dimanche 31 mai 2015

Virginie et les autres

31 mai 2015


Ce soir je pense à Virginie, cette femme avec qui je communique par écrit depuis une ou deux semaines, je ne sais plus, que j'ai croisé à l'origine sur le forum de la ligue contre le cancer, répondant à son appel à l'aide, à des explications. Elle, c'est une « vivante », non atteint par la maladie, par le cancer ou une autre du même acabit. C'est son compagnon qui a une tumeur au cerveau, un compagnon qu'elle ne connaît que depuis un an, un compagnon qui vit toujours en couple, même si le couple n'existe plus officieusement depuis deux ans, qui vit avec ses enfants. De prime abord Virginie ne s'est pas engagé dans une histoire simple et, ce, depuis le départ. Donc depuis deux semaines, c'est sur cela que nous échangeons, bien plus que sur la maladie. Sincèrement, je ne comprends pas en quoi je lui suis utile, pas plus que je ne vois comment je pourrai être utile à qui que ce soit maintenant. Tout ce qu'il me reste, ce sont des mots. Physiquement, je ne peux plus rien faire, ou presque. De même, je ne fais aucun projet, ou presque, en tout cas aucun projet à long terme. Donc la seule chose que je peux apporter à quelqu'un, Virginie ou un autre, ce ne sont que des mots, de la théorie, uniquement de la théorie, que j'ai face à moi une personne virtuelle ou physique. Dans nos échanges, Virginie me parle beaucoup et longuement de sa vie. Je la lis attentivement, essaye de comprendre qui elle est, ce qu'elle recherche réellement derrière tout ce qu'elle me narre. Je crois que c'est de l'amour qu'elle veut, de l'amour qui lui a manqué, forcément, dans mon esprit cela est très clair. Pour parvenir à atteindre cet objectif, je le constate, elle n'hésite pas à entreprendre, à agir, à être active. Oui, je crois que c'est une battante, une de plus que je croise sur la toile, mais que je ne sais comment aider concrètement.

Effectivement, aussi solidaire aimerai-je l'être, je sais bien qu'elle et moi ne faisons pas du tout partie du même monde. Le mien est celui de son ami, celui où il n'est de place, ou que très peu, pour les projets. De même, même s'il est évident qu'elle comprends les mots que j’emploie, les phrases que j'écris, je sais également qu'elle ne peut saisir le sens, le fond que je leur donne à présent. Cela peut donc prêter à confusion, fausser l'interprétation des messages que je veux faire passer, comme cela m'est arrivé naguère avec Cynthia, ma mère et d'autres personnes. Donc je lis son histoire attentivement, l'écoute réfléchir à voix haute sur son présent, son avenir, et bien souvent ne sais quoi lui répondre. Je pourrai lui donner des conseils, certes, mais je n'aime pas donner des conseils, surtout à quelqu'un qui est encore dans la fleur de l'âge, avec un véritable avenir devant elle. Là aussi mes conseils ne seraient pas appropriés, car ils seraient ceux de quelqu'un qui ne voit, n'entends et n'écoute que la fin, la fin de la vie, là est mon prisme, mon angle de vue, ma vision de l'existence. Ces conseils ne pourraient s'adresser à quelqu'un qui veut bâtir, construire, édifier, qu'ils s'adressent à Virginie, ma fille ou toute autre personne en bonne santé. Ces dernières, même si je pense que cela ne sert à rien, je crois qu'il faut cependant les encourager à aller de l'avant plutôt que de se morfondre, ruminer du noir ou du gris, car on a qu'une vie, une seule, très fragile finalement, c'est presque un exploit que de connaître le lendemain en bonne santé, même si on ne le sait pas tant que rien de grave ne nous arrive.

Donc oui, je m'interroge sur ce que je peux apporter aux autres, sur ce que je peux leur donner concrètement, en dehors de la seule théorie. Sur mon blog je raconte ma vie, cela m'occupe et me plaît de le faire, mais je suis surpris que cela puisse en intéresser quelques uns, quelques unes. Oui, je ne vois pas en quoi ma petite vie, mes routines quotidiennes, mes questionnements de chaque instant, les réponses que je tente d'y apposer, peuvent aider, influer ou soutenir d'autres personnes, des personnes qui ont leur propre vie, bien à elle, forcément différentes de la mienne, surtout si elles sont en bonne santé. Pourtant hier, avant ma maladie, j'étais comme elle. Je m’intéressais à l'histoire des autres, à leurs joies ou leurs tourments. Oui, sincèrement, cela pouvait même me passionner, tel que ce fût le cas lorsque j'ai découvert Cynthia, virtuellement d'abord, via son blog, ne cessant de me demander quelle était cette étrange créature qui me remuait autant les trips, qui déjà faisait battre mon cœur alors que je ne connaissais strictement rien de son histoire, de son vécu, de son intimité. Oui, il a fallu que je la devine à travers ses mots, ses textes acerbes, rageurs et l'auto-destruction qu'elle s'était alors programmé. L'anorexie, un bien étrange état d'esprit, il faut le reconnaître, quelque part attachant tant je ne peux qu'avoir de la compassion, voire de la pitié, pour toutes ces jeunes filles qui se mutilent sans bien s'en rendre compte le plus souvent. Lorsqu'elle réalise leur mutilation, c'est bien souvent trop tard, la machine est lancée et, pour les personnes qui les côtoient, qui aimeraient qu'elles se sauvent, on se demande si on pourra enrayer le mouvement, la mécanique de cette mort pré-programmée. Oui, hier je croyais donc que je pouvais être utile, à commencer auprès de Cynthia. Je pouvais alors agir physiquement, quittant Paris pour Lyon afin d'aller à sa rencontre, me décarcassant pour rester dans cette ville et y trouver un travail, puis un toit pour nous deux, etc. Mais je comptais également grandement sur ma rhétorique, ma répartie, mes points de vues, voire quelques certitudes, pour l'amener à modifier son opinion sur elle-même et les autres, une opinion sévère, sans concession. Aujourd'hui, c'est cette même rhétorique que je remet en cause, dont je pense qu'elle n'est plus d’utilité, qu'elle ne sert à rien, car au final chacun fait ce qu'il veut, comme il l'entends, peu importe que vous lui faisiez remarquer qu'il ou elle est dans l'erreur et qu'il l'admette. Oui, surtout à l'âge de Virginie et de bien d'autres, au mieux je ne peux être qu'un déclencheur d'idée, quelqu'un qui met peut-être sur la table des choses auxquelles on n'a pas pensé, mais en aucun cas je ne peux être celui qui décidera ou influencera le cheminement de l'autre, que ce cheminement soit intellectuel ou non. Non, tout cela relève de l'autre, complètement de l'autre, de ses choix, et peu importe ce que j'en pense.

Pour cette raison, je donne de moins en moins de conseils, y compris à Cynthia, donne de moins en moins mon avis, sauf à Cynthia, et la plupart du temps préfère me taire. Lorsque des personnes me parlent, sauf si elles sont des malades, j’écoute, certes, mais d'une oreille distraite, sans véritablement m'intéresser à ce qu'elles me racontent, attendant patiemment qu'elles aient finis leur monologue. Parmi les personnes en bonne santé, les seules que j'écoute réellement, avec attention et bienveillance, ce sont les aidants, mais pas n'importe lesquels, je parle des aidants qui partagent et vivent au quotidien avec le malade. Oui, ceux-là je leur rends grâce d'exister, d'être là, d'accepter de nous prendre tel que nous sommes, c'est à dire plus ou moins invalide, handicapé et, moralement, psychologiquement,devenant ou devenu autre. Cela fait deux an que je vois Cynthia à l’œuvre, un an que je vois son père dans la même situation qu'elle, s'occupant inlassablement de sa femme, que je lis les témoignages d'autres cancéreux qui racontent leur chance d'avoir un mari ou une femme compréhensive, qui les accompagnent, les soutiennent, les prennent comme ils sont, avec leurs failles et leurs faiblesses. Même si l'aidant ne peut véritablement comprendre le monde psychologique du cancéreux, nous nous connaissons le monde des aidants, leur monde mental, car il y a peu nous faisions partie de ce même monde. Quelque part c'est donc une déception pour le malade, en tout cas pour moi, de constater que nous ne faisons plus partie du même monde mental, qu'il est quelque chose de primordiale, d'essentiel, de fondamental, que nous ne pouvons pas partager pleinement. Non, je n'aime pas ce fossé, mais pourtant il est là et, de part et d'autre, nous n'avons d'autres choix que de faire avec, du mieux possible, en essayant de limiter la casse, les dégâts, en essayant de garder néanmoins le moral, de faire des efforts pour ne pas rayer d'un trait demain et après-demain, pour garder l'espoir en des jours à venir heureux, des moments d'intenses plaisirs, des choses à faire ensemble.

Emil Cioran, « Ébauches de vertige » III

31 mai 2015


« Chez presque tous les penseurs, on peut noter le besoin de croire,aux sujets dont ils traitent, ils s'y identifient même jusqu'à un certain point. Ce besoin, condamnable en théorie, se révèle néanmoins une bénédiction, puisque c'est grâce à lui qu'ils ne se dégoûtent pas de penser... » (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Tous nous sommes des penseurs et peu importe la profondeur ou non de notre pensée, et parce que le plus souvent nous croyons ce que nous pensons, nous restons ainsi longtemps, voir une vie entière, dans l'erreur. Cependant, comme un arbre a besoin de ses racines pour vivre, nous ne pouvons vivre sans croire et, là encore, peut importe en quoi nous croyons. Certains pensent qu'il ne faut pas manger d'animaux. Ils ont raisonné le sujet, se sont trouvés des réponses satisfaisantes pour pouvoir croire en leur cause, et devienne végétarien, végétalien ou autre ? Quoi qu'il en soit, pour une raison obscure qui échappe à toute logique existentielle, celle du mystère de la vie, celle du mystère des lois naturelles, ces personnes-là ne mangerons plus de viande. Certaines d'entre elles y croiront plus que d'autre, seront encore plus convaincu, chercheront même à vous convertir le cas échéant. Ces dernières, à mes yeux, sont des folles, des imbéciles qui, d'une opinion, d'un point de vue pas moins légitime qu'un autre, sont passé dans le champs de la conviction, de la certitude, cet endroit imaginaire où serait installé en ordre de marche une armée de vérité, dont la leur. Oui, les personnes qui ont des certitudes, bien plus que des convictions, je m'en méfie comme de la peste. Dans notre espèce, elles sont pour moi et de loin les plus dangereuses. C'est parmi elles que nous trouvons tous les gourous, qu'ils soient personnages politiques, religieux, syndicalistes ou autres. Ils vous assènent leurs certitudes, sont prêt à se battre contre vous, à vous déclarer la guerre ou à vous donner la mort, même symbolique, pour faire triompher leurs certitudes, leurs vérités. Et nous, face à eux, que faisons-nous exactement ? Nous les écoutons, prenons actes de leurs dires, voire de leurs faits et gestes, mais nous interrogeons rarement sur le bien-fondé ou non de leurs certitudes. N'est-ce pas normal puisque nous ne réfléchissons pas souvent sur l'essentiel, autrement dit le sens de l'existence et notre sens dans ce dernier, seul questionnement qui permet pourtant de prendre, d'avoir du recul avec les croyances des uns et des autres. Ceci est donc ma croyance et c'est bien celle-ci qui ne me dégoûte pas de continuer à penser, par-ci, par-là, comme l'impose ma condition d'homme, mon cerveau et son fonctionnement.


« Pendant quelques minutes je me suis concentré sur le passage du temps, toute mon attention rivée à l'émergence et à l'évanouissement de chaque instant. A vrai dire, mon esprit ne se fixait pas sur l'instant individuel (qui n'existe pas), mais sur le fait même du passage, sur l'interminable désagrégation du présent. On ferait cette expérience sans interruption pendant toute une journée, que le cerveau se désagrégerait à son tour. » (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Cette concentration du passage du temps, sur l'interminable désagrégation du présent, voilà bien ma perception de la chose depuis des mois maintenant. Le cancer, tout ce qu'il a engendré comme bouleversement dans ma conception des choses, mouvement y compris, m'a mené à cela. Mais contrairement à Cioran ou à toute personne qui n'a pas connu, vécu dans sa chair l’imminent de sa fin, je perçois chaque moment ainsi, sans exception, et pour cette raison, cette unique raison, tout à l'heure ne veut plus rien dire pour moi, que ce tout à l'heure soit passé ou à venir, car dans ma chair je le vis soit déjà complètement désagrégé, comme ma journée d'hier ou le quart d'heure qui vient de passer, soit comme complètement irréaliste, lointain, très lointain, tant le futur est non présent, non existant dans cet instant même où j'écris. Il est une illusion, ni plus ni moins, tant je ne sais rien de lui à l'heure de ces mots, tant je sais aussi d'expérience que lorsqu'il sera présent, il disparaîtra aussi vite qu'il est venu, retournant au néant, à sa condition originelle, celle du temps qui défile sous nos pas, celle d'un temps qui existe complètement indépendamment de nous, de nos misérables existences, misérables parce qu'elles n'ont pas de grand intérêt, voire aucun à l'échelle de l'univers, du cosmique. Même la poussière a peut-être plus de valeur que nos vies, quoi que notre ego nous amène à penser de nous-mêmes et des autres. Du coup, je pense à la distinction nette, profonde, comme une cassure, que nous avons fait entre nous et les autres espèces vivantes, à commencer par celle que l'on nome animal, comme si nous étions autre chose, radicalement une autre forme de vie, sans aucun rapport avec de vulgaires lapins ou chevaux. N'est-ce pas là la preuve de notre bêtise, que nous ne sommes que des êtres  présomptueux ? Parce que nous sommes plus fort qu'eux, parce que nous pouvons les éliminer ou les maintenir en vie comme bon nous semble, nous sommes habité par le pouvoir, son sentiment de puissance, comme tenir une arme à la main et savoir que la vie de l'autre ne dépend que de notre seule volonté, oui, nous nous considérons comme des Dieux par rapport au monde dit animal. Mais y a-t-il plus bestial que nous, plus vicieux, plus pernicieux, plus sadique qu'un être humain dans le monde du vivant ? Je crois que non, d'où mon peu d'estime pour notre espèce et, plus encore, pour nos croyances ou certitudes.


« Être, c'est être coincé. » (Cioran, « Ébauches de vertige »)

« Ni ce monde, ni l'autre, ni le bonheur ne sont pour l'être abandonné au doute. » (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Coincé, c'est bien le mot, le bon terme, une fois de plus, une fois encore. Ne vous sentez-vous parfois, voire souvent à l'étroit dans vos petites vies étriquées, aussi mirobolantes puissent-elles paraître ? N'avez-vous pas parfois l'envie de changer de peau, d'être un autre, une autre, avec une autre vie, un autre quotidien ? Ne vous est-il jamais arrivé, au moins une fois, de refaire toute votre vie en rêve, de la réinventer totalement ou presque, parce que vous vous sentez enfermé entre deux murs, ne pouvant tendre vos bras, ne pouvant vous mouvoir, danser, tourner, dans cet endroit exigu qu'est votre vie ? Ces moments sont toujours des moments de doutes, même si ces derniers ne se manifestent pas ouvertement, à ciel ouvert, mais c'est bel et bien notre condition que nous remettons en cause. Cependant certains ne doutent pas, semblent parfaitement satisfaits de ce qu'ils vivent. Ceux-là, je le crois, sont ceux qui sont encore dans leur rêve, des rêves qu'ils n'ont pas encore accompli, concrétisé et pour lesquels ils croient en la réalisation, tôt ou tard. Ce n'est peut-être qu'à l'aube de leur mort, lorsqu'ils ne pourront qu'admettre que certains de leurs rêves, voire tous, n'ont pas été réalisé qu'ils s’effondreront, prenant alors toute la mesure de l'illusion dans laquelle ils étaient plongés. Pour les autres, toujours parmi les rêveurs , si les souhaits de ces derniers se concrétisent, rapidement ils prendront l'habitude de vivre leur rêve, qu'il s'agisse d'habiter sa propre maison ou de faire le tour du monde. Parce que ce ne seront plus des rêves, mais des réalités, tôt ou tard leur saveur disparaîtra, aussi sûr que deux et deux font quatre. De même, il se peut très bien que l'accomplissement de leur rêve ne leur apporte pas la satisfaction escomptée. Alors ils seront déçu et, dès que l'on est déçu, peu importe la raison, le doute frappe à notre porte. On s'engouffre dedans ou non, c'est selon chacun, mais le bonheur n'est plus de mise. D'ailleurs, qu'est-ce le bonheur, sinon un instant fugace qui, lui aussi, part aussi vite qu'il est venu. Il faut être fou comme nous le sommes pour croire que le bonheur peut être quelque chose de continue, sans interruption, sans fracture dans le temps. Cette folie est le propre de l'enfance, je peux l'admettre, mais lorsque je vois tous ces adultes en quête frénétique de construire leur vie autour, avec, cette idée folle, alors oui, je comprends que notre espèce est folle.


« Une fois qu'on a compris, le mieux serait de crever sur l'heure. Qu'est-ce que comprendre ? Ce qu'on a vraiment saisi ne se laisse exprimer d'aucune façon, et ne peut se transmettre à personne, même pas soi-même, de sorte qu'on meurt en ignorant la nature exacte de son propre secret. » (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Ce fragment de Cioran me ramène à mon cancer et à la non possibilité de partager ce secret qu'est  cette expérience, secret que je m’efforce, jour après jour, de nommer, appeler, définir. Oui, j'ignore encore la nature exacte de ce que j'éprouve, ressens, lorsque je me pense à travers ma maladie, c'est à dire tout le temps ou presque. Lorsque je dis que je me pense entièrement à travers ma maladie, c'est la même chose que si je vous disais que je me pense entièrement en tant qu'homme, mâle, et qu'il me serait strictement impossible de me concevoir autrement, comme un chat par exemple. Il n'y a ni bien ni mal dans cela, ni bon ni mauvais. C'est uniquement un prisme à travers lequel je m'observe et regarde l'alentour, vous y compris.
J'ai donc compris ce que signifie le mot cancer, le mot mort, le mot survie, le mot vie, les mots agréable, superficielle, essentielle, et quelque autres. Mais comment l'exprimer, le faire comprendre, y compris à moi-même, pour éclairer qui veut l'être, informer qui en a besoin. Oui, tous ces mots ne veulent rien dire par eux-mêmes, tout seul, si l'affect, l'émotion, la sensation, le sentiment n'y est pas mêlé. Mais dire le sentiment, ou tout au moins essayer, là le propre des poètes justement, est une chose ardue, voire impossible, inatteignable. Alors il ne reste que l'incompréhension au final, même s'il nous semble saisir quelques bribes par-ci par-là.


« Je me suis toujours emballé pour des causes perdues et pour des personnages sans avenir, dont j'ai épousé les folies au point d'en souffrir presque autant qu'eux. Quand on est voué à se tourmenter, ses propres tourments, si grands soient-ils, ne suffisent pas ; on se jette encore sur ceux des autres, on se les approprie, on se rend doublement, triplement, que dis-je ? centuplement malheureux ? » (Cioran, « Ébauches de vertige »)

C'était moi hier, complètement, je n'étais que cela, parfois consciemment, d'autre fois sans le savoir. Mais aujourd'hui tout cela est révolue. Je ne veux plus et ne peux plus m'approprier les tourments des autres. Pour tout vous dire, j'évite même d'être à leur écoute désormais. La seule exception, oui la seule, ce sont les cris des personnes qui sont dans le même cas que moi, qu'elles aient ou non un cancer, mais qui savent leur vie en sursis, qui ne savent plus ce que leur réserve demain ou après-demain, qui sente la mort respirer dans leur cœur, dans leur souffle, dans leurs poumons. Oui, seuls elles me parlent, me touchent, m'atteignent malgré moi. Tout le reste, tous les tourments des personnes saines, valides, en bonne santé, ne trouvent plus grâce à mes yeux. Quelque part c'est dommage, je le sais, mais leurs vies ne m'atteint plus, il y a une coupure entre mon monde et le leur, une coupure que je pense définitive, irréparable, infranchissable.

Fêtes des mères ?

31 mai 2015


Aujourd'hui, fêtes des mères, fêtes qui n'a pas mon assertion, pas plus que la fête des pères ou de je ne sais quel autre membre d'une famille, comme si c'était une gloire, voire un privilège d'être cela ou cela, comme si c'était le signe que d'être père ou mère était forcément marqué du bon sens, de l'absolu à atteindre, tout le reste n'étant que futilité, ou presque, comme si  tous ceux et celles qui ne sont ni père ni mère n'étaient que rebut, déchets, personnes inaccomplies, des tares humaines quelque part. Oui, on a beau jeu de glorifier l'importance des géniteurs, des génitrices, car nous ne sommes que cela, rien d'autre, et pour le reste nous ne faisons que conditionner nos enfants, les inscrire dans des moules, les dénaturant aussi sûrement que l'on dresse un chien à l'attaque ou pour servir un aveugle. Cela n'empêche pas d'aimer nos enfants allez-vous me dire. A cela je vous répondrai que nous n'aimons nos enfants, ou qui que ce soit d'autres, que s'ils entrent dans nos critères, dans nos standards, s'ils partagent les valeurs que nous estimons essentiels, s'ils nous respectent. En cas contraire nous sommes les premiers à nous en plaindre, quitte à cracher sur eux ou à les mettre à la rue. Oui, tous et toutes me faites marrer avec vos grandes idéologies, vos grandes idées généreuses que nos actes contredisent si  souvent.

Aujourd'hui est donc la fête des mères, celles que Pétain a créé de toute pièce, mettant ainsi au point un système familiale ou la femme-mère devenait reine, où la femme ne pouvait être que mère, là était son rôle sociale, naturel, génétique. Le père, quant à lui, n'était qu'accessoire, revenu d'argent, protecteur physique de la famille, mais une lettre rapportée au bout du compte. N'importe quel homme ferait l'affaire pour engrosser une femme et n'est-ce pas ce qui est encore demander à notre époque, « l'engrossement » de la femme, les enfants qu'elle va mettre au monde et le devoir qu'on lui donne, qu'on lui impose de s'occuper de sa progéniture. Là encore le père n'est qu'accessoire. Tant mieux s'il est là, cela facilitera peut-être un peu la vie de toutes ces mères, mais s'il n'est pas là, s'il est absent pour une raison ou une autre, qu'en a-t-on à foutre puisque dans vos esprits à la con seule compte la présence de la mère auprès de l'enfant pour la bonne évolution de ce dernier. Toutes ces salades j'y ai cru, longtemps, y compris au début, lorsque je suis devenu père. Mais je suis vite retombé sur terre, constatant le traitement radicalement différent qui était réservé au parent selon qu'il soit père ou mère. Depuis ce jour, combien de connasses et de connards j'ai découvert, incapables de réfléchir plus loin que le bout de leur nez, persuadés que la mère était tout, peut importe qu'elle soit une pute, une droguée ou je ne sais quoi d'autre d'aussi glauque. Peu importe également qu'elle se fasse engrosser par le premier venu, juste pour assouvir son envie de devenir mère, larguant aussitôt ou peu de temps après le géniteur en question. Elles devenaient néanmoins des mères et, par la grâce de ce seul statut, l'enfant serait donc entre de bonnes mains, peu importe l'absence du père encore une fois. Enfin, je ne parlerai même pas des séparations où, dans 90% des cas, les enfants sont confiés à la mère, peu importe qui elle est, peu importe les saloperies qu'elle a pu faire à son ex, peu importe la tarée qu'elle peut être. Les pères sont ainsi relégué au rang d'animateur de clubs de vacances, en tous cas dans leur immense majorité, et parce qu'une très grande partie d'entre eux pensent également que leurs enfants seront forcément mieux auprès de leur mère, ils deviennent de ce fait accessoire, entretiennent la machine au même titre que toutes ces mères qui se réclament être le nec plus ultra en matière de parentalité. Je crache sur tous ces gens-là, hommes et femmes confondus, tout autant que je crache sur tous les mouvements féministes, leurs adhérents et adhérentes, qui se gardent bien d'aborder ce problème dans sa profondeur.

Quoi qu'il en soit, en ce jour de fête des mères, c'est également l'anniversaire de la mienne. Qu'elle âge a-t-elle à présent ? 73, 74 ans ? Je ne sais plus. Avec l'âge j'ai des problèmes à présent, y compris avec mon propre âge. Trop de temps a passé, trop de choses se sont déroulé et, à force, j'ai l'esprit tellement encombré et mon stock de mémoire si limité que je ne me souviens plus de l'âge de personne. Cela aussi, et depuis longtemps, je trouve que c'est une belle connerie les fêtes d'anniversaire. Que fête-t-on au juste ? La naissance d'un être ? Oui, on peut le voir ainsi, mais pour ma part je vois chaque nouvelle année comme un pas supplémentaire vers sa mort, vers sa fin. Si nous buvions du champagne à cette signification, alors je fêterai mon anniversaire tous les ans, même tous les jours. Mais fêter ma naissance, mon entrée dans le monde de merde des humains, mon entrée dans une existence dont personne, strictement personne, hormis des illuminés, ne comprends le sens, cela non, je ne le peux plus. Mais pour ma mère c'est important, l'anniversaire est une preuve, un synonyme de vie quelque part, et elle ne pourrait comprendre, admettre, accepter, que l'on ne lui fête pas. Je l’appellerai donc tout à l'heure, par obligation, uniquement pour éviter une tension, mais sans aucune conviction.

samedi 30 mai 2015

Début de week-end

30 mai 2015


Il est 7h30, je suis levé depuis 5h00 et, ma foi, j'ai bien dormi. Pas de nausée, aucun rêve pour me réveiller, j'ai dormi comme une marmotte. Déjà je suis attable au café, à sa terrasse, entame mon double express, mais ai déjà mangé mes deux croissants aux beurres. Ils étaient vraiment excellent et me donne l'envie d'en recommander. Cependant ce ne serait pas sage, j'ai encore l'expérience d'hier matin où j'ai avalé huit pains au chocolat, des pains qui me sont restés sur l'estomac jusqu'en début d'après-midi, provoquant des nausées et des réveils lorsque après ce petit-déjeuner je suis rentré chez moi pour me recoucher.

Comme tous les samedi matin à cette heure, Rennes est redoutablement calme. J'ai marché dans ses rues à la recherche d'un café ouvert et, par hasard, j'ai donc atterri là où je suis, une brasserie que je ne connaissais pas. Dorénavant je saurai où aller à 7h00 du matin, tous les cafés que je connais étant fermé à cette heure. Je suis donc dans le quartier « république », pas loin de la Mairie.

Hier j'ai donc acheté une nouvelle cigarette électronique. Elle est tellement grosse, imposante, que je l'appelle ma pipe. C'est donc Cynthia qui me l'a offert et, pour l'avoir testé depuis hier après-midi, je ne regrette vraiment pas son investissement. Effectivement, toutes les sensations que j'attendais d'un cigarillo, cette pipe me les donne, contrairement à celle que j'avais précédemment, pipe qui avait dû faire son temps. Donc depuis hier après-midi je n'ai plus fumé de cigarillo et, parce que je suis tellement convaincu que ma nouvelle pipe fera l'affaire, qu'elle m'ôte toute tentation de fumer du tabac à nouveau, j'ai donc donner ma boite de cigarillos et mon briquet au premier mendiant que j'ai croisé. Au début il n'a rien compris. Je lui ai donc dit que j'arrêtais de fumer et là, lumière, tout s'éclaira dans son esprit. J'ai donc offert un peu de mort potentiel à quelqu'un et, si j'avais été quelqu'un de sage, de sensé, je n'aurai rien donné et aurait tout jeté. Mais comme je ne prétends pas à la sagesse, à devenir un sage, juste quelqu'un d'un peu plus raisonnable que par le passé, j'ai agit ainsi. Là encore, entre la théorie et ma pratique, il y a souvent un gouffre, une abysse, un ravin.

J'apprécie le calme qui règne ce matin, cela me change d'hier où j'étais dans le bruit continue, qu'il soit celui des véhicules ou de mes voisins de café. Oui, hier j'étais dans le tumulte de la ville, dans son énergie, son rythme qui, même s'il est nettement plus léger que celui de Paris ou Lyon, me fatigue néanmoins assez vite. Oui, mon esprit a de plus en plus de mal à assimiler le bruit continue, à le supporter. Peut-être est-ce pour cela qu'à présent j'apprécie hautement les mâtinées, avant 10h00, lorsque toute la ville n'est pas encore réveillée, en alerte ou en mouvement.

Cynthia va se faire faire un tatouage. Ce sera un ruban, celui qui symbolise la lutte contre le cancer. Il sera situé en haut de son sein gauche. Parce que l'idée, la symbolique me plaît et me parle, j'envisage donc de me faire faire le même. J'ai déjà un tatouage. Il est comme un bracelet qui entoure une partie de mon bras gauche. Je l'ai fait lorsque ma fille avait trois ou quatre ans, lorsque sa mère me l'a enlevé, la kidnappant, pensant que j'allais la laisser faire sans rien dire, sans agir. C'est vous dire qu'elle conne elle était. Mon tatouage représente donc mon alliance avec ma fille, pour qu'à chaque fois que je le vois je n'oublie pas, jamais, que j'ai une fille, qu'elle a un père, et que je dois être présent, jamais bien loin, quoi qu'il se passe, quoi qu'il arrive. Si je me fais tatouer ce ruban, il sera donc mon deuxième tatouage, mais contrairement à Cynthia je veux également inscrire le mot cancer, l'imprimer, l'incruster dans ma peau, car je suis aussi ça. Peut-être ne prendrais-je pas le ruban, mais ferai dessiner un amas de cellules dont la légende sera « cancer ». J'hésite encore, me pose des questions.

Cet après-midi Cynthia ira à son cours d'équitation. D'un côté j'ai envie d'aller avec elle, mais la longue marche qu'il faut effectuer entre l'arrêt de bus et le centre équestre me rebute. Oui,la distance est longue et, comme je marche au ralenti, comme une tortue, elle parait même trois fois plus longue. Cependant je verrai dans quel état je me sens tout à l'heure et agirai en conséquence.

Quoi qu'il en soit, ce matin je me sens bien et, comme d'accoutumé dans ces cas-là, ce sera ainsi toute la journée, ce qui me réjoui déjà, quelque soit son déroulement. Oui, cela fait vraiment du bien de se sentir serein, en paix, en tranquillité avec soi-même et les autres. Aucun problème insurmontable à l'horizon, même ma nouvelle métastase n'en est pas un, le traitement suivra son cours, cela marchera ou non, peu importe puisqu'en attendant je serai néanmoins vivant, existant peut-être dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, c'est à dire en paix. De même, absolument personne ne vient m'importuner malgré ou cause de lui, personne, et cela aussi est non négligeable. Oui, pour un malade, un cancéreux que le cancer ne laisse pas tranquille, un cancer qui se rappelle régulièrement à mon bon souvenir, on pourrait se demander si je suis réellement malade tant mon moral ne semble plus affecté par sa présence. La vie suit son cours, c'est tout ce que je sais, et je l'accompagne volontiers, peu importe où elle me mène. L'important n'est plus l'endroit, le lieu, mais simplement d'être là,vivant, respirant, pouvant encore apprécier les paysages, les décors et les gens.

vendredi 29 mai 2015

Si je devais écrire à ma fille

29 mai 2015


Je pensais faire une lettre à ma fille, lui écrire ce qui me passe par la tête lorsque je la pense, lorsque je l'éprouve, mais sans la certitude de la faire ni de le lui faire lire cet écrit s'il doit, un jour, peut-être ce soir, prendre le jour. Oui, je ne saurai par quoi commencer, ne sachant plus où est l’essentiel, perdu que je suis parfois entre hier, mes attentes, mes espoirs, mes désespoirs et mes colères d'alors, et aujourd'hui, depuis que la maladie est présente, me faisant relativiser tant et tant de chose.

Lui dire que je l'aime, avec ces termes-là, ces termes précis, bien sûr que je pourrai lui dire. Mais comme je l'ai déjà signalé naguère, en soi, cela ne signifierai rien pour moi, ne dirai pas clairement la chose, le lien, l'union et la séparation, séparation parce que nous ne sommes pas un, elle est elle et je suis moi, n'avons ni le même tempérament ni le même caractère, pas plus que nous avons les mêmes centres d'intérêts, en tout cas en ce moment. Comment voulez-vous que j'intéresse une gamine de treize ans à Cioran, Dostoïevski, et quelques autres de la même trempe ? Oui, j'aime beaucoup la littérature russe, surtout Dostoïevski dont je n'ai malheureusement pas lu tous les ouvrages. Mais les trois ou quatre que j'ai lu ont gravé dans ma mémoire et dans mon cœur un parfum que je n'ai retrouvé chez aucun autre auteur. Quelque part il me rappelle Cioran. Lui aussi, à travers ses romans tout du moins, n'est pas gai, peint l'âme de l'être, mais toujours sa facette sombre, parfois noire. Même la bonté qu'il peut décrire chez certains de ses personnages est quelque part pernicieuse, car dans ses romans le bien, le bon, peut mener également au mal, à la douleur, à la souffrance. Oui, de tout cela j'aimerai pouvoir m'en entretenir avec ma fille, mais elle n'est pas encore à l'âge de ces lectures, la maturité n'est pas suffisante, elle ne connaît pas assez le monde, notre espèce, son fonctionnement, ses travers et, pour quelques uns parmi nous, la foi en l'homme qui les anime.

Moi je n'ai plus foi en rien, du moins je le crois. Il ne reste que des choses ou des êtres que j'aime ou n'aime pas, que j'apprécie ou non, mais en aucun cas je n'ai la foi en ces derniers. Tout peut disparaître, la trahison est toujours du domaine du possible, ainsi que l'abandon, le délaissement, y compris de la part de nos plus proches. De toute façon, qui peut vraiment nous faire du mal hormis nos plus proches, hormis nos intimes ? Les autres, quoi qu'ils fassent ou non, ne sont que pacotilles, même pas une question subsidiaire dans le cours de nos vie. Pourtant, comme moi hier, combien de temps avons-nous perdu à nous attarder sur ces derniers dès lors que nous étions mécontent d'eux, insatisfaits, agacé ou énervé par ces derniers, des gens avec qui nous ne construisions rien la plupart du temps, ne partagions que peu de moment, le plus souvent des moments de détentes, détentes qui étaient sommes toutes que la seule raison d'être de ces relations. Même un ami, un véritable ami, qu'est-ce au juste ? C'est peut-être celui avec lequel nous passons nos meilleurs moments de détentes, des instants parfois euphoriques, merveilleux, un peu comme en famille lorsque dans cette dernière les rapports sont apaisés, sereins, non conflictuels.

Comment ma fille verra-t-elle tout cela plus tard, lorsqu'à son tour elle s'interrogera sur ce que signifie l'amour, l'amitié, l'empathie, la compassion, la colère, la vengeance, la haine et tout autre type de sentiment qui pourront la traverser ? Peut-être ne se posera-t-elle jamais la question, car nombreux sont ceux et celles qui ne s'embarrassent pas de tels questionnement. Ont-ils torts, ont-ils raison ? Pour la bonne marche du monde, pour s'approcher d'un semblant d'entente entre nous, oui, je pense qu'ils ont torts. A côté de cela, est-ce que le fait de s'interroger change, modifie nos actes en conséquence ? De ça je ne suis pas sûr. Théoriquement nous arrivons à une certaine forme de sagesse, de lucidité, oui, souvent, mais nous continuons à vivre de la même façon, gardant nos mêmes habitudes. Tout le monde sait que le cancer est une maladie de merde, tout le monde, sans exception. Mais si l'on n'est pas soi-même concerné, comme malade ou comme aidant, la majorité s'en fou au final. Qui donne pour la recherche ? Qui va comme bénévole dans des associations de luttes contre le cancer, soit pour aider les malades, soit pour aider, soutenir les familles ? Non, dès qu'un malheur ne nous touche pas personnellement, nous ne changeons rien à nos habitudes. Celui ou celle qui le fait est soit courageux, soit inconscient, je ne sais quel est le bon terme. Bien sûr, on ne peut s'occuper de toutes les causes mortelles ou sinistres qui sont dans notre environnement. Cependant, je dis et affirme que l'immense majorité d'entre nous ne s’occupe de rien. Le royaume du nombrilisme, en tout cas en France, voilà ce que je vois depuis près de cinquante ans, et je suis encore l'un de ces nombril, même si je m’efforce depuis peu à donner aux autres, à essayer de leur être utile, que ce soit avec mes mots ou par des actes matériels, tels des donations. Mais c'est la maladie, la préciosité de la vie dont elle m'a fait prendre conscience, qu'il s'agisse de la mienne ou celle d'autrui, qui ma ouvert les yeux. Qu'étais-je alors auparavant ? Un aveugle ? Un sot ? Un ignorant ? Un pauvre con. J'opte pour cette dernière hypothèse, oui, je n'étais qu'un pauvre con imbu de sa propre personne, de son seul destin, le reste du monde ne servant qu'à atteindre ou freiner mes objectifs. Oui, toute vie qui n'était pas la mienne ne pouvait que la remettre en cause, inévitablement, que j'en ai conscience ou non. Mais avais-je envie de remettre en cause quoi que ce soit ? Encore une fois, comme l'immense majorité d'entre nous, non.

Parce que je suis son père et que le cancer m'emportera sûrement, peut-être que ma fille s'engagera dans et pour cette cause. Mais il se peut tout aussi bien qu'elle n'en fasse rien, qu'elle éloigne d'elle toute cette histoire afin de vivre tranquillement dans la bulle qu'elle se fabriquera.

Un jour sans...

29 mai 2015


Aujourd'hui est un jour sans. Sans quoi, je ne le sais exactement. Simplement je ne suis pas dans le même état d'esprit qu'hier, pas aussi serein, un peu tendu, vraiment pas réveillé malgré qu'il soit 14h00 et que j'ai dormi toute la matinée et le temps, cette fameuse notion du temps, n'est également plus la même que celle des jours précédents. D'habitude je me sentais dans la contemplation, assis dans une chaise longue sur un bord de plage, regardant les mouettes et les goélands voler, les nuages passer et les enfants courir sur le sable. Aujourd’hui, même si je dors debout, je me sens dans le mouvement, bien que comme à mon habitude, c'est à une terrasse de café que je suis attablé. Mais j'ai mon explication, au moins une explication, et elle vaudra ce qu'elle vaut. Donc, à cause de mes métastases et de la radiothérapie, un gros œdème s'est formé dans mon cerveau. Pour lutter contre ce dernier, contre ses effets exactement, je prend donc de la cortisone à haute dose depuis plus d'un an maintenant. La cortisone, à haute dose, rend actif, voire hyper-actif et, lorsque les doses sont vraiment très forte, tel que cela m'est arrivé d'en avoir, cela peut même vous rendre agressif, très agressif envers l'autre. Depuis deux jour, par suggestion de mon pneumologue, j'ai donc diminué la dose que je prenais jusqu'alors. C'est juste un comprimé en moins, trois au lieu de quatre. Mais du coup, mon corps est moins boosté, moins ragaillardi, et d'autres effets secondaires de la radiothérapie se re-manifestent, telles les nausées. En diminuant la dose de cet existant chimique, je redécouvre la faiblesse et la fatigue de mon corps. Mon ordinateur me semble deux à trois fois plus lourd que les jours précédents et, dans ma tête, tout marche au ralenti, voire ne voit même plus la surface. Donc aujourd'hui est un jour sans parce que je ne me sens pas spécialement à l'aise dans mon corps. Ce dernier se rappelle à mon bon souvenir, me signifie à nouveau dans quel état il est exactement, c'est à dire pas au plus haut.

Cet après-midi, si j'ai le courage, je vais aller m’acheter une nouvelle cigarette électronique. C'est Cynthia qui me l'offre. Elle veut, souhaite, espère que cela m'aidera, m'incitera à cesser de fumer mes cigarillos et, ce, définitivement. Mais aujourd'hui je ne me sens aucun courage, aucune envie de faire les magasins, aucune envie de me renseigner sur tel ou tel modèle de cigarette électronique, non, je ne me sens ni en état de parler ni en état d'écouter. Plus j'écris, plus les mots s'affichent sur la page, et plus je sens que je me détends, que je me relaxe un peu, que je m'apaise. Le temps me semble moins pressé subitement, reprenant presque son rythme normal, celui que je lui connais depuis quelques mois maintenant, c'est à dire du temps présent, de l'instant, du moment calme et éphémère qui ne soucie guère de celui à venir, que celui-ci se manifeste dans quelques secondes, quelques minutes et, à plus forte raison, dans quelques heures. Non, tout cet avenir n'intéresse pas le temps présent, pas plus qu'il ne m'intéresse, ne m'interpelle ou ne m'attire. Tout cela n'existe pas encore et, quoi que j'imagine de tout à l'heure, il est de forte chance que ce qui s'y déroulera ne ressemblera pas à l'idée que je peux en avoir maintenant, tout de suite. Alors je cesse de me projeter ou de projeter qui que ce soit, je prends les choses et les êtres comme ils viennent et, dans la mesure du possible, m'en accommode. Il est bon de ne plus rien contrôler, ne plus vouloir le faire, tout au moins de ne plus vouloir contrôler son environnement. Oui, c'est vraiment reposant, apaisant et beaucoup de souci puérils en moins. Plus d'encombrement dans l'esprit, plus de stratégie à mettre au point, plus de planification à élaborer. Même lorsque je prends ma fille en vacance, je ne prévois strictement rien. Je me lève le matin, lui demande si elle a des idées de sorties, si elle veut faire quelque chose de particulier. Si rien ne lui traverse l'esprit, alors je lui propose une balade, une promenade, ne sachant jamais où à l'avance, et c'est ainsi que nous parvenons néanmoins à occuper nos journées, à faire des choses ensemble, loin de l'ennui pour l'instant, tant pour l'un que pour l'autre, et je trouve cela parfait.

A Rennes, avec Cynthia, c'est le même processus qui est à l’œuvre de ma part. Là aussi je ne planifie rien, strictement rien. Je fais des propositions qui me passent par la tête à l'instant T et, à l'instant U, je peux parfaitement lui proposer autre chose. Après elle est libre, entièrement libre de me dire oui ou non, de m'accompagner ou pas, car il est vrai que je passe toute mes journée dehors. De la même façon, si elle a des choses à me proposer, en général j'accepte de les faire, de l'accompagner, histoire d'être avec elle, à ses côtés, et non chacun dans son coin, elle à la maison et moi dehors.

Donc aujourd'hui je ne parlerai pas Cioran, je n'ai pas la tête à penser ou à épiloguer sur ses aphorismes. Pourtant Dieu sait, s'il existe, si j'aime cet auteur. Oui, à mon regret il est bien trop méconnu, méconnu parce politiquement, moralement, voire philosophiquement incorrect. Il n'a jamais écrit de roman et, s'il l'avait fait, je me demande quelle trame et quelle tournure aurait pris ce dernier. A coup sûr, c'eut été un roman existentiel, mais y aurait-il eu un happy end ? De cela je doute. Un roman noir, noir de chez noir, voilà ce qu'il aurait rédigé. De même, s'il avait été directement ou indirectement concerné par le cancer, qu'en aurait-il dit, qu'en aurait-il déduit ? Comment nous aurait-il gifler à partir de cette anomalie de notre corps ?

Mais la cancer, est-ce vraiment une anomalie ? S'il est là, si les cellules cancéreuses sont là, ne le sont-elles pas naturellement ? Personne n’appuie sur un bouton, personne ne déclenche leur naissance à partir d'un produit, d'une substance, d'un médicament. Non, elles sont là naturellement et, en cela, je ne peux les concevoir comme une anomalie. Elles sont quelques choses qui m'emmerde, cela oui, comme un gros rhume ou une bonne bronchite, mais où est l'anomalie. Toutes nos cellules, aussi saines soient-elles, ne se reproduisent pas de la même façon, au même rythme, à la même fréquence. Chacune d'entre elle a sa spécialité, sa spécificité. La cellule cancéreuse n'échappe pas à la règle, tout simplement. Certaines de nos cellules sont programmées pour mourir, des cellules saines bien entendu, c'est là le propre de la vieillesse, sa caractéristique, qu'il s'agisse de cellules de la peau ou d'autres choses. Oui, dès la naissance , déjà dans le ventre de notre mère, lorsque nous ne sommes encore qu'embryon, déjà des cellules sont auto-programmées pour mourir, disparaître. C'est la raison pour laquelle nous ne possédons pas de palmes entre nos doigts lorsque nous sortons du ventre de notre mère. Pourtant, à l'état d'embryon, nous avons ces palmes. Notre corps commence par se construire ainsi. Puis l'ADN, l'information génétique ordonne à toutes ces cellules qui constituent nos palmes de disparaître, de mourir, de retourner au néant. Nous venons alors au monde avec des mains et des doigts, laissant nos palmes à un lointain passé.

jeudi 28 mai 2015

Sérénité

28 mai 2015


Aujourd'hui je n'écrirai pas longtemps à priori, je rédigerai peu. Oui, je n'ai rien envie de faire ce matin, même pas de voir les gens passer, défiler devant moi. J'ai néanmoins appelé ma mère, histoire de la mettre au courant de l'évolution de mon cancer. Hier je n'avais appelé personne, strictement personne, car je n'avais pas envie d'en parler, de rassurer ou entendre épiloguer sur les bénéfices ou non des soins envisagés. Oui, hier je voulais avoir la paix en la matière et, hormis ma fille qui m'a téléphoné, que j'ai donc mis au courant, jetant ainsi un froid dans la conversation, instantanément dès que je lui ai annoncé que j'avais une nouvelle métastase, j'ai délaissé tous les autres, famille et ami. De même, aujourd'hui, je n'ai pas plus envie d'en parler, de converser là-dessus, je juge cela sans intérêt à présent, et le fait que les autres soient au courant en temps et en heure ne m'apporte plus rien. Hier je les informais en temps réel, cela me donnait l'impression de ne pas être seul, de ne pas me sentir complètement abandonné, je ne sais comment dire, nommer la chose. Mais je me suis aperçu qu'en retour j'avais leurs craintes, leurs inquiétudes à gérer, et là aussi je me retrouvais seul du coup, souvent en éprouvant de la culpabilité, un sentiment envers lequel ils ne pouvaient rien faire. J'étais donc déçu et, quelque part, leur en voulait de leur inquiétude qui me faisait culpabiliser. Comme dirait Emil Cioran, encore lui :

« Quand on s'est arrogé le monopole de la déception, on doit se faire violence pour reconnaître à quelqu'un d'autre le droit d'être déçu. » (Ébauches de vertige)

Oui, d'être malade, de savoir la mort sur le qui-vive, à l'affût de notre moindre faiblesse, nous plonge bien souvent dans la déception, en tout cas au début. Malgré nous, nous nous y enfermons, nous entrons en immersion dans ce no man land, ne comprenant souvent plus rien à ce qui nous arrive, à ce qui nous tombe sur la tête si subitement, soudainement, brusquement et brutalement. Alors oui, nous avons bien du mal à comprendre la déception des autres, à l'accepter surtout, car c'est quand même nous qui sommes en cause, c'est de notre mort qu'il s'agit, pas de la leur. Ce n'est qu'avec le temps que nous recommençons à ouvrir les yeux, une fois le choc passé, les soins passés et leurs effets secondaires, car tant que nous sommes dedans, immergé par la maladie et tout ce qui va avec, nous ne pouvons voir qu'elle, il n'y a pas d'autres horizon, strictement aucun, même vous n'êtes qu'ameublement, décors, à notre corps et esprit défendant, mais c'est bien ici au début, le temps de prendre l'habitude de vivre avec la maladie, de réapprendre à s'apprivoiser, de se reprendre en main. Certains, certaines font cela très rapidement. Moi il m'a fallu presque deux ans pour regarder enfin et à nouveau les autres, leurs états d'âme, leur affect, et à considérer ces derniers à leur juste mesure, leur juste valeur. Aujourd'hui j'accepte leur déception, mais je ne culpabilise plus, mais alors plus du tout. J'accepte leur inquiétude, mais je ne cherche plus à tout faire, à me mettre en quatre pour les rassurer, hormis ma fille que je rappellerai ce soir, histoire de lui faire voir que la vie continue, que ce n'est pas demain que la mienne s'achèvera, que nous aurons encore de beaux jours devant nous, des jours que nous passerons ensemble, peu importe à faire quoi, mais ensemble, comme des gens qui s'aiment.

Je ne peux résister à la tentation de vous faire découvrir une autre citation de Cioran, même si elle n'a pas de rapport avec ce qui précède :

« Tout acte de courage est le fait d'un déséquilibré. Les bêtes, normales par définition, sont toujours lâches, sauf quand elles se savent plus fortes, ce qui est la lâcheté même. » (Ébauches de vertige)

Je pense que nous sommes des bêtes, parfaitement normales par définition, et que ce sont les lâches, autrement dit les nantis, qui dirigent notre monde. Je n'ai plus aucun respect pour eux, sauf peut-être pour les philanthropes, tel Bil Gates, qui redistribue un peu leur richesse. L'argent, la propriété, la richesse pourri l'homme, que celui-ci en manque ou qu'il en ait trop. Il nous dénature, quelque soit la forme de notre comportement ou de notre pensée en conséquence. Échanger n'est pas du tout pareil qu’acheter, la relation à l'autre est différente, beaucoup plus saine selon moi. Comme l' a écrit Rousseau, le premier homme qui a planté quatre piliers, les a relié par un fil, puis a affirmé que ce champs était le sien, celui-là a inventé la propriété et tout le bordel qui va avec. Les autres l'on laissé faire, comme si cela allait de soi, exactement comme nous-mêmes laissons faire tous les nantis de notre monde. Nous sommes aussi cons que ces premiers hommes, à ne pas en douter, ou aussi lâches selon les termes de Cioran.

Cette autre formule de Cioran me fait penser au cancer, ou plus exactement à l'état d'esprit qui est souvent le mien dès que l'on vient m'aborder, alors que je ne demande rien, sur ma maladie, et à tous les conseils ou soucis que l'autre me prodigue :

« C'est commettre une effraction qu'envoyer un livre à quelqu'un, c'est un viol de domicile. C'est empiéter sur sa solitude, sur ce qu'il a de plus sacré, c'est l'obliger à se désister de lui-même pour penser à vos pensées. » (Ébauches de vertige)

Oui, lorsque je pense à mon cancer, à mon état, que je veux me plonger dans cette réflexion, je ne supporte pas d'être dérangé. Je veux pleinement m'imbiber de tout ce que j'éprouve alors, car c'est surtout de cela qu'il s'agit, de sensations, d'émotions, voire de sentiments, et parfois j'aime y plonger comme l'on s'enfonce dans l'eau d'une piscine, en apnée. Le reste du temps, c'est le moment présent que je veux vivre et, là aussi, pleinement. Donc je parle de moins en moins de mon cancer et, je le pense, arrivera un jour où je ne parlerai plus du tout dessus. Certes, j'écris dessus, mais écrire est complètement différent que de parler. Écrire, même si cela peut s'adresser à l'autre, n'en demeure pas moins un acte individuel, personnel, impartageable en tant que tel. Nous sommes seuls avec nous-mêmes au moment où nous alignons nos mots et libre à nous d'y apposer ce que nous voulons, comme nous le voulons, puis de le faire lire ou non. Nous n'avons personne à prendre en considération si tel est notre souhait, contrairement à la parole, au dialogue, à l'échange, même lorsqu'il s'agit de monologue. Là, nous ne pouvons que prendre l'autre en compte et, quelque part, il est souvent une entrave à tout ce que nous voudrions exprimer, malgré lui et malgré nous le plus souvent, mais c'est ainsi.

mercredi 27 mai 2015

Diagnostic

27 mai 2015


Diagnostic, bilan, état des lieux, compte-rendu, comment nommer mon rendez-vous, mon entretien, mon dialogue avec mon pneumologue ? Cynthia était à mes côtés, c'est la première fois qu'ils se rencontraient. Elle l'a apprécié, l'a trouvé rassurant et assuré. J'espère qu'il en a été de même pour lui, qu'il a apprécié ma compagne et ses questions. Donc une troisième métastases a fait son apparition, s'est mis à exister, elle qui était dans le néant il y a encore trois mois, lors de ma dernière IRM. Elle mesure six millimètre, un peu plus d'un demi centimètre. Les deux autres mesure plus d'un centimètre. A présent qu'elles sont trois, en attendant la quatrième qui se manifestera dans quelques mois, certainement, elles peuvent commencer à jouer au tarot ou entamer un tournoi d'échec. Oui, puisqu'elles s'installent au détriment de mes neurones, prenant la place qui est normalement la leur, autant qu'elles se mettent à l'aise, verre et cartes en mains. Suis-je déçu, triste, affligé par la nouvelle ? Nullement. Je crois que je n'ai même pas été surpris tant, quelque part, je m'y attendais, m'y étais déjà préparé, avait anticipé la progression de mon cancer. Par contre, au niveau des poumons, tout va bien. Nul trace de nouvelle tumeur ou de métastases. J'ai juste des trous par-ci par-là dans mon poumon gauche, celui qui est encore entier. Ce sont des alvéoles qui sont mortes, crevées, d'où les trous, tout cela dû à la cigarette, cigarillos que je fume encore néanmoins, au grand dam de Cynthia, quoi qu'elle en dise, quoi qu'elle dit en penser.

Elle ne me fait pas la guerre, sage décision de sa part, même s'il est vrai que je ne suis pas sage. Mais durer, vouloir durer et s'en donner les moyens, tout cela n'est qu'une question de point de vue, de perception de l'existence, de la sienne, de celle des autres, de ce qui nous apparaît essentiel ou non, vital ou non, et là, c'est chacun sa sauce, chacun sa conception de ce qu'il faut faire ou ne pas faire, les valeurs morales comptant beaucoup dans nos prises de positions et les miennes, qui valent ce qu'elles valent, sont peu nombreuses, même de moins en moins nombreuses. Plus ça va et plus la morale m'encombre, me dérange, me paraît accessoire tant, si l'on creuse un peu dans leur fondement, elles sont toutes faciles à remettre en cause, des plus sales au plus propres, des plus vicieuses au plus nobles. Oui, tout cela n'est que construction, un peu comme une famille qui ne vit pas en parfaite osmose, voire pas du tout, mais qui s'acharne quand même à consolider la construction, quitte à aller contre vent et marée, quitte à aller contre le bon sens, préférant rester une famille, la construction, quitte à se déchirer, se chamailler, voire se battre. Oui, dans mon esprit, la morale est du même ordre d'idée. C'est une construction de l'esprit, ni plus ni moins, qui en arrange certain et en dérange d'autre. Comme quoi, aucune vérité ne se peut à travers elle, car aucune ne fait le consensus, strictement aucune. D'un individu à l'autre, d'une culture à l'autre, d'une foi ou absence de foi à l'autre, les valeurs ne sont pas les mêmes. Certaines se ressemblent, certes, mais si l'on commence à prendre l'état d'esprit global et toutes les valeurs qui lui sont associé, alors on ne peut que constater, admettre, que cela plaise ou non, que même les valeurs qui se ressemblent en apparence n'ont pas du tout la même signification d'une culture à l'autre. Oui, la majorité d'entre nous veut vivre en paix. Mais moi athée, j'ai ma méthode, mon code moral, mon petit manuel du bon comportement à avoir pour se faire. Mais un autre athée aura sans doute une autre méthode, un autre manuel du savoir-vivre. Quant à tout ce qui touche le religieux, la religion, il suffit simplement de lire les textes pour constater les fossés qui les séparent les uns des autres. Chaque religion a également sa propre méthode et les religions monothéistes, parce qu'elles se veulent des vérités révélées, chacune d'entre elle, ne peuvent tolérer, admettre, accepter la concurrence dans le domaine qui est le leur. Il ne peut y avoir plusieurs vérités révélées, car le propre de la vérité est d'être une, indivisible et universelle, faisant justement le consensus. Encore aujourd'hui, comme déjà hier et bien avant, c'est pour cette unique raison que beaucoup tuent en leur nom. Malheureusement ce n'est pas fini, demain sera semblable, car nous avons tant besoin de croire, peu importe en quoi, car même ne pas croire en Dieu c'est croire en quelque chose, que Dieu n'existe pas, donc oui, nous avons tant besoin de croire qu'il y aura encore des guère de « croyances », que ces dernières soient religieuses ou non.

Mais je m’égare de mon sujet initial, c'est à dire mon cancer et sa progression. Puisque tous les trois ou six mois une nouvelle métastase s'installe dans mon cerveau, mon pneumologue pense à une éventuel radiothérapie globale, une ou des séances où l'ensemble de mon cerveau serait irradié par les rayons X, histoire de prévenir la formation de nouvelles métastases. De cela il va en discuter avec mon radiothérapeute et, pour ma part, je ne m'en mêle pas, ne veut même pas m'en mêler. Je sais simplement que l'idée d'être complètement irradié ne m'enchante pas. Jusqu'à présent je n'ai eu que des séances ciblées sur mes métastases, uniquement elles, et j'en mesure chaque jours les dégâts, les effets secondaires sur ma psyché. Qu'en sera-t-il alors si tout est irradié ? Dans quel état vont ressortir mes facultés de compréhension, ma mémoire, ma concentration, mon attention, mon vocabulaire ? Quoi qu'il en soit, pour cette troisième métastase nouvellement arrivée, toute fraîche, le protocole de soin est déjà lancé. Rapidement je vais être convoqué par mon radiothérapeute et, avant mon déménagement pour Besançon, j'aurai donc le droit à de nouvelles séances de radiothérapie, l’œdème qui s'ensuivra et, certainement, à de la cortisone encore et encore, cortisone qui détruit petit à petit mes défense immunitaires et bouffe mes muscles. Oui, mon pneumologue, comme tous les médecins qui me suivent d'ailleurs, voudraient qu'arrive ce moment où je n'aurai plus besoin de ce médicament, certes utile, comme la chimiothérapie, mais également ravageur sur le long terme.

Tout ceci dit, je suis néanmoins serein, comme ce matin, comme hier et avant-hier. Quelque part cela m'indiffère d'avoir une nouvelle métastase, de constater que mon cancer progresse. Oui, cela ne m'inquiète même plus. Il y a encore un an, j'en aurai pleuré, j'aurai été en colère, en aurait voulu au ciel et à ses nuages d'une telle nouvelle. Je me serai muré dans le mutisme, c'est certain, mais à force, le temps aidant, car avec le temps tout passe, tout se digère d'une façon ou d'une autre, j'ai compris que j'étais également ma maladie, qu'elle n'était pas quelqu'un d'autre que moi, et qu'il ne servait donc à rien que je m'en prenne à elle, car le faire c'était m'en prendre à moi-même. Donc j'ai cette maladie comme d'autres choppe des rhumes, des boutons ou je ne sais quoi d'autre. Le mieux est de faire avec, d'accepter sereinement de me vivre avec, d'accepter qu'elle mènera certainement à ma mort, que ce sera elle la cause de cette mort et pas autre chose. Maintenant il se peut très bien que je me trompe, je ne suis pas devin, et que ce soit autre chose qui m'emporte dans les limbes du néant...

Réveil...

27 mai 2015


Comme chaque matin au réveil, je me scrute, m'examine, m'écoute, à l'attention de tous les signes que veut bien me donner mon corps. Là, tout semble aller, il n'y a que les fréquences radios qui se manifestent dans ma tête et, en conséquence, je vais donc prendre un antalgique. Bref, c'est la routine, une routine qui ne m’ennuie pas, car depuis l'apparition de mon cancer j'ai appris, bien compris, que je n'étais pas qu'un esprit, mais également et surtout un corps. Oui, j'ai bien compris que si ce dernier n'allait pas, mon esprit, ma pensée ne pouvait être pérenne ou sereine, aussi logique soit-elle, cohérente, sensée ou sage. Donc je m'écoute, attentivement, très attentivement, essayant également d'entendre ma pensée, comme si elle pouvait me parler, me dire des choses, m'informer sur qui je suis, sur qui je deviens. Je ne me reconnais plus, ou pas, et c'est peu de le dire. Cela ne me dérange pas outre-mesure, je fais avec au quotidien, observant, constatant des choses ci et là, les acceptant tel qu'elles se présentent, se manifestent, accompagnant le mouvement de mes humeurs et de ma réflexion. Cependant, je ne peux pas dire que je suis dans la réflexion à proprement parlé. Je suis plutôt dans la contemplation la plupart du temps, la contemplation de tout et de rien, du mouvement et de son absence, comme si je regardais un point fixe à l'horizon, n'étant nullement troublé ou déconcentré par tout ce qui passerai dans mon champs de vision, qu'il s'agisse d'individu, de chiens, de pigeon, de voitures ou autres.

Est-ce que j'essaye réellement de comprendre, de me comprendre, de savoir qui je deviens, qui je suis aujourd'hui ? Je crois que non, car en l'état tout va plutôt bien. Donc je n'ai pas envie de me poser de question, cela me fatigue à l'avance, pas plus que je n'ai envie de rentrer dans la réflexion, le raisonnement, la logique, qui eux m'épuisent à l'avance. Cependant je m'écoute, ou tout au moins essaye d'entendre ma pensée défiler, mais entre nous, si dialogue il y a, c'est un dialogue de muet. Comme mon esprit est calme, serein, je me dis qu'il se repose, qu'il n'y a pas alerte en la demeure, cancer ou pas cancer, et que je peux continuer à vivre tranquillement d'ici ses prochaines manifestations. Oui, il ne fait aucun doute dans mon esprit que la maladie se révélera à nouveau à moi, en moi, je ne sais sous quelle forme, soit de mon fait parce que je me suis remis à fumer par exemple, alors que l'origine de mon cancer était ma tumeur au poumon dû au tabac justement, poumon dont j'ai été amputé pour ôter cette satanée tumeur, mes côtes m'en faisant encore mal, ne s'étant pas encore complètement remise en place, soit parce que mes métastases cérébrales auront engendré d'autres métastases, peut-être au cerveau, peut-être ailleurs. Ainsi, comme chaque jour, je suis quelque part dans l'attente, mais une attente sereine, toujours, sans impatience, sans stress, car je le crois, je veux mourir, quitter notre monde, celui de l'homme, celui du non sens de la vie, de l'existence. Oui, j'ai passé plus de 35 ans à m'interroger sur ce mystère que sont la vie et la mort, j'ai tourné cela dans tous les sens, ai lu en long, en large et en travers tout type d'ouvrage, philosophique, religieux, psychologique, sociologique, ethnologique, scientifique, mais je n'ai trouvé aucune réponse satisfaisante à mes questions. En cela j'envie ceux et celles qui croient en Dieu, quelque soit ce dernier. Même si la simple idée de ce dernier ne me parle pas du tout, il est indéniable qu'elle offre une perspective, une orientation sur l'après, voire l'avant de l'existence à proprement dite. Moi, j'ai l'impression d'être là pour rien. Hier, ce constat me rendait mal, il m'a même fait souffrir plus d'une fois, éprouver de réelles solitudes que rien ne pouvait combler, guérir, transformer. Aujourd'hui, j'accepte sereinement de n'être là pour rien, ou en tout cas pour pas grand chose. Oui, j'accepte que mon existence n'a ni changé la face du monde ni ne la changera jamais. La maladie, l'éphémère et l'insignifiant que son mon sort, comme le votre d'ailleurs, m'ont rendu nettement plus humble quant à ma condition, à ce que je crois ou non de moi et de vous. Je sais que tôt ou tard plus personne ne se souviendra de nous, pas plus que nous nous souvenons de nos lointains ancêtres les plus directs dans nos arbres généalogiques, ancêtres dont nous ne soupçonnons même pas l'existence la plupart du temps. Qui était l'arrière grand-mère de mon arrière grand-mère ? Grand bond en avant dans l'inconnu ! Et pourtant, génétiquement parlant, je suis cause et raison d'être de cette femme des temps passés, du 19ème siècle, cette illustre inconnue qui, malgré elle, a mené à ma naissance un beau jour, au cancer que je porte aujourd'hui, à ma mort de demain, à la fille que j'ai. Oui, tout est lié, imbriqué, et même si l'environnement jour énormément sur qui nous devenons, n'oublions pas que c'est par la grâce du corps de nos ancêtres que nous sommes aujourd'hui. Leur doit-on respect pour autant, leur adresser une forme de révérence ? Je crois que tout dépend de la manière dont chacun juge sa vie et, plus généralement, la société dans laquelle il vit. Vous l'avez compris, pour ma part je n'éprouve aucun respect pour ceux et celles qui ont participé à ma naissance, à ma présence ici-bas. C'est un fardeau qu'ils m'ont livré, ni plus ni moins, fardeau des événements de ma vie, même si j'en suis en grande partie responsable, seul coupable, mais également fardeau de ma pensée, de cet esprit qui, inlassablement, ne cesse de se poser des questions, de faire des constats souvent désagréables, moches, déprimants. Oui, je ne remercie ni ma mère ni mon père de m'avoir conçu, et peu importe qu'ils aient fait le maximum, surtout ma mère, pour que j'ai une vie agréable. Ma vie n'a pas été agréable, presque jamais, même si une fois encore ce fût la conséquence de mes choix insouciants, inconscients, bêtes, sots et puérils. Cependant mes parents n'ont pas su y faire pour que je ne plonge pas dans mes travers, car nous avons tous des travers, mais la majorité savent les contenir, les maîtriser, ne pas se laisser déborder par ces derniers. Un peu comme aujourd'hui, j'avais pris le partie de ne rien contrôler, de me laisser aller à mes désirs et envies, peut importe où cela me menait, y compris dans le glauque et le macabre. Si c'était à refaire, avec le recul que la maladie m'a fait prendre sur la vanité de celui que je fus, il est clair que j'agirai tout autrement. Mais pas plus que l'on ne peut maîtriser le cancer, son apparition ou non, on ne peut refaire le passé. Alors j'avance, lentement maintenant, m'éloignant aussi sûrement que l'oiseau vole des sentiers dangereux que j'empruntais hier.

mardi 26 mai 2015

Un jour comme un autre ?

26 mai 2015


Errance, je me sens d'humeur d’errance ce matin, comme si je n'étais pas complètement réveillé, ce qui est sans doute le cas. J'écris, certes, mais sans conviction. Pourtant il se passe quelque chose dans mon esprit, dans mes pensées, je le sens, le ressens, mais je ne sais de quoi il s'agit. Ce matin, tôt, j'ai donc vu mon psychiatre. Comme souvent, je l'endormais, car il est vrai que je n'ai rien de folichon à lui raconter, rien d'extraordinaire. De plus, je me sens bien, ce qui me donne encore moins de chose à dire, à confier. Une fois la séance terminé, une petite demi-heure, je suis allé faire ma prise de sang, histoire de savoir où en est mon cœur, si tout se résorbe, si je récupère. Depuis ma mésaventure avec ce dernier, et là encore je ne peux expliquer pourquoi, comment, mon état d'esprit a bien changé, mais dans un sens positif qui me surprend chaque jours depuis. Avant mon incident cardiaque, je trouvais le temps morne, je trouvais tout un peu morne en fait et rien, non rien, ne me faisait réellement plaisir dans mes journées. Certes je n'étais pas mal pour autant, mais j'étais comme un errant ne sachant où il va. Aujourd'hui je ne sais pas plus où je vais, mais contrairement à hier, j'ai envie d'y aller, et peu importe où me mèneront mes pas.

Je pense à Brigitte, une lectrice de Marine, qui a laissé un commentaire sur son blog hier. Elle a un cancer du sein, apparemment en voie de rémission, et elle parlait de son immense lassitude. Cela me rappelle moi avant mon hospitalisation, avant mon incident cardiaque. C'est exactement ça, je me sentais également dans une perpétuelle lassitude, ne trouvant goût à rien, vraiment à rien, restant uniquement à attendre que le temps passe, que le moment fatal arrive et me délivre de mon attente. Est-ce parce que je ne suis plus en soin, plus de radiothérapie à l'ordre du jour, moins d'effets secondaire, que je dors mieux, fait à présent des nuits d'une traite sans plus me réveiller toutes les deux heures, est-ce parce que je récupère que le moral remonte ? Je le crois, sincèrement. Oui, les soins, les traitements, les manifestations de la maladie nous épuisent tôt ou tard. Cela joue sur le moral, l'état d'esprit, forcément. D'ailleurs ne dit-on pas un esprit sain dans un corps sain ?

Aujourd'hui je ne sais si je vais lire, ne sais pas si je vais ressortir Cioran de ma poche. En l'état, je me sens plutôt d'humeur passive, mais j'ai en même temps envie de reprendre, continuer la lecture du blog de Marine. Oui, son histoire est longue pour quelqu'un comme moi qui a du mal à se concentrer longtemps sur la lecture. Pourtant elle écrit légèrement, c'est amplement accessible, même ma fille pourrait comprendre tout ce qu'elle narre, même si elle ne pourrait éprouver tout ce qu'a éprouver Marine. A treize ans, l'empathie a ses limites et il est bien des choses que l'on ne peut concevoir, des choses affectives bien entendu.

Comme chaque jour je suis donc à une terrasse de café, toujours dans le quartier Saint-Anne, et je n'ai pas envie de rentrer chez moi, d'être enfermé entre quatre murs. Aussi, je me demande si je déjeunerai dehors ou chez moi, Cynthia n'étant pas là, étant au lycée pour donner ses cours. Mais si je déjeune dehors, c'est encore de l'argent que je vais dépenser et, l'argent, depuis ma maladie, je n'en ai plus tant que ça, je suis à la limite du seuil de pauvreté comme l'on dit. Mais je m'en fou, cela m'importe peu de me faire ce type de plaisir ou non, de déjeuner au restaurant ou pas. Oui, il n'y a rien d'essentiel là-dedans, rien de vital, rien qui n'engage ma vie ou celle de mes proches. C'est un luxe, n'ayons pas peur de nommer les choses, et peu importe le coût de ce luxe. Il est luxe par qu'accessoire.

A quelque table de moi, trois messieurs discutent. J'entends des bribes de leur conversation. Ils veulent ouvrir sur Rennes un centre d’accueil pour des jeunes ayant entre 18 et 25 ans, des jeunes homosexuels qui, pour la plupart, ont été ou sont rejeté par leur entourage. Cette association s'appelle le refuge. Le refuge, tout un symbole, c'est dire que notre société n'est guère tolérante malgré tout ses faux-semblants. D'ailleurs, moi-même je suis de moins en moins tolérant, non envers la sexualité des gens, sexualité qui n'est pas mon affaire, dont je me contrefous éperdument, mais envers les gens sains, valides, non malade. Oui, leurs problèmes ne m’intéresse plus en général, tant je les trouve ridicules, puérils, comparativement au problème qu'est la maladie mortelle, le combat pour ne pas mourir, tous les efforts parfois surhumains que doivent faire les uns et les autres pour tenter de mener une vie « normale », pas trop déphasée, surtout lorsqu'ils vivent en famille, qu'ils soient les enfants ou les parents de ces familles. Oui, plus les mois passent et plus je deviens intransigeant, ce qui n'est pas forcément une bonne chose, je le sais théoriquement, mais le ressenti de ma chair, de ma personne, de cette nouvelle identité que je me découvre, mène sur ce chemin, celui de l'exclusion pure et simple de quiconque me paraît trop léger, trop superficielle. Oui, je n'ai plus de temps à perdre, je me répète, mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Aller à l'essentiel, uniquement l'essentiel, ne pas m'encombrer du futile, ne plus me faire de nœud à la tête pour du futile, facture d'électricité y compris, dettes éventuelles ou tout ce qui, de près ou de loin, touche à l'argent, la chose matérielle. La prison ne me fait plus peur, ne m'inquiète plus, car attendre là ou dehors que ma maladie en ait fini avec moi, qu'est-ce que ça change ? De même, finir à la rue, être un SDF, de cela aussi je me fou complètement. J'aurai quand même à manger tous les jours, un lit où dormir et continuerai à être soigné, même si cela ne se fait pas dans les meilleurs conditions.

Oui, vivre longtemps n'a jamais été mon dada, même si je ne pensais pas pour autant que la maladie viendrait si tôt. J'aimerai juste vivre assez longtemps pour voir ma fille grandir, devenir une femme, commencer à construire, bâtir sa vie. Après je pourrai partir le cœur beaucoup plus léger, car je veux croire qu'elle réussira, qu'elle se fera sa place dans notre société merdique, et c'est rassuré que je m'éteindrai. Il en va exactement de même envers Cynthia. Si je dois partir demain, j'aurai là-aussi le cœur léger, car je sais désormais qu'elle est amplement capable de se prendre en main, de prendre sa vie et son destin en main. Non, je n'ai plus peur pour elle, pour son présent et son avenir.

lundi 25 mai 2015

Témoignage de Cynthia, ma compagne II

 25 mai 2015


J’aimerais aujourd’hui parler de la solitude. De celle dans laquelle nous plonge la maladie. Avant elle, j’étais seule avec lui. Aujourd’hui, je suis seule avec elle, sans lui. Sans personne. Même les autres aidants ne peuvent combler cette solitude par leur présence savante.
Ils savent mais cela s’arrête là. Ils ne peuvent, ni eux sur moi-même ni moi-même sur eux, entrer dans le monde de l’autre pour combler le vide.
Les autres, ceux qui ignorent, font s’arrêter de tourner le monde à la moindre panne d’ascenseur. Quand je discute parfois avec certains collègues, leur monde me paraît totalement étranger. Ils pleurent pour un rien, et quand je leur gicle à la gueule quelques bribes de ma vie, ils me regardent avec des yeux exorbités et se réfugient dans leur illusion de malheur.
Du coup, où que je sois, avec qui que je sois, je suis seule.
Je suis seule avec rien pour combler ma solitude.
Mon chat parfois, au réveil, lorsqu’il vient me chatouiller le visage  avec ses moustaches.
Un cheval, comme il y a peu, que je promène longuement en longe, au rythme du son de ses sabots qui claquent sur le béton mal assorti des routes de campagne. Un chat. Un cheval.
Je me souviens des plantes qu’il m’avait offertes et qui sont mortes alors qu’il était à l’hôpital. Je les ai pleurés comme s’il s'était agit de lui.

La solitude n’est pas un sentiment noir ou blessant. Elle fait qu’on prend du recul face au quotidien qui travestie bien trop souvent le réel qui nous crève. C’est un cheminement apaisant, quelque part, que de ne pouvoir trouver de réconfort qu’en une communication inhumaine. L’animal a cela de plus que l’homme qu’en un regard ou une caresse il pénètre notre âme et jauge en profondeur nos souterrains muets.
Avec lui, pas de mensonge possible.
Est-ce qu’il me manque quelque chose du temps où tout allait bien ? Je crois que non. Je crois en fait et sincèrement que la maladie, en foutant tout en l’air sur son passage, n’a fait demeurer que l’essentiel. Autrement dit, tout avant était superficiel. Le corps. Les gens. L’image. La sexualité. Le travail. La famille. Les projets. Tout. Tout cela s’est effondré et bizarrement cela m’apaise. Aujourd’hui je n’hésiterai plus une seconde à me séparer de qui que ce soit. Sans regret ni remord, sans pardon à formuler. Sans hésitation. Parce que seule, je le suis déjà. Comme lui. Nous ne sommes plus ensemble, comme il lui plaît de dire, mais côte à côté, avançant chacun sur deux chemins parallèles, dans la même direction sans doute, mais sur deux chemins bien distincts, dont le carrefour, on le sait, tôt ou tard séparera notre route. Mais n’en est-il finalement pas ainsi pour tous les couples ?

Le pire, ou le plus difficile, est d’accepter l’autre et sa destruction volontaire. Ou passive. Je ne sais comment il convient de le dire.
Mais le pire de ce pire, c’est de l’accepter pleinement, et ne plus en n’avoir rien à faire. Accepter cette destruction, ce laisser-aller, que l’on ne comprend pas, accepter de ne pas le comprendre et de rester tout de même, accompagnant, sur un chemin parallèle, l’amour qui se mutile.
Il ne s’agit pas de renoncer, mais d’accepter, et à tout bien considéré, accepter passe forcément par une renonciation.
Mais elle n’a rien de négatif, elle n’est pas une plaie béante. Elle est juste une sensation qui suinte, qui laisse parfois s’échapper un mince filet de sang par-delà la torture.
Les malades deviennent égoïstes. Ou plutôt, elle fait se recentrer la personne sur elle-même, induit une introspection telle que le malade en devient égocentrique. Le monde tournant alors seulement autour de leur monde. Ils deviennent une planète et nous autres gesticulants de vulgaires satellites n’existant plus que par l’attraction qui nous maintient en mouvement autour d’eux.
Je l’ai remarqué chez Hicham mais aussi chez ma mère. Comme si le fait d’être atteint d’une maladie mortelle leur donnait le droit de négliger les autres, tous les autres, de prétendre avoir atteint une quelconque dimension sacrée invisible aux yeux de tous.
Nous, nous resterons. Nous, nous vivrons encore. Nous, nous ne pouvons pas comprendre pour ces mêmes raisons qui font que l’être que l’on aime, amant, fils ou parent, est transfiguré par le désordre des cellules.
Je n’aime pas écrire le mot cancer. C’est lui faire sur ma page un trop grand hommage.
Il est des cellules, amassées, perdues, dégénérées, qui s’assemblent, se regroupent, comblent entre elles, anormales, leurs solitudes de cellules dans un corps qui les rejette, et luttent alors pour leur vie, leur survie, au détriment du reste, du sain, du normal, du non pathologique, et qui s’aiment, se soutiennent, se reproduisent et alors se multiplient, dansant dans les moindres parois de nos entrailles cette danse seigneuriale des laisser pour compte de la nature.
Elles sont l’anomalie.

J’ai envie, ou besoin, de croire qu’il y a un sens à tout cela. 
Une punition de la nature à notre comportement, en bien ou en mal. L’anomalie comme punition pour avoir un jour craché sur la vie ou sur le vivant. Pour s’être cru à tort immortel et en oublier alors la valeur. La valeur du jour qui se lève, de l’oiseau qui vole, de l’insecte qui lutte dans la toile pour que survive l’araignée.

(Cynthia)

Souvenirs

25 mai 2015


Il est 20h30, rares sont les moments où j'écris à cette heure-ci, surtout que je ne sais même pas quoi écrire. Je sais simplement que j'en ai l'envie, que depuis que j'ai ouvert mon blog je redécouvre, petit à petit, le plaisir de l'écriture, moi qui avait cessé depuis six ans déjà. Mais cela ne me manquai pas. Je m'amusais sur l'internet, mettais des documentaires en libre téléchargement, pour qui le voulait, allant sur des sites spécialisés pour se faire, enfreignant la loi par cet acte, mais comme j'étais persuadé et le suis encore que la culture, le savoir, doit être accessible au plus grand nombre, je me foutais complètement d'enfreindre la loi, d'Hadopi et de tout ce qui va avec. A côté de ça,j'apprenais à créer des sites internet. J'ai même fait une formation pour cela, un reclassement professionnel qui dura près de cinq mois. J'ai alors ouvert mon propre site de documentaire où il n'y avait pas besoin de s'inscrire, d'être membre, pour se servir. Il y en avait sur tous les sujets, mais essentiellement sur l'histoire, car là était ma passion. Je dis « étais », parce que depuis ma maladie je ne suis plus aussi passionné, voire plus du tout. Cependant l'histoire m'intéresse toujours et chaque soir, pour m'endormir, je met un documentaire sur le sujet et il me berce comme un parent endort son enfant en lui contant le début d'une histoire. En parallèle, pendant toutes ces années où je n'ai plus écrit, je faisais de la musique, composait mes propres créations, créais mes propres textes et les mettais en chanson. J'ai également repris un ou deux texte de Cynthia pour les mettre en chanson. Je jouais de la guitare, électrique et acoustique, et avait investi dans un clavier. L'essentiel de mes morceaux sont musicaux. Les chansons, pas toutes, mais une bonne partie, j'en ai fait des clips vidéos. J'ai ainsi appris à utiliser ce genre de logiciel, appris à faire des montages, à incruster des effets spéciaux, des transitions entre les scènes. Ces clips sont toujours sur ma chaîne Youtube, en libre vision. Là aussi nul besoin de payer ou de s’abonner. Tout est gratuit et, dans ce monde de merde où tout se paye, y compris les soins, je trouve cela très bien ainsi. Tout cela a donc pris fin en novembre 2013, date de l'apparition, de la manifestation de mon cancer. Bien entendu, il était déjà là avant, mais je n'en avais aucune idée, ne l'imaginais même pas.

Je ne sais pourquoi j'écris sur tous ces vieux souvenirs, c'est un peu comme si je regrettai cette belle époque...

Chemin

25 mai 2015


Chemin

Souffle, soupir
A quand le grand voyage
Saut inconnu
Où n'existera plus la distance

loin de mes pairs
Abandonné, perdu
Délaissant chimère et rêve
Surtout les rêves

J'ai grandi, mais tué
J'ai aimé, mais trahis
Qui ais-je été tant de temps
Sinon un être ivre de rêve ?

Ego gonflé
Démesuré dans le temps
L'instant, le présent
Vanité fut le chemin

Aujourd'hui je meurt
Je ne le sais que trop bien
Mais comme hier
Ce n'est pas une guerre

Le temps est compté
Et ce, depuis la naissance
L'enfant est ignare
L'adulte est un sot

N'existe plus le chemin naturel
La voix de la nature s'étouffe peu à peu
Insectes et bestioles résistent comme ils peuvent
Mais le fumier les attends

Êtres à l'abandon
Tous nous sommes ainsi
Plus ou moins il est vrai
Mais seuls face au miroir

Notre semblable n'est pas notre homologue
Il nous ressemble, certes,
Mais il est autre
Complètement autre

Son cœur n'est pas le nôtre
Pas plus que ses priorités
Égoïstes nous sommes
ne nous leurrons pas

L'idée de Dieu est de la merde
J'espère que je vous choque
Vous grands enfants qui n'avez pas encore grandi
Toujours ces rêves qui vous animent

Mais l'absence de Dieu aussi est une réelle merde
Car comment combler le vide, l'absence,
Si rien n'existe vraiment
S'il n'y a que du néant ?

Question sempiternelle
Égarement total dans le désert
Et pourtant nous marchons
Poursuivons notre course

Vers quel but ?
Là le point d'arrivée qui nous trouble...

Jour férié

25 mai 2015


J'ai donc passé une mauvaise nuit, tout au moins une nuit qui n'a pas été faite d'eau et de berges calmes. Par cinq fois au moins des nausées m'ont réveillé, m'obligeant à me lever pour me rendre aux toilettes. La sixième fois fût la bonne, le moment du vomissement. Cependant cela ne m'a pas agacé, contrairement à avant, même pas contrarié. Non, je crois que je commence à prendre l'habitude que je ne contrôle rien de mon corps, de ses réactions et actions et que j'ai pris partie de faire avec, de le prendre tel qu'il est, et peu importe qu'il me dérange. J'ai donc peu dormi encore une fois, me suis levé tôt, vers 7h00, et déjà, là encore, mon cerveau me jouait ses partitions, sa radio, ses fréquences. Donc, en plus de médicaments hebdomadaire, j'ai de suite pris un antalgique. Je crois qu'il commence à faire effet car déjà je n'entends plus les bourdonnements.

Ce matin, jour férié, tout est fermé à Rennes. Il est 9h00 à présent. Je suis donc à la terrasse d'une boulangerie, place Sainte-Anne, seul lieu ouvert pour consommer. Tous les autres cafés, sans exception, sont fermés. Ils ouvriront dans une heure ou deux, voire cet après-midi. Je suis donc au milieu de cette grande place, seul à la terrasse de cette boulangerie, mon ordinateur grand ouvert sur la table et seuls une dizaine de passant ont défilé depuis mon arrivée. Oui, la matinée sera calme, ce que j'apprécie. Tous les jeunes fidèles de ce quartier sont absents. Sans doute se remettent-ils de leur soirée d'hier, font-ils la grâce matinée, comme Cynthia est entrain de le faire actuellement.

Je pense à Mamy qui a marcher 10km le long de la baie du Mont Saint-Michel, un exploit complètement hors de ma portée. Je ne sais même plus si je pourrai marcher plus d'un kilomètre d'affilé, sans interruption, sans moment d'arrêt. Oui, l'ablation d'une partie de mon poumon droit a bel et bien laissé des séquelles. L'opération remonte pourtant à il y a plus d'un an. C'était en mai 2014 et, malgré tout ce temps passé, j'ai encore des douleurs aux côtes que l'on m'a écarté pour accéder au poumon. Ces douleurs sont cependant gérable, mais elles handicapent ma marche, tout comme mon souffle qui n'est plus du tout le même. Effet collatéral, voire direct du cancer. Il y avait la tumeur, il fallait l'enlever, l'ôter, la supprimer, ce qui a été très bien fait par mon chirurgien. Même si la douleur de mes côtes et mon soufflement constant se rappelle sans cesse à mon souvenir, je ne pense pourtant jamais à la grande cicatrice issue de cette opération. Il faut dire que je ne me regarde jamais dans la glace, que la salle de bain n'est pas endroit où je met souvent les pieds et, d'une manière générale, je préfère être en dehors de mon domicile qu'à l’intérieur, quelque soit le temps, le climat, qu'il vente ou qu'il pleuve, que le soleil soit présent ou absent. Hier, à l'âge de nos ancêtre, je n'aurai pas été un sédentaire, mais un chasseur nomade, j'en suis sûr, arpentant les terres à la recherche de ma nourriture, visitant ainsi chaque jour de nouveaux paysage, étant une proie potentielle pour je ne sais quel carnassier, mais heureux de me mouvoir dans l'espace non cloisonné de la nature, de sa diversité, ayant alors certainement le sentiment de ne faire qu'un avec cette dernière, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui.

Hier soir Cynthia a écrit. A ma connaissance, car c'est une petite cachottière parfois, cela faisait longtemps, bien longtemps qu'elle ne l'avait pas fait. C'est comme cela que nous nous sommes connus, à travers l'écrit, à travers nos blogs respectifs à l'époque, en 2008. Oui, longuement nous avons conversé alors, tantôt sur les écrits de l'un, tantôt sur les écrits de l'autre. C'était pour moi une véritable belle époque, presque une renaissance, où je me reconstruisais lentement mais sûrement. J'étais à Paris et elle à Lyon. Un jour je suis donc descendu la voir et, depuis, plus jamais nous ne nous sommes quitté. Mais je me répète, tout cela je l'ai déjà écrit mainte et mainte fois, à commencer dans mon autobiographie. Les deux ou trois premier chapitres sont cette histoire, celle de notre rencontre, aussi surréaliste qu'improbable, et pourtant... Donc hier soir elle a écrit. Elle racontais ce qu'elle éprouvait, ressentait, comprenait de sa place, de la mienne, de celle de sa mère, en étant de l'autre côté de la barrière, celle du cancer, là où la maladie n'est pas mortelle à la place qui est la sienne, mais où elle impacte de fond en comble sa perception, son approche de bien des choses. Je lui ai dit que je publierai son écrit sur mon blog. Il sera son témoignage, celui d'une personne qui lutte, à sa façon, avec ses moyens, aux côtés d'un cancéreux, d'un homme de plus en plus invalide dont l'état d'esprit ne cesse de changer, d'évoluer, de se modifier. Oui, je pense qu'il est sain, salutaire, de comprendre le point de vue de ceux et celles qui nous assistent, nous supportent, prennent soin de nous. Eux aussi sont dans l'épreuve, même si elle est d'une nature différente, n'engendrant pas du tout les mêmes anxiétés, les mêmes doutes, les même remises en question. Si c'est elle qui avait eu un cancer, je me demande comment j'aurai géré la chose. Aurais-je été aussi patiente qu'elle ? Aurais-je été sans contrariété au petits soins ? Aurais-je accepté ses changements psychologiques ? Aurais-je admis que certains de mes projets tombent à l'eau, disparaissent comme ça du jour au lendemain dans je ne sais quel néant ? Comment aurais-je vécu, éprouvé ses traitements et leurs effets secondaires sur sa personne ? Oui, j'ai bien de la chance de l'avoir comme compagne, que ce soit elle, ce qu'elle est, et pas une autre. Je n'aurai pas supporté quelqu'un comme ma mère par exemple. Elle m'aurait tué bien avant le cancer avec toutes ses bonnes intentions qui n'auraient souffert que je m'y oppose. Cela aurait donné lieu à mil et un clash, mil et un conflits, discordes, incompréhension totale. Oui, ma mère et bien d'autres ne peuvent concevoir, admettre, que je désire mourir, sincèrement, profondément, tant notre monde ne m’intéresse plus. Cependant il ne serait être question de suicide car, malgré la nausée que me donne notre monde, je suis attaché à certaines personnes qui, dans mon regard, valent amplement la peine que je vive encore, pour leur plaisir et le mien. Il reste au moins çà.

Témoignage de Cynthia, ma compagne

25 mai 2015


Un verre d’alcool

Et me voilà à taper des mots sur le clavier. Des mots qui ne veulent rien dire, qui ne savent même pas pourquoi ils s’écrivent, des mots qui existent et qui meurent dès lors qu’ils s’écrivent. Sans laisser aucun souvenir. Sans raison. Qui se multiplient. Comme un cancer. Ses cellules.
Comme la maladie qui se répand. Qui commence par le corps du malade. Son lieu de vie. Et qui s’étend dans les corps tout autour. Les autres. Ceux qui sont encore sains. Qui ignorent le mal et la douleur.
Écrire pour quoi faire ? Quand il sera plus là, à quoi serviront ces mots ? A quoi ont servi mes mots jusque-là, sinon à lui ? A lui que j’aime et qui ne comprend plus pourquoi.

La maladie a cela de bon. Elle laisse le temps. Le temps de se dire les choses. Je t’aime. Au revoir. Je continuerai sans toi. En tout cas j’essaierai. Si je n’y parviens pas, je te demande de ne pas m’en vouloir.  Viens alors hanter mes nuits, les transformer en cauchemars. Montre-moi que tu existes encore ailleurs. Démontre-moi que la mort n’existe pas. Qu’elle n’est qu’un invisible. Un invisible transparent. Un invisible. Horrible.
Dis-moi que je ne t’oublierai pas, comme j’ai oublié l’enfant, le tout petit. Dis-moi qu’en fait tu resteras vivant.
Dis-moi des conneries.

Parce que sans conneries, je ne pourrai croire en rien. En plus rien. En un chien. Juste en un chien. Me remettre à lui pour me projeter vivre encore. Après toi. Sans toi. Sans Elle peut-être aussi. Comme Lui.
Écrire pour rien.
Parce que tout n’est que rien.

Et pourtant la vie est là. Elle existe. La maladie en fait partie. La mort aussi. En fait, on ne craint pas la mort. La mort de soi peut-être, mais jamais la mort de l’autre. On ne craint que la solitude. La survie. L’oubli. La reconstruction. On ne craint finalement que cela. Etre seul. Et se demander pourquoi. Pourquoi vivre. Encore. Puisqu’on est seul. Vivant alors sans raison d’être, sans que notre propre existence n’ait de sens pour personne.

Un jour, j’aimerai que les mots, les miens, soient utiles.

J’ai peur qu’écrire ne soit refermer la boucle.

Je crois avoir tellement à dire que je ne sais par quoi commencer. Et organiser l’illogique me paraît hors de portée. Il aurait fallu que je tienne un journal. Depuis ce 11 novembre 2013. Un journal d’états d’âme. Qui montrerait combien j’ai mûri en à peine deux ans. Combien la maladie, pour l’aidant, n’est pas systématiquement synonyme de mal, de souffrances, mais qu’elle est avant tout un bond en avant dans le temps, dans l’âge, dans la sagesse peut-être même. Un bond en avant dans la vie, en cela qu’elle inclue la faille et la fin.
En cela que la vie n’est pas rose.
Pour moi aujourd’hui, la vie reste un mystère qui s’acharne. 
J’ai tellement peur qu’ils meurent sans qu’ils sachent à quel point je les aime. Si entièrement. Si pleinement. D’un amour comparable à une bienveillance, à une acceptation pleine et entière de tout leur être, même meurtri. J’ai peur qu’ils meurent sans savoir à quel point ils m’ont appris, à vivre, à aimer, et je le sais déjà, à mourir, ou en tout cas à appréhender ma mort. J’ai peur qu’ils meurent sans savoir leur importance dans ma vie. Qu’ils sont cette raison qui fait que je suis. Que j’existe. Que ce qu’ils perçoivent comme un poids pour moi est en fait la seule véritable leçon de vie, le seul véritable cadeau qu’un être puisse faire à un autre : celui de la préciosité, la précarité.

Celui de l’Instant.


(Cynthia)





dimanche 24 mai 2015

Comme une absence

24 mai 2015


Absent je suis cet après-midi, dans un lieu, quelque part dans ma tête, que je ne saurai définir. Sans doute est-ce parce que je n'ai pas assez dormi cette nuit, que je me suis levé trop tôt, trop précipitamment, ne voulant pas manquer le moindre grain de jour qui se manifestait sous mes volets. Oui, d'entrée de jeu, mes yeux à peine ouverts, je voulais vivre, déjà profiter, de suite, de l'instant, du moment présent. Mais le manque de sommeil ne me permet pas d'apprécier à sa juste mesure cette journée, sa vraie valeur, car elle en a une, celle d'une journée supplémentaire dans ma vie, dans la vie. De même, et là je ne sais si c'est le manque de mon sommeil ou tout simplement mon cerveau, depuis ce matin j'entends des ondes en bruits de fond. Cela faisait longtemps que ce n'était pas arrivé, presque une semaine au moins. Je viens donc de prendre un antalgique, histoire que cela s’arrête, stoppe. D'ici une petite heure je serai fixé sur son efficacité, saurait si ces ondes radios ont disparu.

En ce moment, depuis quelques jours, j'ai l'impression d'être une femme enceinte avec ses envie de fraises. Moi, ce sont des envies de pizzas et de banana split qui s'empare de moi chaque après-midi, je ne sais pourquoi. Pourtant le couscous que j'ai mangé ce midi m'a calé, bien calé même, même si j'ai envie d'une glace néanmoins, d'une banana split, une envie presque irrépressible et, si dans le café où je suis actuellement il en proposait, je serai déjà entrain de la manger. Cela, je le crois, est un effet de la cortisone, cortisone qui a été augmenté pendant mon séjour à l'hôpital. Oui, ça ouvre l'appétit dès que je dépasse une certaine dose journalière, me donnant l'envie de manger, de dévorer toute la journée.

Je pense à Lila, à mamy, à d'autres également, toutes dans le même bain que moi à des degré divers, le cancer, la maladie encore une fois, ce qu'elle nous laisse espérer ou non, entrevoir ou pas. Pourtant nous ne sommes pas un club, non, pas du tout. Nous sommes des entités distinctes, des êtres à part entière avec des parts de nous-mêmes qui nous sont propres, spécifiques, uniquement cause de nous, de nos histoires réciproques. Lila croit en Dieu. Moi pas. Et après, qu'est-ce que cela change à notre sort quotidien ? Cela l'améliore-t-il, le rend-t-il plus âpre ? Non, chacun avec notre croyance, notre conviction, nous puisons en elle de la force, celle de tenir pour commencer, puis celle d'avancer, coûte que coûte, d'aller de l'avant, de ne pas baisser les bras même si la tentation peut se manifester fortement parfois. Oui, nous puisons de la force là où nous le pouvons et il n'y a pas de sot endroit en la matière, de sotte idée, tout est bon à prendre si cela nous permet de nous maintenir debout, presque vaillant, guerrier, guerrière, sabre à la main pour en découdre avec la mort. Au moins, pendant ce temps, nous vivons, et c'est bien là l'essentiel.

Je pense également à Cynthia, que j'aime, mais que je ne sais plus comment lui montrer. Je me sens si maladroit subitement, si inintéressant souvent, ne pouvant lui apporter que peu, très peu même, et cela m’emplis d'une espèce de chagrin sans larme. Tout cela n'est pas très gai, c'est vrai. Pour autant il n'y a rien de triste, c'est juste une espèce de désillusion, une croyance d'antan qui est tombée à l'eau, qui s'est noyée, me laissant seul avec mon regret, celui de ne plus être celui qu'elle a connu, celui de ne plus être celui que je croyais être, ou étais, lui apportant alors mon savoir, libre à elle d'en faire ce qu'elle voulait alors, mais au moins je lui apportais ça. Aujourd'hui, le seul savoir que je lui transmet, c'est ma nouvelle identité, celle que je découvre au fur et à mesure au fil des jours qui passent, inlassablement, impassiblement, mais qu'est-ce que cela lui apporte concrètement, en quoi cela l'a fait-elle grandir, mûrir, apprécier de nouvelles choses ? Lorsque nous serons à Besançon, je redoute d'être encore moins, de faire encore moins, de lui être de plus en plus inutile. Oui, j'ai bien du mal à me projeter là-bas, autant que j'en ai à me projeter à la semaine prochaine. Alors je ne sais pourquoi, là, subitement, je pense à ma fille et cela me revigore. Cependant je ne vais pas appeler, alors que j'ai envie d'entendre sa voix. Mais je ne veux pas qu'elle entende la mienne, je ne veux pas qu'elle constate que je n'ai rien à lui dire, car si je devais parler ce serait pour dire des choses mélancoliques, presque sombres, et cela je ne le veux pas. Non, dans la mesure du possible je souhaite qu'elle reste dans son insouciance. Elle aura bien le temps pour souffrir, pour connaître, apprendre, devoir gérer la véritable souffrance. Sa vie, quoi qu'elle devienne, mettra forcément des épreuves rudes sur son chemin. Ce sera alors le début des vraies désillusions, mais plus tard ce sera et mieux ce sera, là est mon point de vue.

J'écris j'écris, mais les ondes radios ne disparaissent pas de ma tête, de mon cerveau. Elles sont mon fond sonore continue, mais ma foi je crois que je m'y fait, que je m'y habitue. Leurs venues ne me surprends même plus, c'est le contraire qui deviendrait étrange. Que m'en dira mon pneumologue la semaine prochaine lorsque nous ferons le point sur ma santé ? Je me le demande, car le cerveau n'est pas spécialité. Peut-être devrais-je consulter un neurologue, qui sait ?

Je repense à Cynthia, à ma fille, je sais bien que je les aime, mais ce n'est plus comme avant, le sentiment n'est plus le même, il a changé, s'est modifié. Je le sais parce que je l'éprouve et si ma tête, ma pensée, ma logique peut me jouer des tours, mon cœur ne le peut. Ce que j'éprouve je l'éprouve, c'est clair et net, comme de l'eau dans un verre transparent, mais je ne comprends pas ce nouveau sentiment, je n'arrive pas à mettre de mots dessus, à le nommer. Je sais simplement qu'il n'est plus celui d'hier, celui que j'éprouvais lorsque je les pensais ou étais en leur présence. D'ailleurs, il en va de même avec tout le monde, sans exception, ma mère, ma sœur, mon frère, mon meilleur ami. Tous je tiens à eux, c'est indéniable, évident dans mon esprit, mais dans mon cœur je n'éprouve plus du tout les mêmes sentiments à leur égard. Pourtant ces sentiments sont bien là puisque j'éprouve néanmoins quelque chose. Le sort de mon meilleur ami ou des membres de ma famille est important pour moi. Je n'ai pas envie qu'ils souffrent, qu'ils aient mal, qu'ils soient tristes ou malheureux, mais pourtant dans mon cœur rien ne se passe plus comme avant. Les sentiments d'hier morts, je le crois, cédant leurs places à une autre forme de sentiments. Mais cette dernière m'est pour l'instant impalpable, intouchable, innommable. Ça ressemble à du détachement, à une espèce de détachement, mais se détacher n'est-ce pas antinomique avec « aimer » ? Même si j'ai beaucoup lu sur la religion en général, je méconnais par contre toute la doctrine bouddhiste, doctrine dont le détachement fait partie. Peut-être devrais-je lire là-dessus, m'informer, augmenter ainsi mon savoir en la matière. Oui, dans mon esprit, se détacher c'est quelque part s'éloigner. S'éloigne-t-on de gens que l'on dit aimer ? Pourtant, dans les faits, c'est un peu ce que je fais depuis un an. Je m'éloigne, me dissipe, me dissimule. Mon blog m'aide beaucoup à cela et, peut-être, est-ce là sa seule raison d'être, me cacher, m'enfouir, disparaître physiquement de la surface, m'éloignant ainsi plus facilement de mes proches, de tout mes proches, afin de rendre plus supportable, éventuellement, mon calvaire, la maladie, ma peur de la mort, peut-être même ma peur de vivre en conséquence. Oui, c'est peut-être cela. Depuis que j'ai appris mon cancer, sans doute ais-je peur de vivre, tout simplement.