31 mai 2015
Ce soir je pense à Virginie, cette femme avec qui je communique par écrit depuis une ou deux semaines, je ne sais plus, que j'ai croisé à l'origine sur le forum de la ligue contre le cancer, répondant à son appel à l'aide, à des explications. Elle, c'est une « vivante », non atteint par la maladie, par le cancer ou une autre du même acabit. C'est son compagnon qui a une tumeur au cerveau, un compagnon qu'elle ne connaît que depuis un an, un compagnon qui vit toujours en couple, même si le couple n'existe plus officieusement depuis deux ans, qui vit avec ses enfants. De prime abord Virginie ne s'est pas engagé dans une histoire simple et, ce, depuis le départ. Donc depuis deux semaines, c'est sur cela que nous échangeons, bien plus que sur la maladie. Sincèrement, je ne comprends pas en quoi je lui suis utile, pas plus que je ne vois comment je pourrai être utile à qui que ce soit maintenant. Tout ce qu'il me reste, ce sont des mots. Physiquement, je ne peux plus rien faire, ou presque. De même, je ne fais aucun projet, ou presque, en tout cas aucun projet à long terme. Donc la seule chose que je peux apporter à quelqu'un, Virginie ou un autre, ce ne sont que des mots, de la théorie, uniquement de la théorie, que j'ai face à moi une personne virtuelle ou physique. Dans nos échanges, Virginie me parle beaucoup et longuement de sa vie. Je la lis attentivement, essaye de comprendre qui elle est, ce qu'elle recherche réellement derrière tout ce qu'elle me narre. Je crois que c'est de l'amour qu'elle veut, de l'amour qui lui a manqué, forcément, dans mon esprit cela est très clair. Pour parvenir à atteindre cet objectif, je le constate, elle n'hésite pas à entreprendre, à agir, à être active. Oui, je crois que c'est une battante, une de plus que je croise sur la toile, mais que je ne sais comment aider concrètement.
Effectivement, aussi solidaire aimerai-je l'être, je sais bien qu'elle et moi ne faisons pas du tout partie du même monde. Le mien est celui de son ami, celui où il n'est de place, ou que très peu, pour les projets. De même, même s'il est évident qu'elle comprends les mots que j’emploie, les phrases que j'écris, je sais également qu'elle ne peut saisir le sens, le fond que je leur donne à présent. Cela peut donc prêter à confusion, fausser l'interprétation des messages que je veux faire passer, comme cela m'est arrivé naguère avec Cynthia, ma mère et d'autres personnes. Donc je lis son histoire attentivement, l'écoute réfléchir à voix haute sur son présent, son avenir, et bien souvent ne sais quoi lui répondre. Je pourrai lui donner des conseils, certes, mais je n'aime pas donner des conseils, surtout à quelqu'un qui est encore dans la fleur de l'âge, avec un véritable avenir devant elle. Là aussi mes conseils ne seraient pas appropriés, car ils seraient ceux de quelqu'un qui ne voit, n'entends et n'écoute que la fin, la fin de la vie, là est mon prisme, mon angle de vue, ma vision de l'existence. Ces conseils ne pourraient s'adresser à quelqu'un qui veut bâtir, construire, édifier, qu'ils s'adressent à Virginie, ma fille ou toute autre personne en bonne santé. Ces dernières, même si je pense que cela ne sert à rien, je crois qu'il faut cependant les encourager à aller de l'avant plutôt que de se morfondre, ruminer du noir ou du gris, car on a qu'une vie, une seule, très fragile finalement, c'est presque un exploit que de connaître le lendemain en bonne santé, même si on ne le sait pas tant que rien de grave ne nous arrive.
Donc oui, je m'interroge sur ce que je peux apporter aux autres, sur ce que je peux leur donner concrètement, en dehors de la seule théorie. Sur mon blog je raconte ma vie, cela m'occupe et me plaît de le faire, mais je suis surpris que cela puisse en intéresser quelques uns, quelques unes. Oui, je ne vois pas en quoi ma petite vie, mes routines quotidiennes, mes questionnements de chaque instant, les réponses que je tente d'y apposer, peuvent aider, influer ou soutenir d'autres personnes, des personnes qui ont leur propre vie, bien à elle, forcément différentes de la mienne, surtout si elles sont en bonne santé. Pourtant hier, avant ma maladie, j'étais comme elle. Je m’intéressais à l'histoire des autres, à leurs joies ou leurs tourments. Oui, sincèrement, cela pouvait même me passionner, tel que ce fût le cas lorsque j'ai découvert Cynthia, virtuellement d'abord, via son blog, ne cessant de me demander quelle était cette étrange créature qui me remuait autant les trips, qui déjà faisait battre mon cœur alors que je ne connaissais strictement rien de son histoire, de son vécu, de son intimité. Oui, il a fallu que je la devine à travers ses mots, ses textes acerbes, rageurs et l'auto-destruction qu'elle s'était alors programmé. L'anorexie, un bien étrange état d'esprit, il faut le reconnaître, quelque part attachant tant je ne peux qu'avoir de la compassion, voire de la pitié, pour toutes ces jeunes filles qui se mutilent sans bien s'en rendre compte le plus souvent. Lorsqu'elle réalise leur mutilation, c'est bien souvent trop tard, la machine est lancée et, pour les personnes qui les côtoient, qui aimeraient qu'elles se sauvent, on se demande si on pourra enrayer le mouvement, la mécanique de cette mort pré-programmée. Oui, hier je croyais donc que je pouvais être utile, à commencer auprès de Cynthia. Je pouvais alors agir physiquement, quittant Paris pour Lyon afin d'aller à sa rencontre, me décarcassant pour rester dans cette ville et y trouver un travail, puis un toit pour nous deux, etc. Mais je comptais également grandement sur ma rhétorique, ma répartie, mes points de vues, voire quelques certitudes, pour l'amener à modifier son opinion sur elle-même et les autres, une opinion sévère, sans concession. Aujourd'hui, c'est cette même rhétorique que je remet en cause, dont je pense qu'elle n'est plus d’utilité, qu'elle ne sert à rien, car au final chacun fait ce qu'il veut, comme il l'entends, peu importe que vous lui faisiez remarquer qu'il ou elle est dans l'erreur et qu'il l'admette. Oui, surtout à l'âge de Virginie et de bien d'autres, au mieux je ne peux être qu'un déclencheur d'idée, quelqu'un qui met peut-être sur la table des choses auxquelles on n'a pas pensé, mais en aucun cas je ne peux être celui qui décidera ou influencera le cheminement de l'autre, que ce cheminement soit intellectuel ou non. Non, tout cela relève de l'autre, complètement de l'autre, de ses choix, et peu importe ce que j'en pense.
Pour cette raison, je donne de moins en moins de conseils, y compris à Cynthia, donne de moins en moins mon avis, sauf à Cynthia, et la plupart du temps préfère me taire. Lorsque des personnes me parlent, sauf si elles sont des malades, j’écoute, certes, mais d'une oreille distraite, sans véritablement m'intéresser à ce qu'elles me racontent, attendant patiemment qu'elles aient finis leur monologue. Parmi les personnes en bonne santé, les seules que j'écoute réellement, avec attention et bienveillance, ce sont les aidants, mais pas n'importe lesquels, je parle des aidants qui partagent et vivent au quotidien avec le malade. Oui, ceux-là je leur rends grâce d'exister, d'être là, d'accepter de nous prendre tel que nous sommes, c'est à dire plus ou moins invalide, handicapé et, moralement, psychologiquement,devenant ou devenu autre. Cela fait deux an que je vois Cynthia à l’œuvre, un an que je vois son père dans la même situation qu'elle, s'occupant inlassablement de sa femme, que je lis les témoignages d'autres cancéreux qui racontent leur chance d'avoir un mari ou une femme compréhensive, qui les accompagnent, les soutiennent, les prennent comme ils sont, avec leurs failles et leurs faiblesses. Même si l'aidant ne peut véritablement comprendre le monde psychologique du cancéreux, nous nous connaissons le monde des aidants, leur monde mental, car il y a peu nous faisions partie de ce même monde. Quelque part c'est donc une déception pour le malade, en tout cas pour moi, de constater que nous ne faisons plus partie du même monde mental, qu'il est quelque chose de primordiale, d'essentiel, de fondamental, que nous ne pouvons pas partager pleinement. Non, je n'aime pas ce fossé, mais pourtant il est là et, de part et d'autre, nous n'avons d'autres choix que de faire avec, du mieux possible, en essayant de limiter la casse, les dégâts, en essayant de garder néanmoins le moral, de faire des efforts pour ne pas rayer d'un trait demain et après-demain, pour garder l'espoir en des jours à venir heureux, des moments d'intenses plaisirs, des choses à faire ensemble.
Ce soir je pense à Virginie, cette femme avec qui je communique par écrit depuis une ou deux semaines, je ne sais plus, que j'ai croisé à l'origine sur le forum de la ligue contre le cancer, répondant à son appel à l'aide, à des explications. Elle, c'est une « vivante », non atteint par la maladie, par le cancer ou une autre du même acabit. C'est son compagnon qui a une tumeur au cerveau, un compagnon qu'elle ne connaît que depuis un an, un compagnon qui vit toujours en couple, même si le couple n'existe plus officieusement depuis deux ans, qui vit avec ses enfants. De prime abord Virginie ne s'est pas engagé dans une histoire simple et, ce, depuis le départ. Donc depuis deux semaines, c'est sur cela que nous échangeons, bien plus que sur la maladie. Sincèrement, je ne comprends pas en quoi je lui suis utile, pas plus que je ne vois comment je pourrai être utile à qui que ce soit maintenant. Tout ce qu'il me reste, ce sont des mots. Physiquement, je ne peux plus rien faire, ou presque. De même, je ne fais aucun projet, ou presque, en tout cas aucun projet à long terme. Donc la seule chose que je peux apporter à quelqu'un, Virginie ou un autre, ce ne sont que des mots, de la théorie, uniquement de la théorie, que j'ai face à moi une personne virtuelle ou physique. Dans nos échanges, Virginie me parle beaucoup et longuement de sa vie. Je la lis attentivement, essaye de comprendre qui elle est, ce qu'elle recherche réellement derrière tout ce qu'elle me narre. Je crois que c'est de l'amour qu'elle veut, de l'amour qui lui a manqué, forcément, dans mon esprit cela est très clair. Pour parvenir à atteindre cet objectif, je le constate, elle n'hésite pas à entreprendre, à agir, à être active. Oui, je crois que c'est une battante, une de plus que je croise sur la toile, mais que je ne sais comment aider concrètement.
Effectivement, aussi solidaire aimerai-je l'être, je sais bien qu'elle et moi ne faisons pas du tout partie du même monde. Le mien est celui de son ami, celui où il n'est de place, ou que très peu, pour les projets. De même, même s'il est évident qu'elle comprends les mots que j’emploie, les phrases que j'écris, je sais également qu'elle ne peut saisir le sens, le fond que je leur donne à présent. Cela peut donc prêter à confusion, fausser l'interprétation des messages que je veux faire passer, comme cela m'est arrivé naguère avec Cynthia, ma mère et d'autres personnes. Donc je lis son histoire attentivement, l'écoute réfléchir à voix haute sur son présent, son avenir, et bien souvent ne sais quoi lui répondre. Je pourrai lui donner des conseils, certes, mais je n'aime pas donner des conseils, surtout à quelqu'un qui est encore dans la fleur de l'âge, avec un véritable avenir devant elle. Là aussi mes conseils ne seraient pas appropriés, car ils seraient ceux de quelqu'un qui ne voit, n'entends et n'écoute que la fin, la fin de la vie, là est mon prisme, mon angle de vue, ma vision de l'existence. Ces conseils ne pourraient s'adresser à quelqu'un qui veut bâtir, construire, édifier, qu'ils s'adressent à Virginie, ma fille ou toute autre personne en bonne santé. Ces dernières, même si je pense que cela ne sert à rien, je crois qu'il faut cependant les encourager à aller de l'avant plutôt que de se morfondre, ruminer du noir ou du gris, car on a qu'une vie, une seule, très fragile finalement, c'est presque un exploit que de connaître le lendemain en bonne santé, même si on ne le sait pas tant que rien de grave ne nous arrive.
Donc oui, je m'interroge sur ce que je peux apporter aux autres, sur ce que je peux leur donner concrètement, en dehors de la seule théorie. Sur mon blog je raconte ma vie, cela m'occupe et me plaît de le faire, mais je suis surpris que cela puisse en intéresser quelques uns, quelques unes. Oui, je ne vois pas en quoi ma petite vie, mes routines quotidiennes, mes questionnements de chaque instant, les réponses que je tente d'y apposer, peuvent aider, influer ou soutenir d'autres personnes, des personnes qui ont leur propre vie, bien à elle, forcément différentes de la mienne, surtout si elles sont en bonne santé. Pourtant hier, avant ma maladie, j'étais comme elle. Je m’intéressais à l'histoire des autres, à leurs joies ou leurs tourments. Oui, sincèrement, cela pouvait même me passionner, tel que ce fût le cas lorsque j'ai découvert Cynthia, virtuellement d'abord, via son blog, ne cessant de me demander quelle était cette étrange créature qui me remuait autant les trips, qui déjà faisait battre mon cœur alors que je ne connaissais strictement rien de son histoire, de son vécu, de son intimité. Oui, il a fallu que je la devine à travers ses mots, ses textes acerbes, rageurs et l'auto-destruction qu'elle s'était alors programmé. L'anorexie, un bien étrange état d'esprit, il faut le reconnaître, quelque part attachant tant je ne peux qu'avoir de la compassion, voire de la pitié, pour toutes ces jeunes filles qui se mutilent sans bien s'en rendre compte le plus souvent. Lorsqu'elle réalise leur mutilation, c'est bien souvent trop tard, la machine est lancée et, pour les personnes qui les côtoient, qui aimeraient qu'elles se sauvent, on se demande si on pourra enrayer le mouvement, la mécanique de cette mort pré-programmée. Oui, hier je croyais donc que je pouvais être utile, à commencer auprès de Cynthia. Je pouvais alors agir physiquement, quittant Paris pour Lyon afin d'aller à sa rencontre, me décarcassant pour rester dans cette ville et y trouver un travail, puis un toit pour nous deux, etc. Mais je comptais également grandement sur ma rhétorique, ma répartie, mes points de vues, voire quelques certitudes, pour l'amener à modifier son opinion sur elle-même et les autres, une opinion sévère, sans concession. Aujourd'hui, c'est cette même rhétorique que je remet en cause, dont je pense qu'elle n'est plus d’utilité, qu'elle ne sert à rien, car au final chacun fait ce qu'il veut, comme il l'entends, peu importe que vous lui faisiez remarquer qu'il ou elle est dans l'erreur et qu'il l'admette. Oui, surtout à l'âge de Virginie et de bien d'autres, au mieux je ne peux être qu'un déclencheur d'idée, quelqu'un qui met peut-être sur la table des choses auxquelles on n'a pas pensé, mais en aucun cas je ne peux être celui qui décidera ou influencera le cheminement de l'autre, que ce cheminement soit intellectuel ou non. Non, tout cela relève de l'autre, complètement de l'autre, de ses choix, et peu importe ce que j'en pense.
Pour cette raison, je donne de moins en moins de conseils, y compris à Cynthia, donne de moins en moins mon avis, sauf à Cynthia, et la plupart du temps préfère me taire. Lorsque des personnes me parlent, sauf si elles sont des malades, j’écoute, certes, mais d'une oreille distraite, sans véritablement m'intéresser à ce qu'elles me racontent, attendant patiemment qu'elles aient finis leur monologue. Parmi les personnes en bonne santé, les seules que j'écoute réellement, avec attention et bienveillance, ce sont les aidants, mais pas n'importe lesquels, je parle des aidants qui partagent et vivent au quotidien avec le malade. Oui, ceux-là je leur rends grâce d'exister, d'être là, d'accepter de nous prendre tel que nous sommes, c'est à dire plus ou moins invalide, handicapé et, moralement, psychologiquement,devenant ou devenu autre. Cela fait deux an que je vois Cynthia à l’œuvre, un an que je vois son père dans la même situation qu'elle, s'occupant inlassablement de sa femme, que je lis les témoignages d'autres cancéreux qui racontent leur chance d'avoir un mari ou une femme compréhensive, qui les accompagnent, les soutiennent, les prennent comme ils sont, avec leurs failles et leurs faiblesses. Même si l'aidant ne peut véritablement comprendre le monde psychologique du cancéreux, nous nous connaissons le monde des aidants, leur monde mental, car il y a peu nous faisions partie de ce même monde. Quelque part c'est donc une déception pour le malade, en tout cas pour moi, de constater que nous ne faisons plus partie du même monde mental, qu'il est quelque chose de primordiale, d'essentiel, de fondamental, que nous ne pouvons pas partager pleinement. Non, je n'aime pas ce fossé, mais pourtant il est là et, de part et d'autre, nous n'avons d'autres choix que de faire avec, du mieux possible, en essayant de limiter la casse, les dégâts, en essayant de garder néanmoins le moral, de faire des efforts pour ne pas rayer d'un trait demain et après-demain, pour garder l'espoir en des jours à venir heureux, des moments d'intenses plaisirs, des choses à faire ensemble.