Rennes. Cela me fait plaisir car elle est bien plus calme et posé que ma mère. Ce matin, à peine étais-je levé que ma mère se ruait déjà sur moi avec ses remèdes miracles anti-cancer. Je lui ai alors dit que je n'en voulais plus et suis immédiatement retourné dans ma chambre, me suis habillé et suis sortis. Je prend donc mon petit-déjeuner dehors, un double express en l’occurrence.

Je viens d'avoir Cynthia au téléphone qui, à peine réveillée, est déjà dans la métaphysique de l'existence, se projetant à après sa retraite, seule dans la maison qu'elle aura acheté, convaincue qu'après moi elle ne se remettra plus jamais en couple, que sa maison sera à l’écart de tout et de tous et qu'à cette époque, ses parents étant fatalement mort, elle sera seul au monde, se demandant alors à quoi lui serviront la réalisation de tous les projets qu'elle aura d'ici-là. J'aurai dû lui répondre qu'au lieu de se projeter si loin, elle ferai mieux de profiter de ce qu'elle vit actuellement car demain, par accident ou maladie, il se pourrait bien qu'elle disparaisse avant ce lointain que serait sa retraite.

jeudi 23 avril 2015

Il est 6h20

26 avril 2015


Il est 6h20, je suis réveillé depuis une bonne demi-heure et, je ne sais pourquoi, je rêvais du film « Scarface », rêve qui a coupé mon sommeil. J'étais dans la scène final du film, celle où ça tire dans tous les sens, Tony Montana face au reste du monde, Tony Montana qui y laisse sa peau. Est-ce une parabole de ma condition, moi et mon cancer face au reste du monde, face à la vie, vie qui aura ma peau ? En tous cas cela y ressemble.

Dans la maison tout le monde dort, ma mère, ma fille et dehors, dans les immeubles qui jouxtent celui de ma mère, peu de lumière aux fenêtres, les gens dorment encore et le jour commence à se lever. Cependant, comme d'habitude, j'entends le ronron régulier des voitures, des motos, qui circulent sur le périphérique parisien, périphérique qui se trouve à 300 mètres du domicile, ainsi que le ronron de ces mêmes véhicules qui circulent sur la voie express, voie express qui est juste en bas de ma rue. Tout cela ne me manquera pas lorsque je serai à Rennes, je ne le sais que trop bien. Je repense à la foire du trône et me demande où j'ai trouvé la force pour y aller deux jours d'affilé. Là-bas, entre les transports, la chaleur, la foule et le bruit, c'était bien pire que le bourdonnement de voiture que j'entends, bien plus fatiguant pour ma tête, j'ai même du prendre de l'aspirine hier, sur place, tant je n'en pouvais plus du mouvement des manèges, des animateurs à leur micro, des cris de joies des enfants, des adolescents, des cris de frayeurs provenant d'attractions à sensations,  et c'est assis pratiquement toute l'après-midi à la terrasse d'une brasserie-restaurant que j'ai attendu patiemment que ma fille fasse tous ses jeux.

Sinon, plus j'y pense et plus je me dis que je vais écrire un article sur les effets secondaires de la radiothérapie cérébrale et sur le médicament « Solupred ». Ce sera une sorte d'exorcisme, histoire de sortir tout cela de ma tête, dans l'espoir que celle-ci soit moins encombrée après-coup. Est-ce que cela servira réellement à quelque chose, moi qui attend avec anxiété le résultat de mon IRM prévu en juin ? J'ai appris que dans les années 2000, toutes les personnes atteintes d'une tumeur cérébrale en mourraient. En 2004, grâce au progrès de la médecine, elles avaient sept à huit mois d'espérance de vie. Aujourd'hui, qu'en est-il ? Ils ont tué ma première métastase cérébrale, celle que j'avais en novembre 2013. Ainsi, j'ai gagné presque deux ans de vie. Mais que va-t-il en être de mes deux autres métastases, la seconde et la troisième, surtout de la seconde où l'on a constaté qu'elle ne régressait pas lors de ma dernière IRM, effectuée il y un peu plus d'un mois, et pourtant traitée en août 2014 ? Celle-là me fait peur, surtout qu'un radiothérapeute m'a dit qu'une nouvelle séance de radiothérapie ne servirait à rien à l'endroit où elle a déjà été effectuée. Mais en matière de radiothérapie, de traitement des tumeurs cérébrales, la médecine semble progresser vite. En quinze ans seulement, nous sommes passé de la mort certaine à la possible éradication de ces dernières. Qu'en sera-t-il demain ?

Il va bientôt être 9h00. Je suis sortis de chez ma mère pour me rendre au café « Les trois obus », sachant que Tony y prend son café vers 8h00, juste avant de se rendre à son travail au théâtre de Chaillot. Du fait de ma présence, il est parti plus tard que prévu car, comme d'accoutumé, nous avons discuté de choses et d'autres, dont de nos maladies respectives, de la chance que nous avions néanmoins de vivre l'instant présent car la mort peut emporter vite n'importe qui, comme des amis communs que nous avions. Cela m'a fait plaisir de le voir ainsi, dans l'état où j'étais, car depuis mon arrivée à Paris, n'étant pas trop en forme, je n'ai pu apprécier à fond les rares moments que nous avons passé ensemble. Demain midi nous devons déjeuner ensemble chez un ami, Martial, qui possède une brasserie dans le quartier des Halles. Martial est le fils du propriétaire du café « Les trois obus » et un jour cette grand brasserie lui appartiendra. C'est là que je l'ai connu alors que nous avions vingt ans. Cependant, même si nous nous entendons bien, ce n'est un ami au sens où je l'entends. C'est une bonne relation, un bon copain, mais je n'attend rien de particulier de sa part, si ce n'est de passer du bon temps en sa compagnie.

Ma fille vient de m'appeler, elle se réveille. Je ne vais donc pas tarder à la rejoindre à la maison. Peut-être irons-nous boire un verre ensemble avant le grand départ. Mais là-encore, je me demande à quoi cela servira, car qu'avons-nous à nous dire ? Dans ma tête je n'ai que ma maladie et, parce que je ne peux contrôler, voir, entendre ce qu'elle fait chez sa mère, tant sur le plan scolaire que sur tous les autres plans, je n'ai pas non plus de sujet de conversation la concernant. Oui, le fait qu'elle m'ait promené en bateau pendant trois mois ne me donne pas l'envie de lui faire promettre quoi que ce soit, de lui demander de s'engager dans quoi que ce soit, car une fois chez sa mère elle n'en fera, je  le sais désormais, qu'à sa tête. Donc parler de son avenir ne m’intéresse pas car je n'ai aucune prise sur ce dernier.

mercredi 22 avril 2015

Conclusion

22 avril 2015

21h00

Voilà, demain ma fille sera partie, reprendra le train qui la conduira chez sa mère, et moi qu'aurais-je été pendant ces cinq jours passés ensemble ? Une tirelire, une distributeur de billet, voilà ce que j'ai l'impression d'avoir été. Aucune activité culturel avec ma fille car à son âge, les musées, les expositions, on s'en fou. Ce qu'elle veut, ce sont les jeux, l'ordinateur, le cinéma. Quoi qu'il en soit, de son côté, de son point de vue, elle se sera amusée, elle aura passé du bon temps et, ma foi, n'est-ce pas aussi pour cela que je la désirai auprès de moi pour ces vacances ? Mais cela laisse quand même un arrière-goût amer, de non fini, d'éphémère, de survole sans aucune profondeur. Ce n'est même pas être père à moitié ou à un quart, c'est véritablement être un animateur, un moniteur de colonie de vacance, un rôle qui ne me convient pas avec elle. Que retiendra-t-elle de tout ça, sinon des choses fausses comme « avec mon père je passe du bon temps », alors que si nous vivions ensemble, les choses seraient forcément différentes, il n'y aurait pas que du bon temps.

Normalement je dois rentrer dimanche prochain à Rennes, mais j'hésite à avancer mon départ ou non. Effectivement, ma mère est trop un poids, trop envahissante, et j'ai hâte de la quitter.

Mise au point

22 avril 2015


Par quoi commencer, j'en ai tellement plein la tête entre ma mère et ma fille, nos rapports, mes déconvenues et le peu de satisfaction que j'ai d'être à Paris, je ne sais quel bilan provisoire ou définitif en tirer.Avec ma fille, je joue l'animateur, d'ailleurs quel autre rôle pourrais-je jouer en période de vacance ? Ce qui me sied ne peut la satisfaire. Moi j'ai besoin de calme, ne peut faire de longues promenades, ne peut rester debout plus d'une demi-heure d’affilée sans éprouver une douleur au niveau des lombaires et de mes côtes. Elle, ce qui lui plaît, privilège de son âge, c'est l'action, l'agitation. Avant-hier, j'ai dormi dix-huit non-stop. Du coup je me suis réveillé hier aux alentours de quinze heure. Afin que ma  fille ne s'ennuie pas l'après-midi, je l'ai emmené à nouveau à la foire du trône et aujourd'hui c'est rebelote, encore la foire du trône à sa demande. Donc je suis avec elle, la regarde prendre du plaisir, mais moi je n'emmerde.

Hier soir, comme c'était convenue, nous sommes de nouveau allés dîner chez ma sœur, accompagnés de ma mère cette fois. J'étais épuisé de mon après-midi, surtout du temps passé dans les transports. C'est simple, nous avons passé plus de temps à faire l'aller et retour en transports que nous n'en avons passé à la foire du trône elle-même.Oui, ça aussi c'est la magie parisienne. Donc une fois chez ma sœur, vers 19h30, je me suis installé dans son canapé, attendant patiemment que nous passions à table. Ma mère avait préparé les entrées et Lùa, ma nièce, s'était occupée du plat principal. Une fois à table, ma mère ne pût s'empêcher de repartir sur ma maladie, sur ce que je devais manger ou non, boire ou pas, éviter le sucre et le sel, etc. Elle était comme d’accoutumé depuis que je suis à Paris sur ce sujet, autrement dit tellement inquiète qu'elle en est stressante, oppressante, que j'ai l'impression d'étouffer lorsque je suis à ses côtés. Dès mon arrivée, elle s'était mis en tête de modifier radicalement mon régime alimentaire et de faire en sorte que je prenne avec mes médicaments,  ceux prescrits par mes médecins, des comprimés de « médecine alternative », produits naturels, sensés être efficaces contre ma pathologie. Bref, elle voulait que je change du jour au lendemain mes habitudes, celles qui sont miennes depuis que j'ai mon cancer, mais avec une telle insistance que ses demandes m'étaient suffocantes. Cependant j'acceptai de prendre sa médecine parallèle afin qu'il n'y ait pas de clash entre elle et moi. Oui, ma mère n'a pas l'esprit ouvert dès lors que votre vision des choses diffère de la sienne. A sa sauce, elle vous fera alors comprendre que vous n'êtes qu'un abruti, un inconscient dans le meilleur des cas, et que vous ne comprenez rien à rien. Ma mère est une pro-bio, une pro-naturel, et critique presque systématiquement tout ce qui est chimique, comme la chimiothérapie, ou tout ce qui peut s'avérer toxique, comme la radiothérapie. En un mot, si on allait au bout de sa logique, on pourrait trouver des remèdes naturels au cancer, elle est même persuadée qu'ils existent déjà, et que c'est l'industrie pharmaceutique, pour se faire de l'argent, qui imposent la chimiothérapie,etc, sachant pertinemment que leurs remèdes ne sont pas efficaces. D'une manière plus générale, ma mère est une adepte de la théorie du complot. Elle en voit partout et gare à vous si vous ne les voyez pas aussi. Bref, hier soir à table chez ma sœur, j'en ai eu marre de sa volonté de prendre en charge ma personne et s'en est ensuivit un vif échange où j'ai remis les choses à leur place, ainsi qu'elle. Je lui rappelé que c'était moi le malade, que c'était à moi de décider la manière dont je voulais être soigné, certainement pas à elle. Face à ces éclats de voix, ma fille est alors sorti de table, se réfugiant sur le balcon de l'appartement, mais elle le fit dans un boucan si phénoménal que je crûs que sa chaise allait tomber. Du coup je rappelais ma fille et lui intimai l'ordre de revenir s'asseoir à table, lui demandant alors ce qui se passait, pourquoi elle avait quitté la table si brutalement. Elle me répondit qu'elle ne supportais pas les disputes. A cela je lui répondu que ce n'était pas une raison pour fuir comme elle l'avait fait, manquant de faire tomber sa chaise et ce qu'il y avait sur la table. Tout à l'heure, lorsque nous serons seuls tous les deux, je lui expliquerai  comment on peut « s'échapper » d'un conflit auquel on ne veut pas participer sans en rajouter une couche supplémentaire par un comportement inadéquate.

Tout ceci pour dire que je ne passe pas vraiment des vacances, que l'inquiétude de ma famille à mon égard, surtout celle de ma mère, est un véritable fardeau et, concernant ma fille, je regrette que ma santé physique ne me permette pas de faire plus de chose, plus de sorties avec elle. Mais c'est ainsi, je dois m'en accommoder tant bien que mal. Cependant il me tarde d'être à dimanche, de reprendre mon train pour Rennes où là, au moins, je ne serai plus tributaire d'attente de qui que ce soit et pourrait à nouveau vivre dans mon rythme.

lundi 20 avril 2015

Nouvelle journée

20 avril 2015


Il est 9H20, je suis au café « Les trois obus », place de la Porte de Saint-Cloud à Paris, et le soleil est déjà bien présent, mais il fait un peu frais. Cette nuit j'ai bien dormi, bien mieux que la nuit dernière où je n'avais cessé de me réveiller à intervalle régulier. Sitôt debout ce matin, je scrutais mon cerveau, comme hier et encore avant, pour m'assurer que tout avait l'air de fonctionner normalement. Je me sens moins anxieux qu'hier, mais ce qui se passe dans mon cerveau m'inquiète néanmoins. Aujourd'hui il faudra que j'essaie de joindre mon radiothérapeute au sujet de mon traitement médical. Que dois-je faire avec mon anti-inflammatoire, le Solupred, le diminuer ou rester aux doses que je prends actuellement ? Oui, la fin de semaine dernière m'a fait peur. Je voyais  poindre à l'horizon une crise d'épilepsie vu les espèces de décharges électriques qui ne cessaient d'assaillir mon cerveau. Cependant, depuis que j'ai augmenté mes doses de Solupred, tout semble revenir à la normale. Mais quand sera-t-il lorsque je recommencerai à diminuer ce médicament ?

A cette heure ma fille dort encore. Toute la soirée d'hier soir elle était dans ma chambre, accaparée à tchatché avec ses amis sur je ne sais quel site. Je me suis donc endormi pendant qu'elle papotait en ligne et ne l'ai pas entendu quitté ma chambre. A quelle heure s'est-elle couchée ? Certainement aux alentours d'une heure du matin. C'est toujours ainsi lorsqu'elle est en vacance avec moi. En va-t-il de même chez sa mère ? Hier elle était donc à la foire du trône avec sa cousine. A priori, même si elles ne sont pas restées longtemps là-bas, elles ont passé une bonne après-midi. Cet après-midi je pense aller me promener avec ma fille dans Paris. Où ? Je ne le sais pas encore. Peut-être irons-nous à Montmartre, ce petit village dans Paris perché en haut d'une grande côte. Ou alors je l'emmènerai au jardin des Tuileries, près de la place de la concorde, son obélisque, jardin qui mène au Louvre, cet ancien palais royal, demeure parmi d'autres des rois de France. Il se peut aussi que ma fille ait envie d'aller ailleurs, aux Champs-Élysées par exemple, endroit qu'elle aime bien sillonner en général à cause de toutes les boutiques que contient cette avenue. Pour l'instant, entre ma fille et moi, tout se passe bien, même si cela m'agace un peu de la voir en quasi-permanence devant un écran. Quand ce n'est pas celui de son iphone, c'est celui de mon ordinateur et si ma mère avait une télévision, elle serait également devant l'écran de cette dernière. Donc là, j'attends que ma fille se réveille et m'appelle. Je rentrerai alors à la maison et discuterai avec elle de notre programme de la journée.

dimanche 19 avril 2015

Du poids de l'espoir

19 avril 2015


Il est 11h30, je suis levé depuis une heure, cette nuit à été longue, bonne, même si mon sommeil fut entrecoupé plusieurs fois. Il y a combien de temps que cela ne m'était pas arrivé de me réveiller si tard ? Donc ma fille est arrivée hier midi à Paris. Pour rentrer de la gare au domicile de ma mère, nous avons pris les bus, traversant Paris d'un bout à l'autre. Le trajet a duré 1h30. A une demi heure près, c'est le temps qu'il faut pour faire un Paris-Rennes. Les retrouvailles furent agréables. Elle a encore grandi, fait presque ma taille, et son visage commence à perdre son air juvénile et à prendre les traits qui seront les siens à l'âge adulte. Sur le moment, dans l'instant, cela m'a surpris. Encore une fois, j'avais face à moi quelqu'un que je redécouvrais pour la énième fois. Puis, arrivé chez ma mère, nous avons pris notre premier déjeuner ensemble. Entre-temps, pendant le trajet en bus, ma fille me parla de ma maladie. Effectivement, dès son arrivée à la gare elle remarqua qu'il me manquait des cheveux, que la zone irradiée lors de mes séances de radiothérapie était complètement chauve, formant une espère de cratère dans ma tignasse. Après lui avoir expliqué la raison de la présence de ce cratère, elle me dit qu'elle voulait croire que je guérirai et c'est tout. Dans ma tête je me suis dit que c'était une jolie attention et décidais de ne pas épiloguer sur ma maladie. Le soir-même, nous étions invités à dîner chez ma sœur. Nous nous y sommes rendus sous les coups de 19h30 et sommes repartis vers 23h30. Sa cousine était là, Lùa, avec son compagnon, Simon, et sa meilleure amie, Estelle. Lùa et Simon habitent chez ma sœur. Il y avait également leur chien impressionnant, un dogue américain, et les trois ou quatre chats que ma sœur possède. La soirée s'est bien passé, je ne me suis pas ennuyé, mais j'ai constaté le décalage entre ma génération et celle des plus jeunes, génération iphone toujours à porté de main, soit pour communiquer avec des amis par sms, tchat ou autre, soit  pour visionner des vidéos.

Aujourd'hui ma fille est allée à la foire du trône avec sa cousine, Simon et Estelle. Je pense qu'ils vont tous y passer du bon temps et je me demande seulement à quelle heure ma fille sera de retour. Aujourd'hui, afin qu'elle apprécie son séjour à Paris, ce sera donc pour moi une journée sans elle.

Depuis hier, même si cela me fait plaisir de revoir tout ce petit monde, l'atmosphère est néanmoins pesante pour moi. Oui, de sentir le poids de ma maladie omniprésent dans l'esprit de ma mère, de ma sœur, de ma fille, de les voir agir en conséquence, c'est-à dire être aux petits soins, me ramène encore plus au cancer, à mon état, à celui dans lequel je serai demain et après. Bref, ce n'est pas léger et, en essayant de faire de mon mieux, je tente de ne pas les inquiéter plus qu'elles ne le sont. Cependant, je le sens, cela m'étouffe, me limite dans mon expression, car je dois surveiller mes gestes, mes paroles, éviter de leur montrer ma fatigue, je m'y sens obligé.

Là, je suis à la terrasse du café « Les trois obus », café de ma jeunesse, café où j'ai rencontré Tony pour la première fois en 2005 ou 2006, alors que ma fille avait trois ou quatre ans. Lui a assisté à presque tous mes déboires avec la mère de ma fille, y compris lorsqu'elle kidnappa notre enfant et que je fus sans nouvelles de ma fille pendant plus de quatre moi. Épisode ineffaçable, gravé à jamais dans ma tête et mon cœur. Sur Paris, même s'il fait très beau, le vent souffle et il est frais. Donc mieux vaut être au soleil qu'à l'ombre. Je ne sais ce que je vais faire de mon après-midi, si je vais voir ou non un ami, peut-être Tony que j'ai vu rapidement hier soir, juste avant d'aller chez ma sœur, ou peut-être Francky s'il m'appelle. Quoi qu'il en soit, ici je me sens en transition, de passage, ce qui est vrai, car je sens bien que ma place est aux côtés de Cynthia, avec elle, dans notre chez nous, où que soit ce chez nous. Sans elle à mes côtés, je me sens comme invalide. De plus, je me sens seul, sensation que je n'éprouve jamais lorsque je suis chez nous, même si Cynthia n'est pas là physiquement, soit parce qu'elle est à son travail, soit parce qu'elle est à Lyon auprès de ses proches. Oui, même si je suis isolé à Rennes, ne fréquentant personne, je ne m'y sens pas seul pour autant. La présence de Cynthia est partout, où que j'aille. Tous les endroits que je fréquente, elle les connais, nous y avons été ensemble et, à notre domicile, tout respire sa présence.

Donc depuis mon arrivée à Paris, ma maladie est omniprésente. Malgré elle, ma famille me le fait sentir. Ceci n'est en rien joyeux et me plonge du coup dans l'anxiété. Anxiété de quoi ? Je ne le sais exactement. A Rennes, tant bien que mal, j'essaie de relativiser, de ne pas trop y penser, l'attitude de Cynthia à mon égard m'aidant beaucoup, et la règle générale est que je vis bien mes journées. Ici, ce n'est pas possible, car qui que ce soit que je rencontre me ramène à ma maladie, à ses propres doutes ou espoirs, me demandant forcément comment je me sens, comment je me vis, s'informant sur mes traitements, mes examens. Tout cela part d'un bon sentiment, je le sais, mais c'est malgré tout un poids dans ma tête qui m'empêche de m'éloigner, si ce n'est de m'échapper de mon sort actuel. Oui, si je pense à ma maladie, immanquablement je la projette à demain, me demandant quel mauvais tour elle va me jouer, combien de temps me reste-t-il à vivre décemment, etc. Bref, ce ne sont pas des questions gaies, des pensées optimistes qui me traversent alors l'esprit. Oui, l'espoir des autres, leurs attentes, leurs espérances à mon égard est plus un fardeau qu'un bienfait, plus une charge à porter qu'un délassement.

samedi 18 avril 2015

Paris, arrivée...

18 avril 2015


Il est 5H00 du matin et même si je me suis réveillé une fois dans ma nuit, j'ai néanmoins très bien dormi. Couché hier soir vers 22h00 après avoir fait un petit dîner, je me suis endormi rapidement et aucune nausée, aucune agitation de mon corps, aucun frisson n'est venue perturber mon sommeil.

Je suis donc à Paris depuis hier. Ne sachant si je pourrai regagner seul le domicile de ma mère, je lui avais donc demandé de venir me chercher à la gare. Pendant tout le trajet en train, de Rennes à Paris, je n'ai cessé de me demander si j'allais faire ou non une crise d'épilepsie vu toutes les mauvaises surprises que me faisait mon cerveau. Cependant, au fur et à mesure que passait l'après-midi, mes micros courts-circuits se faisaient de plus en plus rares, sans doute l'effet de ma décision d'augmenter mes doses de  Solupred, l'anti-inflammatoire. Preuve en est que je pense avoir bien fait d'augmenter la dose, depuis mon réveil tout a l'air calme dans ma tête, ce qui me soulage. Hier soir, lors du dîner avec ma mère, je n'ai pu m’empêcher de laisser couler quelques larmes. Je pensais alors à mon état et ce furent des larmes de lassitudes. Oui, maintenant je comprend parfaitement que beaucoup de cancéreux, cancéreuses,  aient recours aux anti-dépresseurs. Même si je n'en suis pas encore là, m'efforçant de tout faire pour que cela n'advienne pas, je prends néanmoins un anxiolytique, mon fameux Xanax, et pas en petite dose. A côté de cela, je prend également un neuroleptique, le Tercian, mais ce dernier je le diminue et pense ne plus en prendre d'ici mi-mai.

Mais revenons  mon arrivée à Paris. Ma mère est don venu me chercher. A ma plus grande surprise elle était en basket. De ma vie, jamais je n'ai vue ma mère en basket. Non, c'est une mondaine du seizième arrondissement, même si cela fait bien longtemps qu'elle n'a plus les moyens financiers de jouer ce rôle à fond. Quoi qu'il en soit, point de vue vestimentaire, jamais je ne l'ai vu se laisser aller. Toujours propre sur elle, habillée comme les femmes de son époque se devait de s'habiller, chaussure à talon, tailleur, veste ou manteaux selon la saison, elle est la digne héritière de ce temps révolue.  Mais avec l'âge, elle a plus de soixante-dix ans à présent, les problèmes physiques sérieux ont commencé à se manifester depuis une bonne dizaine d'année et, depuis deux semaines, elle est donc obligé de marcher en basket. Les siennes sont bleue marine, au ton bien foncé. C'est donc portant ces chaussures de sport que j'ai découvert ma mère sur le quai, gare Montparnasse. Pour rentrer chez nous, Porte de Saint-Cloud, nous avons pris les bus. Initialement, alors que j'étais encore à Rennes, j'avais prévu que nous rentrerions en taxi. Mais mon état s'étant amélioré pendant mon voyage où je n'ai fait que m'assoupir régulièrement, j'ai alors opté pour le bus, économisant ainsi de l'argent que je pourrai dépenser pour ma fille. Oui, depuis que je ne travaille plus, mes propres finances sont raides et je ne veux pas compter sur celles de Cynthia, autant faire ce que se pourra. Ma mère et moi avons pris deux bus pour faire notre trajet et, une fois arrivé Porte de Saint-Cloud, nous nous sommes posés dans un café avant de rentrer au domicile familiale. Mon train est arrivé à 17h20 et, de ce moment jusqu'à mon coucher, ma mère, Colette, n'a pas arrêté de me parler. Oui, c'est une vrai pipelette et en plus elle parle vite. Plus d'une fois je lui ai demandé de ralentir le rythme de son débit tant je n'arrivais plus à suivre, tant mon cerveau était inondé par ses flots de paroles. Comme somnifère, ma mère pourrait être très efficace. Cependant cela m'a fait plaisir de la retrouver et, je le sais, elle sera au petit soin avec moi durant tout mon séjour, comme elle l'a toujours été, même trop parfois.

Cela me fait penser à mon père qui était exactement le contraire en la matière, effet de sa culture marocaine sans doute, culture où c'est la mère qui s'occupe des mômes, pas le père. En  cela, en rien je ne peux m'identifier à lui. Mon père et ma mère, étrange couple lorsque l'on connaît leur histoire propre, individuelle, avant qu'ils ne se rencontrent. A priori, jamais ils n'auraient dû se croiser, et quand bien même, jamais ils n'auraient dû former un couple du fait de leur condition sociale radicalement opposée. Mon père et sa famille était la troisième ou quatrième fortune du Maroc, après celle du roi. Ma mère, quant à elle, était issu d'une condition modeste, voire très modeste. Et pourtant, non seulement ils se sont rencontrés, mais de plus ils se sont mariés. Qu'est-ce qui les a motivé l'un et l'autre à faire cela ? Pour ma mère, je n'ai pas de doute, elle a aimé mon père. Mais lui, ce coureur de jupon, qu'avait-il en tête ? Ma mère est sa seconde femme. Avec la première, il avait eu deux filles. Dès sa séparation avec la mère de ces dernières, jamais plus il ne s'est occupé ou a revu ses deux filles. De même, lorsque mes parents divorcèrent alors que j'avais seize ou dix-sept ans, il se maria une nouvelle fois quelques années plus tard avec une femme qu'il ne connaissait pas. Il était alors en poste dans le consulat du Maroc de Poissy, en banlieue parisienne, et cette troisième femme était la sœur de l'un de ses collègue, sœur résidant au Maroc. C'était un mariage arrangé où on ne demande pas l'avis de la femme. Elle avait trente ans de moins que mon père et il l'a fit rapatrier en France, puis il eurent une fille, fille dont mon père n'est s'est pas plus occupé que de ses autres enfants. Comme il me l'a dit un jour, me laissant sans voix, il faisait des enfants pour que ses femmes aient ne occupation, quelque chose à faire. Là aussi c'est peut-être un effet de sa culture marocaine où, là encore, je ne peux me reconnaître. Non, en soi, je n'ai rien contre cette culture ou une autre, mais il m'est impensable d'agir, d'être, selon ses rites, ces normes qui n'ont strictement rien à voir avec celles qui m'ont façonné, construit. Même si en France la place de l'homme et, en conséquence, du père ont été sérieusement mis à mal depuis l'apparition des diverses mouvements féministes, nos normes ne sont pas du tout les mêmes pour autant, surtout face à l'enfant. Peut-être que là-bas, dans le pays de mon père, les choses ont évolué ces cinquante  dernières années, mais à quel point et, surtout, dans quel sens ? Quelle est la place de la femme, de l'homme, des devoirs du père et de la mère face à l'enfant ? Quoi qu'il en soit, de ce que j'en ai connu et vécu, je suis devenu très méfiant, voire septique, envers la possibilité d'une évolution qui se rapprocherait des nos normes occidentales.

Là, je pense  Cynthia. Même pas une journée que nous sommes séparés et pourtant elle me manque déjà. Ma place est à ses côtés, je le sais, pas ailleurs. Mon rêve, qui ne se réalisera jamais, serait d'avoir sous le même toit ma fille e ma compagne, vivant tous les trois ensemble le quotidien, faisant ensemble des projets d'avenir et œuvrant à les concrétiser, cela serait mon souhait, un souhait égoïste certes, mais c'est ainsi, il est en moi et je ne peux le détruire. Si Cynthia était porté sur les enfants, si elle les appréciait pour ce qu'ils sont, ce qui n'est pas le cas du tout, peut-être entretiendrais-je ce fol espoir en moi. Mais en l'état, même si dans les faits nous étions tous les trois ensemble, je sais qu'il n'y aurait aucune osmose, non de mon fait ou de celui de ma fille, mais tout simplement parce que Cynthia n'agirait pas dans ce sens, d'autant plus que ma fille n'est pas la sienne. Lorsque je ne serai plus de ce monde, peut-être rencontrera-t-elle un autre homme et aura le désir de devenir mère, sait-on jamais. Alors elle s'investira, s'obligera à prendre son enfant comme il est, ne pourra pas ignorer les aspects positifs, agréables, parfois merveilleux, de ce petit être, et changera de regard sur la chose. Sur ce point, comparée à ses deux sœurs, elle est un ovni. D'où lui vient son rejet de l'enfant en général, c'est un mystère...

vendredi 17 avril 2015

Désastre que ma nuit

17 avril 2015


Désastre que ma nuit. Combien de temps ais-je mis à m'endormir ? Deux heures, trois heures ? A une heure du matin, tandis que d'habitude je dors à poings fermés, cette nuit je tournais dans tous les sens dans mon lit, comme si j'étais dans une corrida, comme si j'étais le taureau agité chargeant sans cesse le toréador. Mes jambes, mon bassin, ne cessaient d'avoir la bougeotte. Puis vint ce moment où je m'endormis, mais à peine deux heure plus tard je me réveillais pour la première fois. Je toussais, comme si j'avais attrapé froid dans la journée, tremblais, avais froid, mais sitôt recouvert entièrement par ma couette il me semblait crever de chaud, me remettant alors à bouger dans tous les sens, la corrida reprenant ses droits. Ce manège, endormissement puis réveil dans les mêmes conditions, avec le même cirque, se reproduisit toutes les deux heures jusqu'à 7h30 ce matin, heure de mon lever. D'entré de jeux c'est mon cerveau qui pris le relais, comme il le fait déjà depuis trois ou quatre jours, mais cette fois avec plus d'insistance. Mais comment décrire ce qui s'y passe, ce que je ressens, ce que j'éprouve ? C'est comme si un doigt invisible s'amusait avec l'interrupteur, le disjoncteur, de mon cerveau. On allume, on éteint, on allume, on éteint, et c'est sans fin. Ce sont de minis courts-jus qui ne dure que le temps du battement d'un cil. A chaque battement de ces derniers, le disjoncteur saute, je sens comme la décharge électrique comme si elle était l'annonce d'une crise d'épilepsie, d'un court-circuit définitif à venir. Il est à présent 11h00, mais depuis mon lever, rien n'y fait, mon cerveau part en couille malgré les médicaments que je prends. J'ai pris mes calmants, un Doliprane, mon Solupred, Solupred médicament miracle, anti-inflammatoire par excellence qui lutte contre les inflammations provoquées dans mes neurones par mes métastases et les rayon X de mes séances de radiothérapie. J'ai également pris mon Kepra, médicament anti-épileptique. Malgré tout ce cocktail, rien n'y fait, les courts-jus continuent dans mon cerveau et menace de gâcher complètement mon séjour à Paris, ces rares moments en compagnie de ma fille. Cela je ne le veux pas. J'ai donc pris sur moi d'augmenter les doses de Solupred, alors que je suis sensé les baisser aujourd'hui même selon l'ordonnance de mon radiothérapeute. Peut-être l'appellerais-je avant mon départ pour Paris prévu à 15h00. Oui, le Solupred, médicament miracle à base de cortisone, je vais me renseigner un peu plus sur toi, ayant lu  et entendu à plusieurs reprises que prendre trop de cortisone n'était pas bon pour la santé. Cela fait presque un an que je prend de la cortisone tous les jours à des doses non négligeable, loin de là. Certes, mais que faire face à ces court-circuits qui se compte par vingtaine à la minute, me faisant mal à la tête, me rendant complète ment titubant, car lorsqu'il y a court-circuit, c'est la lumière que l'on éteint, celle de mes pensées, de ma concentration, de mon attention, je suis alors comme sans repère dans le noir totale d'une pièce dont je ne peux mesurer la dimension. Vous dire que tout cela m'inquiète serait un piètre euphémisme. Cela m'apeure, oui.

Du coup, impossible de faire marcher ma volonté, cela me demande bien trop d'effort, je m'en rend compte depuis hier déjà. Depuis deux jours j'avais cessé de fumer et d'acheter mes cigarillos pour ne me contenter que de la cigarette électronique. Ce matin, je n'ai pas eu la force de résister, j'ai racheter une boite de cigarillos et j'en fume un tout en écrivant ces quelques lignes. Bien évidement je suis déçu, déçu de n'être qu'une loque incapable de la moindre volonté dans la durée, d'avoir le sentiment que mon cerveau, ma personnalité, volent en miettes lentement mais sûrement. Oui, il ne faut pas que cet état dure trop longtemps, sinon je vais péter un câble et pour de bon.

Je pense également à Cynthia qui constate tout ceci depuis hier et, je le remarque sur son visage, je la sens livide de ne pouvoir agir, d'être impuissante face à cet état de fait. Il faudra donc que je la rassure, d'une manière ou d'une autre, quitte à augmenter mes doses quotidienne de Solupred.

jeudi 16 avril 2015

Mes neurones

16 avril 2015


Cela fait un peu plus d'une heure que je consulte des sites dédiés aux cancers et, surtout, aux effets secondaires des traitements, qu'il s'agisse de chimiothérapie, de radiothérapie ou d'opération chirurgicales. Un point commun, c'est la fatigue, la difficulté de concentration et d'attention. Je comprends mieux pourquoi je met autant de temps à m'éveiller, ayant tous les jours l'impression que mon cerveau ne fonctionne qu'entre 17h00 et 20h00. Là, de suite, cette heure que je viens de passer sur internet m'a littéralement laminé la tête. Je serai bon pour un doliprane en rentrant à la maison ce midi. Quoi qu'il en soit, la pénibilité des effets secondaires n'est pas négligeable, loin de là, et il faut des mois, voire des années pour que ces derniers s'estompent, lorsqu'ils s'estompent évidement.

Écrire m'est nettement moins contraignant que de lire. Cela exige de ma part nettement moins de concentration, d'attention, car il me suffit de poser les mots tel qu'ils me viennent. Aujourd’hui, tel que c'est partie, je ne serai pas en grande forme, un peu comme hier. Cela me rappelle les journées où je n’arrêtais pas de dormir, une ou deux semaines après mes séances de radiothérapie,  effets secondaires oblige. Depuis hier, ils se manifestent à nouveau et j'ai le cerveau qui bouillonne, comme si je sentais la mixture de rayon X agir sur mes neurones. L'effet n'est pas des plus agréable et, de plus, c'est un peu anxiogène. Effectivement, que ressortira-t-il de cette mixture qui tue également des neurones sains dans cette partie de mon cerveau, l'hémisphère gauche, qui gère le langage, la mémoire, etc. Si j'y pense, j'appellerai mon radiothérapeute pour qu'il me précise la zone exacte de mon cerveau qui est touchée afin de comprendre ce qu'elle dirige exactement de ma personne. Ainsi, peut-être, comprendrais-je mieux mon état, celui que je suis ou que je deviens, anticipant ainsi mes handicaps à venir. De même, effet secondaire de la radiothérapie du cerveau, c'est la perte d'appétit, ce qui explique que je mange aussi peu depuis pas mal de temps à présent. Cela m’affaiblit, je le sens physiquement, et si le corps est faible alors l'esprit l'est aussi, ce qui fait que je ne suis pas très vivace, très réactifs et, je m'en rend compte depuis quelques jours, je suis également plus facilement irritable. Oui, la contrariété demande, nécessite, réclame un véritable effort psychologique pour être contrôlé, voire éradiqué. Oui, il est plus facile de se laisser aller lorsqu'il faut rire plutôt que lorsqu'il faut se calmer, se détendre lorsque qu'on est tendu, etc.

mercredi 15 avril 2015

Ego

15 avril 2015


Ce matin j'ai la tête dans le gaz, dans les choux, je crois même que j'ai mal à la tête et si j'étais chez moi je prendrai un Doliprane. Tout à l'heure, vers 15h00, Cynthia arrivera à Rennes et j'aimerai être en meilleur état pour l’accueillir. Pourtant j'ai bien dormi cette nuit, n'ai été réveillé que deux fois par des nausées, mais j'ai dormi longtemps néanmoins, au moins douze heure. C'est un rêve tordu qui m'a réveillé ce matin, un rêve dont je ne me souviens plus la teneur et qu'il me serait trop fastidieux de décrire.

Je pense à vendredi, jour de mon départ pour Paris. Sitôt arrivé chez ma mère, j'appellerai mon fidèle ami Tony et nul doute que je le verrai le soir-même. De quoi parlerons-nous ? De nos maladies respectives, des traitements, de sa reprise de travail à mi-temps, de mon avenir social que je ne vois pas ? Nous verrons bien. Le lendemain, j'irai chercher ma fille sous les coups de midi. Ce sera un grand moment, je le sais, mais il sera bref, furtif, car le flux des voyageurs sur le quai, le rythme et le bruit parisien nous empêcheront de savourer pleinement l'instant de nos retrouvailles.

Donc ce matin je ne suis pas bien réveillé, malgré que midi approche, et comme d'habitude cela me rend un peu morose. Oui, je me sens moins vivant dans cet état, comme léthargique, vraiment malade. J'ai alors du mal à porter mon propre corps, mon poids, et je marche comme une tortue, incapable d'aller d'un pas régulier, m'arrêtant souvent. Cela me rappelle au moins que j'ai un corps, ce que j'oublie souvent, car passant le plus clair de mon temps dans ma tête, mes pensées, mes idées et, évidement, dans ma maladie, voire le cancer en général. Sur le blog de Catherine, j'ai pris un lien menant à un autre blog, celui d'une femme ayant également eu un cancer du sein et qui y raconte son histoire. Pour l'instant, n'ayant pas encore digérer tout ce que j'ai pris dans la gueule avec l'histoire de Catherine, je remet à plus tard ma visite sur cet autre blog. Oui, il faut que je digère car même s'il y a bien pire histoire que la mienne en matière de cancer, cela ne diminue pas pour autant mes tourments concernant le mien. Cela me permet de constater que les effets secondaires généré par mon cancer sont largement moins pire que pour d'autres personnes, certes, mais la maladie, celle qui tue, est toujours là, vivant dans mon corps, étant une partie de mon corps, de moi en somme.

Mais assez parlé cancer, j'ai envie de penser à autre chose, mais je ne sais vers quoi diriger ma pensée. Vers le passé, mon passé ? Vers l'avenir, celui que je ne vois pas, dont je ne discerne que des contours flous ? Vers un être en particulier ? Non, je ne sais vers quoi diriger ma pensée, mais comme je suis mal éveillé le plus simple serait de retourner dans mon passé. Mais sur quel période, quel événement, car en l'état, là, tout de suite, rien ne vient à l'esprit hormis Saint-Étienne, ville ou Cynthia et moi-même avons vécu quatre ans, presque cinq. C'était notre premier appartement, notre premier chez nous, et je me souviens encore de la date de notre emménagement, mars 2009. C'en était fini de la sous-location que nous avions auparavant, du foyer pour SDF où j'étais précédemment. Pour elle, c'en était également fini du foyer familial au quotidien, c'était le début de sa véritable prise en main de son destin, le début de ses allers et retours quasi quotidien entre Saint-Étienne et Lyon, en TER, entre notre domicile et sa faculté, entre notre domicile et celui de ses parents. Oui, à cette époque tout était ouvert, l'avenir et le présent. Qu'en est-il aujourd'hui ? Que nous reste-t-il d'ouvert à nous deux, en commun, ensemble, main dans la main ? De mon côté je n'ai plus de projet commun, je n'en ai même pas pour moi hormis celui de durer le plus longtemps possible. Je ne rêve plus d'une nouvelle guitare ou d'un piano. Je ne rêve pas plus de passer mon permis de conduire et d'avoir une voiture. Je ne rêve plus d'un grand appartement ou d'une maison avec jardin, même un studio me conviendrait. Je ne rêve plus de voir ma fille s'installer un jour chez nous, pour une année au moins, histoire de faire un essai, de voir si elle se sentirai à l'aise ou non avec les mois passant. Je ne rêve plus non plus de séjour à Paris ou ailleurs. Preuve en est depuis que je suis à Rennes, depuis septembre dernier, qu'ais-je visité de la Bretagne à part Saint-Malo ? Pourtant, grâce à ma carte d'invalidité, mon statut d'adulte handicapé, j'aurai déjà pu visiter toute la Bretagne à très très bas coût. L'ais-je fait ? Et bien non. Auparavant, je ne le sais que trop, avec ou sans Cynthia, je serai parti à l'aventure dans toute la région, surtout près des bords de mer, mais cela ne m'intéresse plus, ne me parle plus, ne m'enthousiasme plus. Alors qu'est-ce qui m'importe aujourd'hui, me donnant un peu de joie, si ce n'est d'être côte  côte avec les gens que j'aime, qui m'aime, sans fioritures, sans bonnes ou mauvaises manières de s'installer, de s'asseoir face à face ou côte à côte, sans superflu, sans plus chercher à rayonner, à être le centre. Oui, la maladie m'a également ramené à ma juste condition, celle de n'être le centre de rien du tout ni de personne. Je suis dorénavant à la périphérie et si je regarde juste, cela a forcément toujours été ainsi, mais je ne le savais pas, ou ne voulais pas le savoir. Je ne peux être que le centre de moi-même, comme chacun d'entre nous qu'il soit enfant ou adulte. Pour les autres, y compris chaque membre de notre famille, nous ne sommes qu'une personne parmi d'autres dans leur périphérie et il ne tient qu'à eux de nous maintenir ou de nous déloger de cette dernière. N'est-ce pas ce que nous-même faisons vis-à-vis d'autrui, lui laisser une place ou non dans notre périphérie ? Avant, je pensais que ma place vis-à-vis de quelqu'un dépendait essentiellement de moi, voire que de moi. Quelle méprise, quel ego mal construit ! Est-ce à dire que notre place dépend uniquement de l'autre ? Dans une large mesure, si nos rapports ne sont pas fondé sur la contrainte, je le crois. C'est selon l'affection, voire l'amour que l'on nous porte que l'on nous laisse une place, que l'on nous fait une place. Mais si pour une raison ou ne autre la déception est là, alors l'autre peut très bien nous éloigner ou s'éloigner. A voir les choses ainsi, vu le peu de relation que j'entretiens, j'en déduis que je n'ai pas beaucoup de réelle affection pour grand monde. Est-ce faux ? Je ne le crois pas et pourtant, Dieu sait si j'en ai connu et côtoyé des gens, si mon répertoire était plein de numéro de téléphone, etc. Mais tout cela n'était que du faux-semblant, de la façade, du précaire, voire de l'inutile. Cependant c'était utile pour mon image dans le miroir, pour me croire être je ne sais quoi qui flattait mon ego.

Quelque part la maladie a du bon, elle nous ouvre les yeux sur bien des choses de nous-mêmes, des autres, de notre monde.

mardi 14 avril 2015

Avenir....

14 avril 2015


Réveillé depuis 5h30, il est à présent 9h30 et, comme tous les matin ou presque, je suis dans le quartier Sainte-Anne, à la terrasse d'un café, et malgré le soleil il fait quand même un peu frisquet. Ce matin, j'ai terminé la lecture du blog de Catherine. Ainsi, si j'ai bien compris le déroulement de toute l'histoire, depuis 2013 son cancer s'est stabilisé, mais les effets secondaires des diverse opérations qu'elle a subi sont, eux, toujours présents et pas agréables à vivre. Comme elle ne publie presque plus, en moyenne deux à trois articles par mois, je me dis que pour elle le plus dur depuis 2013, psychologiquement, est passé. Elle n'a plus le besoin impératif de s’épancher sur sa propre maladie, sur son sort malheureux, et ne publie que ses moments agréables à présent ou des appels à s'engager pour la lutte contre le cancer, que ce soit par le biais de donation ou tout autre moyen. Oui, c'est une militante de cette cause, ce que je ne suis pas encore, mais que je deviendrai peut-être. Ce serai là un bon moyen d'occuper mes journées et de me sentir utile à quelque chose. De tout cela je réfléchirai lorsque je serai à Besançon, lorsque j'aurai déménagé.

Je pense également à samedi prochain, jour où j'irai chercher ma fille à la gare. Je ne me souviens même plus à quand remonte notre dernière rencontre. Il me semble que c'était en février, mais je n'en suis même pas sûr, c'est vous dire dans quel état est ma mémoire et la radiothérapie, je le sais bien, n'arrange rien à la chose. Je me demande donc qui je vais trouver en face de moi samedi, cette jeune fille qui m'a promené, mené en bateau pendant plus d'un trimestre. J'avoue que j'ai un peu peur, peur parce que je vais être confronté une nouvelle fois à l'inconnu, peur parce que je sais qu'elle aussi sera dans la peur, peur de l'inconnu que je suis pour elle également, tout au moins en grande partie, et qu'en conséquence elle sera sur ses gardes, je le sais également, afin que rien ne dégénère entre nous pendant ces quelques jours ensemble. Il me semble que la foire du trône sera ouverte. Je n'ai jamais été dans cette immense manifestation de manèges et jeux en tout genre, mais je sais que Jade aime ça. Je prévois donc de l'y emmener. De même, parce qu'elle adore rester seule avec sa cousine, Lùa, la fille de ma sœur qui a dix-neuf ans, je m'organise avec elle pour que Jade puisse passer une nuit et une bonne journée chez ma sœur, avec sa seule cousine. Ce sera une journée en moins pour moi, pour être avec ma fille, mais je veux lui faire plaisir, ne veux pas qu'elle regrette son séjour à Paris.

A côté de cela, je pense à ma maladie, c'est plus fort que moi, à ces saloperies de métastases que j'ai dans le cerveau, et je me demande qu'elle sera le résultat de mon IRM prévue en juin. De même, lorsque je serai à Besançon ou dans sa région, je me demande par qui et où je serai suivi. Oui, à Lyon j'étais mieux suivi qu'à Rennes et j'ai peur que sur Besançon et alentour ce soit pire encore. Je suis donc d'avis que je retournerai à Lyon pour me faire suivre et, question transport, j'espère que ce ne sera pas trop compliqué. Oui, d'un hôpital à un autre, d'une ville à l'autre, le suivi et la coordination entre les divers médecins qui traitent votre cancer n'est pas du tout la même. A Rouen je ne sais ce qu'il en est, mais ici, à Rennes, c'est moi qui doit demander des rendez-vous avec mon pneumologue, qui est mon médecin référant en matière de cancer, qui doit assurer la coordination entre lui et mon radiothérapeute, qui doit me rendre compte des résultats des examens que je passe, qui doit programmer mes scanners et IRM, normalement effectués tous les trois mois, mais suite à ma dernière consultation avec la radiothérapeute, il s'avère qu'aucun rendez-vous n'était prévu avec mon pneumologue ni aucune date fixée pour mes examens. Il a fallut que ce soit moi qui appelle son secrétariat pour que soit rectifiée cette négligence. A Lyon, au centre Léon Berard, jamais cela ne serait arrivé. Est-ce que cela m'énerve ? Un peu, mais surtout cela ne me m'est pas en confiance.

Je repense à Catherine, à ses articles, surtout ceux de 2013, aussi forts dans la forme que dans le fond, puissants, qui paradoxalement donne l'envie de se prendre en main ou, si l'on est dans mon cas, l'envie de se reprendre en main, de ne pas se laisser-aller dans une espèce de « morfonderie », de résignation passive dans l'attente du moment fatidique  qui annoncera la fin inéluctable. Je pense évidement au cancer généralisé, où notre corps est si plein de métastases qu'il n'est plus possible de les endiguer, de stopper leur progression. Oui, à l'heure d'aujourd'hui,Catherine est mon exemple, un exemple à suivre quelques soient les diagnostics négatifs que l'on m'annoncera à l'avenir, quelques soient les effets néfastes des effets secondaires dont je serai le sujet. Oui, si un jour je perd le moral, il faudra que je me force à relire certains de ses articles qui, je l'espère, me requinqueront. Je pense également à Tony qui, lui aussi, est comme Catherine, un battant, un volontaire, mais à priori il n'est plus concerné par le cancer depuis qu'il a subi sa greffe de foi. Son foi cancéreux est à la poubelle et n'avait pas développé de métastases ailleurs dans son corps. Est-ce à dire que c'est réellement fini pour lui ? Je le souhaite de tout mon cœur tant cette maladie est une vraie merde, tant elle pollue autant le corps que l'esprit.

Il y a deux jours je me suis inscrit au forum de la Ligue contre le cancer. Je viens de m'y rendre et je suis tombé sur la question d'une femme qui posait des questions sur le cancer qu'avait sa mère, un cancer identique au mien, et qui ne comprenait pas que sa mère ait laissé tombé les soins, se remettant à fumer trois paquets de cigarettes par jour, attitude que sa fille n'arrive pas accepter. Je lui ai laissé un message, lui expliquant les techniques de soins pour soigner ce type de cancer, lui disant également que si sa mère avait fait le choix de se laisser mourir, il fallait respecter ce choix, même si cela n'était pas facile, et l'accompagner du mieux qu'elle pouvait. Ais-je bien fait, ais-je mal fait de lui donner mon opinion sur la question, je ne sais pas. En l'état, il est hors de question que je me laisse sciemment mourir en refusant soins, etc, car je veux que ma fille ait son père au moins jusqu'à son entrée dans le monde adulte. Cela nécessite que je vive au moins cinq ans encore, quoi qu'il arrive, et je vais m'employer à tout faire pour. Du coup je pense à certaines de mes conversations avec Cynthia qui, elle, est une adulte. Sans détour je lui dis qu'elle doit dorénavant planifier sa vie comme si je n'étais pas là, qu'il s'agisse de son choix d'académie pour exercer sa profession, du choix de la maison qu'elle voudra acheter, bref, qu'il faut qu'elle agisse comme si je n'étais pas là car, maladie ou non, je partirai logiquement avant elle de notre monde du simple fait de notre différence d'âge. Aussi, étant malade, je veux qu'elle ne se prive de rien qui puisse contribuer à son épanouissement, y compris en s'achetant des poules et un coq le jour où elle aura sa maison et son jardin. Ce type de conversation, le sujet de ma mort, n'est pas le plat préféré de Cynthia, mais à quoi sert-il de se voiler la face, à faire comme si notre couple pouvait être éternel, surtout depuis 2013 ? Cependant, je vous rassure, je ne la bassine pas tous les jours avec ça, loin de là, mais dès qu'il s'agit de son avenir, professionnel ou autre, je veux qu'elle pense d'abord à elle. Moi, quoi qu'il arrive, je m'adapterai toujours, d'une façon ou d'une autre.

lundi 13 avril 2015

Psychotropes

13 avril 2015


Pour la première fois depuis bien des mois, j'ai dormi d'une seule traite cette nuit. Couché hier soir vers 21h00, je ne me suis réveillé qu'à 9h00 ce matin. Cependant, peut-être parce que j'ai trop dormi, je suis toujours un peu dans le gaz, pas bien éveillé, alors qu'il est déjà 11h00. Je suis place Sainte-Anne, le quartier est calme à cette heure, le soleil montre depuis mon réveil le bout de son nez et nul soute que cet après-midi, du fait du soleil et de la chaleur, que le quartier sera infesté de monde. Je pense au terme que je viens d'employer, « infesté », et me demande pourquoi je l'ai utilisé. Où y a-t-il infection du fait d'une foule, d'une multitude de personne qui ne cherche qu'à prendre du bon temps au soleil, oubliant ainsi la rigueur de l’hiver ? Bref, quoi qu'il en soit, je dois être chez moi tout à l'heure car mon propriétaire vient bétonner la cave. En attendant, je vais aller lire Catherine, la suite de son histoire, en espérant que son année 2014 aura été plus calme, plus sereine que son année 2013.

Il va bientôt être 16h00 et après être rentré chez moi vers 13h00, avoir mangé un paquet de gâteau en guise de repas, vidé ma cave pour que le propriétaire puisse la bétonner, fait la vaisselle qui n'attendais que moi depuis ce week-end et, enfin, ne pas m'endormir, ne pas faire de sieste, je suis donc de retour place Saint-Anne où s'est également installé un pianiste. Toutes les terrasses des cafés de la place sont noires de monde et tous avons donc le droit à un concert de piano gratuit. Auparavant, même si je n'en jouais pas très bien, le piano était mon instrument de prédilection. J'adorais son son et il est, à mon sens, l'instrument le plus complet, un instrument qui se suffit à lui-même. Chez moi, j'ai toujours mon clavier, mais il est rangé et depuis mon arrivée à Rennes je ne m'en suis pas servi une seule fois, pas plus que de mes guitares. Oui, déjà à Lyon, avant notre déménagement pour Rennes, je ne touchais presque plus mes instruments de musique. De la même façon, je n'écoute plus de musique, y compris lorsque je suis dehors avec mon ordinateur. Mon casque reste dorénavant dans ma sacoche et c'est dans le bruit ambiant que je glisse mes lignes et mes mots. Oui, depuis mon cancer, les traitements et tout le reste, quelque chose s'est cassé entre moi et la musique, quelque chose n'est plus, a disparu. Pourtant, si hier vous m'aviez demandé si je pourrai vivre sans musique, immédiatement je vous aurai répondu non. Comme quoi, je ne sais ce qui se passe dans mon cerveau, mais il s'y est passé quelque chose, changeant ainsi mon rapport à la musique, aux sons en général. Cependant j'écoute le pianiste qui chante également. Il joue des airs joyeux et je regrette que Cynthia ou ma fille ne soit pas à mes côtés pour en profiter également. Oui, sur la place il règne comme un véritable parfum d'été, de fête, et c'est agréable à vivre. Cela me change un peu de la maladie, d'y penser chaque jours, maladie qui est tellement moi que je ne me rend même plus compte que matin, midi et soir je prends des médicaments pour la gérer du mieux possible.

Les médicaments, c'est aussi une longue histoire dans mon histoire. Déjà enfant, alors que j'étais à l'école primaire, j'avais souvent des sensations de déjà-vue et lors de ces moments je ne pouvais plus parler, j'avais comme la tête qui tournait. Parfois cela se produisait quand j'étais en classe et il m'est arrivé plusieurs fois de me lever de ma chaise, comme un automate, comme guidé par une force supérieure, et de sortir de la classe, allant dehors. Le professeur m'interpellait, mais je ne pouvais lui répondre, les mots ne sortaient pas de ma bouche et il me semblait évident qu'il fallait que je sorte, que c'était écrit ainsi. Ces épisode d'absence durait en général dix bonnes minutes. Moi ou mes professeurs en parlaient à ma mère qui me conduisait alors chez notre médecin. Là, j'avais le droit à un traitement de je ne sais quoi pour un mois. Cependant, j'eus régulièrement ces moments d'absence jusqu'à mon adolescence. Après, plus jamais je ne vécu d'épisode similaire. De même, lorsque j'eus treize ou quatorze ans, ma mère décida de me faire suivre par des psychologues. Dans ma petite tête, je pensais que les psy étaient réservés aux fous. Est-ce à dire que j'avais un grain, que ma mère me prenait pour un illuminé ? Mais à cette époque, je ne crois pas que je subis de traitement médical à base de psychotropes. Lorsque j'eus quinze ans, l'école étant obligatoire, mais aucun collège ne voulant de moi, ma mère me plaça dans une espèce de clinique pour adolescent dépressifs où ces derniers, parallèlement à leur traitement, poursuivaient leurs études. C'est là que je rencontrai pour la première fois une anorexique, pathologie que je ne connaissais pas. Là encore je me suis demandé ce qui se passait dans l'esprit de ma mère, me demandait pour quoi ou pour qui elle me prenait. Là j'eus le droit à un traitement à base de psychotropes, mais cela ne dura qu'un mois, le temps pour moi de faire mes valises et de rentrer chez moi. Ensuite, entre mes seize ans et mes dix-huit ans, je dû faire deux séjours à l'hôpital Saint-Anne. Cet hôpital est exclusivement psychiatrique. Il est l'hôpital avec un grand H pour tous les fous parisiens, pour toutes les détraquées parisiennes. Là aussi jeu le droit à des psychotropes. Puis il y eut 1985, ma première incarcération alors que je venais à peine d'avoir dix-huit ans. Dans la cellule où j'étais, nous étions trois, et l'un de mes compagnons d'infortunes avait réussi à faire entrer de l'héroïne, héroïne qu'il partagea avec nous. Autant vous dire qu'après la prise de ces rails d'héroïne, la prison n'existait plus. J'étais dans un autre monde, bien à l'aise dans ma peau, appréciant avec bonheur ma condition de détenu. Mais lorsque l'effet de l'héroïne se dissipa, je ne sais ce qui se passa, mais je crus devenir fou. Dans mon cerveau, sous mon crâne, mes pensées courraient les mil kilomètres à l'heure, mon corps ne pouvait rester en place, je ne faisais que bouger, allant d'un mur à l'autre de la cellule sans pouvoir m'arrêter. C'est comme une immense crise de claustrophobie qui s'emparait de moi. J'appelai alors un surveillant afin qu'il me conduise à l'infirmerie. De ce jour jusqu'à ma sorti, trois mois plus tard, on me donna également des calmants tous les jours. Lesquelles ? Mystère. Puis entre mes dix-huit ans et mes vingt-quatre ans, moment de la mort de Michel, je dû séjourner à nouveau à l'hôpital Saint-Anne au moins six fois, pour des durées allant d'une semaine à un mois. A ma sortie de prison, n'étant pas bien dans ma peau, j'allais voir mon médecin généraliste. C'est avec lui que commença mon abonnement au psychotropes, en 1986, abonnement qui ne se termina qu'en l'an 2000. Oui, pendant quatorze ans je n'ai eu de cesse de prendre matin, midi et soir, des calmants, parfois des anti-dépresseurs, parfois des neuroleptiques. Oui, ces médicaments et moi c'est une longue histoire d'amour maudite. Lorsque je fis ma cure de désintoxication, en l'an 2000, cela me valu d'avoir dans la foulée deux crises d'épilepsies. De 1997 à 2000, j'avais entrepris une psychothérapie, sérieuse cette fois, ce qui me permit de me passer de toutes ces saloperies de médicaments en 2000. Depuis et ce, jusqu'à la découverte de mon cancer en 2013, je n'ai plus jamais revu ni un médecin, ni un psy, ni un hôpital, ni un médicament. Enfin je vivais normalement, n'avais plus besoin de cette béquille que sont les psychotropes et affrontais les épreuves de la vie, dont ma séparation avec ma fille, avec la seule force de ma volonté, de ma détermination et, ne nous le cachons pas, de ma colère. Oui, ce furent des années où j'eus beaucoup de colère en moi, essentiellement contre la mère de ma fille et tous ceux et celles qui, directement ou non, cautionne le comportement qu'elle a eu à mon égard. Et le cancer est arrivé. Au début j'ai tout fait pour éviter de reprendre des psychotropes, mais j'ai craqué en chemin. Certes, ce que je prends actuellement, les quantités, n'est en rien comparable avec ce que je prenais dans mon lointain passé, mais cependant je suis déçu car cela marque du doigt ma faiblesse morale en ce moment.