vendredi 31 juillet 2015

Déménagement

31 juillet 2015


Aujourd'hui, même scénario qu'hier. J'ai dormi les deux tiers de la journée, ne suis levé que depuis 14h00 et d'ici deux ou trois heure, parce que le sommeil m'envahira, j'irai me recoucher sous les coups de 23h00. Je vois Cynthia faire les cartons, le déménagement avancer, la maison devenant de plus en plus, me donnant de plus en plus l'envie d'en partir afin de me reposer à nouveau, complètement, dans notre futur logement. Dans une semaine les déménageurs emporteront tous les cartons, les quelques meubles que nous avons. Nous serons alors le sept juillet et passeront encore deux nuit à Rennes, mais à l'hôtel. L'état des lieux avec le propriétaire aura lieu le 8 et le 9 au matin, nous prendrons le train pour Lyon, première escale, où nous passerons deux nuits chez ses parents. Je ne serai toujours pas posé, mais uniquement en transit, attendant comme je le fais déjà aujourd'hui que le temps passe jusqu'au jour fatidique du 12 août, jours où les déménageurs nous livreront nos biens dans notre nouvelle appartement.

Plus je diminue la cortisone, plus je retrouve mon état « naturel ». S'il n'y avait pas les effets secondaires de la radiothérapie, je me demande dans quel état je serai aujourd'hui. Affaiblie ? Autant ensommeillé ? L'esprit alerte ou non ? Car je ne vous cacherai pas que de toute la semaine, les rares heures où je suis réveillé, je suis comme un somnambule, ou pas loin s'en faut. De même, ma notion du temps, mon rapport à ce dernier se modifie encore. Il y a quelques mois il était fugace, j'avais l'impression de voir chaque instant passer, défiler devant moi à une vitesse telle que j'aurai pu en avoir le vertige. L'ennui était complètement absent tant chaque image prenait la place de l'image précédente, image sur laquelle je ne pouvais m'attarder car, déjà, une nouvelle image se profilait à l'horizon. Mais ces derniers temps, ce n'est plus du tout ça. Est-ce à dire que je m’ennuie, que j'éprouve l'ennui. Non, je n'en suis pas encore là, mais j'éprouve néanmoins le besoin d'être occupé, ne serait-ce qu'à contempler les gens passer, comme j'aime le faire, comme je le fais en ce moment même, entre deux lignes, assis à la terrasse de l'un des cafés de la place des Lices.

Comme je l'ai signalé dans un article précédent, il y a bien longtemps que je ne me suis pas attardé sr mon cancer. Mais que puis-je dire de plus que je n'ai déjà dit ? Pour l'instant, sa pensée ne m'a pas procuré de nouveaux états d'âme. Je suis toujours dans l'attente, ce moment où l'on m'annoncera que l'on ne peut plus rien faire pour moi, pour me faire durer encore quelques mois, voire une année. C'est simplement le type d'attente qui a varié, qui a changé. Effectivement, je n'éprouve plus ce moment fatidique comme imminent. Et, plus ça va, plus je le vois lointain. Je ne demande alors si je dois ou non m'accrocher à ce sentiment, m'en servir comme tremplin pour d'éventuels espoirs, pour faire à nouveau des projets, au moins sur du court-terme, sur une année au moins. Mais tout cela dépendra de mes examens trimestriels, IRM et scanner, de ce que l'on y découvrira ou non, tout en gardant l'espoir que mon cancer ne se déclare pas ailleurs dans mon corps.

Je repense à une citation que m'a laissé Mamy dans l'un de ses commentaires :

« Qu'est-ce que chaque homme, en venant au monde, a perdu dans un port ? L'enfance. »

Une fois adulte, est-ce cela que nous recherchons tous, plus ou moins consciemment ? Retrouver le port, essayer de la reconstruire, car je veux imaginer que ce port était rassurant. Mais la majorité du temps, c'est au grand large que nous nous retrouvons, en pleine mer, devinant à peine les récifs que nous devrons éviter, sous peine de dégâts dans notre soute, voire de naufrage si le récif, le rocher était trop saillant. Nous recherchons également des phares pour nous diriger en pleine nuit, afin d'éviter là encore les récifs, sachant que lorsque nous quittons le cocon familiale, notre fameux port, nous serons pour de nombreuses années, voire toute notre vie, la majorité du temps dans le noir ou, à défaut, dans la brume, le temps de comprendre et d'apprivoiser la mer, de s'acclimater à elle, quitte à changer de bateau pour ne pas s'enfoncer en elle. Mais ces phares, que sont-ils sinon les autres, ceux et celles que nous découvrirons, qui participerons directement de notre vie, quelque soit le temps passé à faire un bout de chemin ensemble.

Oui, à partir de cette simple citation, il y en aurait des choses à dire, des choses à conter, des messages à faire passer. Si j'en avais l'énergie, je continuerai à épiloguer dessus.

jeudi 30 juillet 2015

Mauvaise nuit

30 juillet 2015


Il est 19h00, journée éprouvante pour moi après nuit toute aussi éprouvante, ou je n'ai cessé de me réveiller pratiquement à chaque heure à cause de brûlure que je ressentais au niveau du haut de poumon, celui-là même dont j'ai été opéré. Vers 6h00 du matin, las de ne pouvoir faire un réel somme, je me suis donc levé, mais une demi-heure après je me rendormais dans le canapé du salon et, ce, jusqu'à midi. Depuis, je ne suis pas réveillé pour autant et je lutte depuis afin de ne pas m'endormir avant 21h00. Oui, je n'aurai pas dormi de la nuit que je crois que je serai dans le même état. Comme je disais à Cynthia, je ne comprends pas le rapport qu'il y a, le lien qu'il y a entre mes séances de radiothérapies et le coma dans lesquelles elles me plongent à chaque fois et, ce, pour au moins deux semaines à chaque fois.

Donc, bien que je sois plus qu'à moitié endormi, je commence à prendre la mesure des jours qui passent, qui avancent, me rapprochant inéluctablement du jour du départ, de notre départ de Rennes et, ce, si ce n'est pour toujours, pour au moins un long moment. Demain nous serons déjà à la fin du mois et une semaine plus tard, jour pour jour, nous rendrons l'appartement. De même, ma fille arrivera demain à Paris, chez ma mère, et y passera une dizaine de jours. Je sais que cela lui fait plaisir, elle qui avait déjà passé un week-end chez ma mère il y a quinze jours, voyant ainsi sa cousine et ma sœur, avant d'aller passer ces quinze derniers jours chez les tantes de sa mère, près de Chartres. Le lendemain de son arrivé chez ces dernières, elle m’appelait en pleur, me disant comme elle regrettait de n'être pas resté plus longtemps dans sa famille paternelle. Je lui suggère alors d'appeler sa mère pour voir si elle ne pourrait passer au moins une semaine chez ma mère. Dans la minute ma fille raccrocha, appela sa mère, et me rappela ensuite. Au final sa mère donna son aval, ce qui ravi ma fille. Oui, elle reprochait et supportait de moins en moins que dans sa famille maternelle elle ne puisse s'exprimer comme elle le voulait, afficher ses points de vue, contrairement à ce qui se passe dans sa famille paternelle où, tous et toutes, sommes libres d'avoir notre propre point de vue, même si les autres ne le partage pas, sans que cela n'engendre de drame pour autant. Voilà, ma fille grandi, commence à réaliser les véritables différences qu'il a entre sa famille maternelle et paternelle, et commence à prendre goût pour la liberté, qu'elle soit d'action ou d'expression.

Quoi qu'il en soit, je m'interroge surtout sur la nuit que je vais passer. Sera-t-elle à l'image de la nuit dernière ou sera-t-elle de tout repos ?

Yves Bonnefoy, "Les planches courbes" I

30 juillet 2015


Yves Bonnefoy, né à Tours (Indre-et-Loire) le 24 juin 1923, est un poète, critique et traducteur français.


LA PLUIE D’ÉTÉ

Mais le plus cher mais non
Le moins cruel
De tous nos souvenirs, la pluie d'été
Soudaine, brève.

Nous allions, et c'était
Dans une autre monde,
Nos bouches s'enivraient
De l'odeur de l'herbe.

Terre,
L'étoffe de la pluie se plaquait sur toi.
C'était comme le sein
Qu'eût rêvé un peintre.

(Yves Bonnefoy, « Les planches courbes »)


Pour qu'un souvenir nous soit si précieux, il faut qu'il soit lointain, très lointain. Oui, le récent, le présent, ne nous offre pas le recul nécessaire pour voir le beau, le merveilleux, alors même que nous le vivons. Peut-être faut-il être très âgé ou très malade pour prendre dans toute son ampleur le moment vécu, en temps et en heure,  appréciant alors à sa juste mesure son délice ou son supplice.
Ce poème est un tableau parfait, illustrant merveilleusement bien l'unité que chacun recherche, soit avec une âme sœur, soit avec la nature, soit avec l'animal. Il nous dit combien nous ne pouvons échapper à notre condition, celle d'être des êtres de la terre avant toute chose, avant même l'invention de la roue, de la poudre ou de la monnaie. Combien ai-je gardé de souvenirs de cette trempe, aussi complets, aussi parfaits qu'ils ne seraient même plus à revivre, mais juste à se remémorer pour le seul plaisir de se dire : non,tu n'as pas tout loupé, tu ne t'es pas toujours trompé, tu as également vécu des moments de grâces, moments sans grandiloquence, sans feux d'artifices, mais si intenses néanmoins, qu'aujourd'hui encore leur place est réservée dans ton cœur.


HIER, L'INACHEVABLE

Notre vie, ces chemins
Qui nous appellent
Dans la fraîcheur des prés
Où de l'eau brille.

Au faîte des arbres
Nous en voyons errer
Son autre terre.

Ils vont, leurs mains sont pleines
D'une poussière d'or,
Ils entrouvrent leurs mains
Et la nuit tombe.

(Yves Bonnefoy, « Les planches courbes »)


Oui, que de chemins propose la vie, que de possible dans cette dernière, du meilleur au pire, du plus glacial, intransigeant, au plus chaleureux, enivrant. Les trottoirs de nos villes sont ces immenses forêts où, entre deux lampadaires, deux feux rouges, le chemin se dessine. Libre à nous de l'emprunter ou non, de faire un détour ou pas, de brûler une voiture parce que sa présence ne nous plaît pas dans le décors de notre paysage. De moins en moins les chemins nous appellent dans la fraîcheur des prés où de l'eau brille. Oui, car de plus en plus nous devenons des citadins, des cosmopolites, ignorant même la simple existence des chemins que la nature dessine, tant nous sommes accaparés par la création, le modelage, de notre village planétaire. Béton, bitume, acier, voici nos matériaux, ceux qui n'existent pas à l'état naturel, mais voulant dominer la nature, ne rien lui devoir car nous ne supportons pas d'être sous son joug, d'être dépendant d'elle de A à Z, nous utilisons des subterfuges pour nous faire croire à nous-mêmes que nous maîtrisons notre condition et notre environnement. Cependant, lorsque l'espèce humaine se sera éteinte, la nature, elle, sera toujours à l’œuvre, ouvrant l'espace à d'autres espèces, la nature n'ayant qu'un seul souhait, celui de faire perdurer ce qu'elle est, autrement dit la vie.



UNE PIERRE

Nos ombres devant nous, sur le chemin,
Avaient couleur, par la grâce de l'herbe,
Elles eurent rebond, contre des pierres

Et des ombres d'oiseaux les effleuraient
En criant, ou bien s'attardaient, là où nos fronts
Se penchaient l'un vers l'autre, se touchant presque
Du fait de mots que nous voulions nous dire.

(Yves Bonnefoy, « Les planches courbes »)

Ce poème, je l'aurai intitulé « Rencontre » ou « Contemplation ». N'est-ce pas ainsi que cela se passe généralement, lorsque justement nous nous rencontrons pour la première ou deuxième fois ? Des mots, nous en avons tout un stock et ne souhaitons qu'une chose,  les sortir, comme si nous avions le besoin irrépressible de nous confier avec l'espoir d'être ensuite compris, accepté, aimé. Mais parce que nous ne sortons pas nos mots, et encore moins nos maux, c'est bien une ombre que nous présentons à l'autre, et s'il n'est pas un relief lors de notre marche pour lui donner un semblant de consistance, c'est alors uniquement l'inconnu que nous sommes capable d'offrir. Certains s'en accommoderont, d'autres pas, tout dépendra jusqu'où nos fronts se seront penchés l'un vers l'autre.



UNE PIERRE

Il se souvient
De quand deux mains terrestres attiraient
Sa tête, la pressait
Sur des genoux de chaleur éternelle.

Étale le désir ces jours, parmi ses rêves,
Silencieux le peu de houle de sa vie,
Les doigts illuminés gardaient clos ses yeux.

Mais le soleil du soir, la barque des morts,
Touchait la vitre, et demandait rivage.

(Yves Bonnefoy, « Les planches courbes »)

Est-ce l'heure du coucher, de l'oubli, du souvenir qu'il faut faire taire ? Nous ne sommes plus dans la mélancolie à travers ce poème,mais bel et bien dans la nostalgie. Où sont passés ces genoux de chaleur éternelle ? Comment ne pas éprouver le manque lorsque l'on a été pris, enlacé, attiré, happé, par deux mains qui, visiblement, auraient soulagé  les pires des migraines les plus lourdes, les plus denses. De même, si cet homme semble vivre comme un solitaire, n'ayant pas beaucoup de vie sociale, insistant pour garder clos ses yeux afin de mieux voir la lumière qui inonde son souvenir, oui, cet homme doit être un malheureux. Cependant, parce que le cours quotidien de la vie, sa vitesse effrénée,  ne laisse que peu de temps pour s'attarder sur des regrets, apprendre à les gérer, jusqu'à ce que le regret disparaisse, il faut donc à cet homme quitter sa tristesse car demain et ses obligations l'attendent, la barque des morts n'attendant que son signal.

mercredi 29 juillet 2015

Inspiration

29 juillet 2015


Dans quelques minutes il sera 20h00, début de soirée. Je suis à une terrasse de café place Sainte-Anne, café qui se nome « La bonne nouvelle » exactement, comme un présage, une obligation presque, de tout faire pour que les choses aillent bien, se déroulent biens, loin de tout conflit ou désaccord profond entre Cynthia et moi, entre mes proches et ma personne. Ma vue,c'est de pire en pire. Les lunettes sont dans mon sac, mais n'ayant pas envie de les porter, je vois flou, parfois très flou en tapant mes mots, en regardant mon clavier, en relisant parfois ce que j'écris.

En ce moment j'ai l'impression de ne plus avoir d'inspiration, raison pour laquelle je me suis remis à lire autour de thèmes qui, d'ordinaire, m'inspire. Oui, même mon cancer et ma mort ne m'inspire plus. J'y pense tous les jours, certes, mais comme l'on regarde la météo, histoire de se tenir informé, mais ne changeant absolument rien à notre programme de la journée. De même, depuis que j'ai découvert cette artiste-peintre sur facebook, dont à présent je sais qu'il est un homme né en 1948, je me sert de ses toiles pour me laisser à écrire. A présent il sait que j'ai un cancer et, de ce qu'il m'en a dit, cela lui a créé un choc. Quel type de choc ? Générant quoi ? La fuite ou le rapprochement ? Quoi qu'il en soit, au cas où cela arriverait, je lui ferai comprendre que je ne veux ni n'ai besoin de compassion ou de pitié.

Je ne sais pourquoi mon cancer, le fait d'être ce type de malade, ne me fait plus peur, ne m'inquiète plus, alors qu'il y a trois ou quatre mois cela n'était pas encore le cas. Est-ce parce que l'on s'habitue  à tout, y compris à savoir en toute conscience que l'on vit peut-être ses derniers moments, ses derniers mois, voire ses deux ou trois dernières années de vie ? En deux ans seulement, je me suis plus familiarisé avec la mort, la mienne et celle des autres, que durant toute ma vie où je n'ai cessé de chercher le sens de la vie, comme un frénétique, comme si c'était une guerre à gagner, coûte que coûte. Dès le départ je me suis trompé de question, ne me suis pas posé la bonne. Ce n'est pas au sens de la vie que je devais essayer de trouver une réponse, mais bel et bien au sens de la mort, ce qui n'est pas du tout la même chose. Quel aurait été alors mon parcourt si j'étais parti dans cette quête ? Me serais-je tant attardé sur les injustices et absurdités de notre monde, faisant ainsi de moi un constant révolté, n'hésitant pas à agir en conséquence, quitte à enfreindre, braver la loi et les hommes ? Pour autant, il n'est ni sot ni illégitime de se poser la question du sens de la vie, mais que nous le sachions ou non, consciemment ou pas, c'est notre regard sur la mort qui conditionne notre regard sur la vie et, en conséquence, sur son sens. Cependant, rien, de et dans la vie, ne donne de réponse au mystère de la mort, absolument rien.

Une longue nuit

29 juillet 2015


Vingt-et-une heure d'affilé, j'ai dormi vingt-et-une heure d'affilé ! Il est à présent 14h00 et je repense à hier où les choses se sont déroulées d'une manière différentes que celles pensées à l'origine. Vers 9h00, Cynthia et moi étions effectivement à Saint-Malo, dans l'attente de notre ballade en mer une heure plus tard. Malheureusement, la météo n'était vraiment pas au rendez-vous, et même si une accalmie était présente, il avait déjà plut auparavant, les pavés étaient trempés. Sous quel temps se déroulerait notre excursion en mer, là était la question. Cependant nous eûmes énormément de chance, car pendant l'heure et demi que dura notre découverte de la baie de Saint-Malo, pas une seule fois il ne plut. Le bateau comportait un étage, complètement à l'air libre, sans aucun abris, sinon la cabine du pilote, du capitaine. Malgré le vent qui soufflait fort, c’est là que nous nous sommes installés avec trois ou quatre autres téméraires. Tous les autres passagers étaient dans la soute, la cale, je ne sais quel est le nom donné à cet endroit. C'était un groupe de septuagénaire, voire d'octogénaires, et ils étaient bien une trentaine. Eux se sont mis à l’abri du vent, confortablement installé au chaud, mais ne pouvant entendre le chant de la mer, de ses vagues, tant le bruit des moteurs du bateau couvrait ce dernier. Nous, à l'étage, n'entendions pas ce bruit mécanique, ce ronronnement fort et constant. Donc nous avons eu la chance qu'il ne pleuve pas, mais sitôt de retour à Saint-Malo, les premières gouttes tombèrent puis, les heures passantes, elles devinrent de plus en plus insistantes. Il devait être aux alentours de midi lorsque notre bateau revint au port et nous avions projeté de prendre un bateau-bus pour nous rendre à Dinard et y manger des moules dans un petit restaurant situé face à la plage. Du fait de la pluie, Dinard est tombé à l'eau, mais pas les moules. Dans le Saint-Malo Intramuros, nous trouvâmes un petit restaurant qui ne payait pas de mine, mais là, à notre agréable surprise, la cuisine était excellente et le coût des plats, du menu, plus qu'abordable. Cynthia avait enfin ses moules face à elles, dans une grosse cocotte qui ne semblait que l'attendre. Pour ma part, par fainéantise, n'ayant pas envie de décortiquer les moules, je pris un pavé de saumon avec du riz. Il pleuvait toujours, voire de plus en plus, mais à la fin du repas une petite accalmie commençait à se profiler à l'horizon. La pluie devenait crachin et nous en profitâmes pour aller faire quelques emplettes, c'est à dire acheter des photos et des aquarelles dont Cynthia voudrait couvrir les murs de notre futur appartement à Belfort. Comme elle me l'a dit, elle veut emmener la Bretagne avec elle là-bas. Une fois nos achats effectués, toujours à cause de la pluie, nous nous demandâmes quoi faire. Parce que j'avais très peu et très mal dormi la veille, je proposai de rentrer plus tôt que prévu à Rennes afin que je fasse une sieste une fois parvenu à la maison. Cynthia étant également fatiguée acquiesça à ma demande. C'est ainsi que nous arrivâmes chez nous vers 16h30 et, une demi-heure après, que j'étais parti pour ma nuit de vingt-et-une heure. Suis-je frais pour autant ? Ais-je l'esprit bien alerte ? Non, il me semble que je somnole encore par moment, même si je me sens néanmoins très bien dans ma peau.

En parlant de peau, donc de corps, je pense à mon cerveau, aux effets secondaires de ma séance de radiothérapie. Donc ces derniers jours, ils me rendent quelque peu léthargique, me faisant dormir beaucoup et, depuis trois jours, occasionnent des problèmes de digestions et de transit, générant eux-mêmes des nausées. Donc, comme les fois précédentes, j'évite de manger quoi que ce soit le soir, histoire de me donner le maximum de chance de passer une bonne nuit.

Ces derniers jours à passer en Bretagne sont étranges, car je n'ai vraiment pas le sentiment que je vais en partir. Il faut dire que je ne fais strictement rien pour en avoir conscience, puisque je ne m'occupe pas du tout du déménagement. Tous les cartons, sans exception, c'est Cynthia qui les fait, un petit peu chaque jours, afin que tout soit prêt le jour du déménagement. De même, tout ce qui est administratif, résiliations de contrat, ouvertures de contrat, ne pourra se faire qu'après l'état des lieux, qu'après notre départ définitif de notre appartement. Ainsi, en ce qui me concerne, chaque jour est approximativement le même que le précédent, le même que celui à venir. Je continue dans mes petites habitudes.

lundi 27 juillet 2015

A la vie

A la vie


Il n’est plus de brouillard dans ma nuit
Plus d’espoir à bercer vers de faux lendemains
Ainsi s’achève notre temps à l’écart de l’ennui
Loin du carrefour du hasard où s’amorcent les chemins

Dois-je m’étaler sur les méfaits du soleil bleu
Sur cette extase qu’une peur subite balaie d’un coup
Ou retenir tous les moments du vivant feu
Quand l'avenir semblait sans coût

Il n’est rien à dire ni à pleurer
A retenir ou effleurer
J’ai été si lamentable
A présumer d'un grain de sable

De notre époque...

27 juillet 2015


Pleins de choses me traversent l'esprit en cette soirée qui débute. Il est pile 20h00 et, contrairement à d'habitude, je n'ai pas envie de raconter ma journée, tout du moins sous la forme où je le fais habituellement, c'est à dire chronologiquement. De suite me vient pourtant la nuit que j'ai passé, nuit où par deux fois je dû me rendre aux toilettes, victime de nausées parce que j'avais mangé trop de gâteaux juste avant de me coucher. Cependant cela n'a ni gâché ma nuit ni mon humeur. C'était un aléa de plus, un aléa ne présentant absolument aucun danger, un aléa qui ne mérite donc pas que je m'en contrarie.

Là, à l'instant, je viens de finir la lecture du livre « Les planches courbes » du poète Yves Bonnefoy. Peut-être ferais-je ce soir-même un article sur lui, avec certains poèmes que j'ai retenu, me laissant aller à disserter sur ce qu'il m'évoque. Je pense également à demain, grand jour, un autre grand jour, où dès 7h00 Cynthia et moi partirons pour Saint-Malo afin d'aller faire une belle excursion dans toute la baie. Je pense également à Cynthia et son envie de manger des moules. Cela fait plus de dix mois que nous sommes à Rennes, en Bretagne, et c'est seulement maintenant que cette envie se manifeste. Vous savez donc ce qu'elle mangera demain midi. Pour ma part, non que je n'aime pas les moules, je verrai sur place, dans le moment, si je l'accompagnerai d'un même repas ou d'un autre.

Je pense également à Lila dont je n'ai plus de nouvelle. Cette semaine elle est en vacance près de la mer. Aussi, peut-être n'a-t-elle pas d'ordinateur portable ou de connexion wifi là où elle se trouve. Quoi qu'il en soit, j'espère que cette semaine de vacance lui sera salutaire, lui changera un peu les idées, en se concentrant plus sur la plage, la mer, les oiseaux, que sur sa maladie. Cela me fait penser que je dois également répondre à Virginie qui, tant bien que mal, s'accroche à son histoire d'amour, histoire malheureusement souvent entravée par la maladie de son compagnon et la manière dont il l'a gère, la manière dont il se gère.

De même, je ne sais plus si j'en ai déjà parlé tant ma mémoire est un véritable foutoir, mais j'ai rencontré via facebook un artiste-peintre qui expose une partie de ses œuvres sur son site. Deux thèmes y sont présentés, celui d'Eros et celui de Thanatos, ou dit autrement et plus largement, l'amour et la mort. Je ne saurai vous dire pourquoi son style me parle, mais comme ses tableaux m'inspirent, cet artiste dont je ne sais si c'est un homme ou une femme, simplement qu'il n'est pas français, mais qu'il s'exprime parfaitement bien dans notre langue, donc cet artiste m'a donné l'autorisation de publier sur facebook, dans le groupe dont nous faisons tous les deux partie, la prose, voire la poésie dans laquelle m'entraîne certains de ses tableaux. Du coup je pense à Zazou qui illustre ses poèmes et me demande si elle choisie l'illustration après avoir écrit son poème, ou si c'est l'illustration qui lui inspire son poème.

Sinon, aujourd'hui j'ai passé la première partie de l'après-midi avec Cynthia. Nous avons acheté nos billets de trains pour demain, puis avions décidé d'aller acheter du vin et des boites de chocolats, boites que je veux offrir à mon médecin généraliste et à mes pharmaciens qui, à leur façon et par leur excellent accueil, ont participer directement à ce que j'apprécie cette année passée à Rennes. Malheureusement, étant lundi, les commerces où nous comptions faire nos achats étaient fermés. Cela n'ai pas grave, nous y retournerons mercredi ou jeudi, nous ne sommes pas à un jour près.

Comme je vous l'ai dit, je me suis remis à fumer. Je ne peux pas dire que je m'en veux, car je ne m'en veux pas, mais je trouve vraiment dommage de ne pas avoir assez de force de volonté pour arrêter cette connerie. Oui, c'est parce que c'est un véritable plaisir de fumer, bien plus qu'un besoin puisque j'ai ma cigarette électronique qui me fournit toute la nicotine dont j'ai besoin, que je me suis remis à mettre ma vie en danger. Ainsi, j'ai beau critiquer l'espèce humaine, sa bêtise, l'absurdité de beaucoup de ses réflexions, de ses idées, de ses actions, il n'en demeure pas moins, mes actes le prouvent, que je fais bien partie du même marasme, ne tirant les leçons de quoi que ce soit uniquement si cela m'arrange, bref, que je suis bien loin d'atteindre je ne sais quelle forme de sagesse. D'ailleurs, dans notre monde, tel qu'il est, tel que nous le façonnons, avec ses règles, ses valeurs, qu'elles soient économiques, sociales, culturelles, politiques, que veut dire être sage, qu'est-ce que la sagesse ? Est-ce tenter de se défaire de certaines valeurs dominantes qui nous paraissent, pour une raison ou une autre, non conformes à notre conception des choses et, en conséquence, qui ne peuvent que compliquer notre vie quotidienne si l'on se fait un devoir de vivre selon ses propres principes ? Mais d'un autre côté, n'est-ce pas également une forme de sagesse que de suivre le train là où il va, sans se poser plus de question que ça, d'accepter les routes et les couloirs déjà existant via lesquels la majorité d'entre nous mènent et font leur vie ? De même, la sagesse est-elle de douter, de mettre en cause, de s'interroger ? Car quelques soient nos réponses, en quoi seraient-elles plus proches d'une certaine forme de vérité et, quand bien même ce serait le cas, est-ce que la vérité aide, permet de nous rendre heureux pour autant ? Pour ma part, je pense que la vérité fait mal, presque toujours, non pas parce qu'elle est ce qu'elle est, mais parce que bien souvent elle met à mal, anéantie, brise, une illusion, un fausse croyance, une conviction ou une certitude que nous avions jusqu'alors. Oui, dès notre plus jeune âge nous sommes très mal éduqué ? D'ailleurs, plus j'y pense et plus je me dis que l'éducation des enfants devraient être confié à des personnes de plus de cinquante ans, ayant parfaitement compris comment fonctionnait notre monde, ce que l'on pouvait en attendre ou non. Mais en règle générale, les parents d'aujourd'hui ont entre vingt et trente-cinq ans, ne comprennent que peu de chose aux choses de notre monde, sortent de l'école ou y sont encore, tandis que d'autre débutent dans le monde du travail. L'immense majorité est plein de projets, plein d'enthousiasme à l'idée que leurs projets se concrétiseront forcément et qu'alors, quand bien même se réaliseraient-ils, ils vivront le bonheur. Aussi, comme ce sont des rêveurs, des incultes, voire des ignares qui élèvent les enfants, eux aussi entre de plein pieds dans le monde du rêve et de l'illusion. Oui, il n'y a personne pour leur expliquer la brutalité de notre monde, personne pour leur dire clairement qu'absolument rien n'est jamais acquis, personne pour leur signaler que la réalisation de quoi que ce soit n'est pas une fin en soi, que tout ne marche que par étape, par marche, et qu'il suffit d'en louper une ou de stagner sur l'une d'entre elle pour que le projet ne puisse se réaliser, pour que l'avenir soit bouché, qu'ils auront plus de chance de vivre comme des miséreux que comme des gens riches. Oui, nous entretenons nos gamins dans le rêve, n'osons leur dire la vérité, leur mentons volontairement par omission ou, pire encore, leur tenons des propos sur leur avenir en lesquels nous ne croyons même pas. Comment s'étonner alors que nous fabriquons des générations de désillusionnés ?

dimanche 26 juillet 2015

Cioran, "De l'inconvénient d'être né" IV

26 juillet 2015


« Réfléchir à ceux qui n'en ont plus pour longtemps, qui savent que tout est aboli en eux, sauf le temps où se déroule la pensée de leur fin. S'adresser à ce temps-là. Écrire pour des gladiateurs... » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Je ne sais si me mourant est un gladiateur, dans le sens où il a encore la force de se battre, mais il est un vétéran, presque un monument, comme si sa vie s'était faite statue, statue qu'il incarne par la décomposition même de son corps. Oui, c'est à eux surtout que je m'adresse dans mes dialogues imaginaires, bien plus qu'au personne pour lesquelles loin est le temps,à priori, où la pensée de leur fin sera leur quotidien, qu'il le souhaite ou non, au moins un temps dans la journée. C'est la raison pour laquelle, pour qui ne peut se faire à cet état de fait, il lui faut être actif, plonger et noyer son esprit dans l'action afin d'échapper à cette seule pensée possible arrivé à un certain stade de sa vie. Cependant, même écrire pour des gladiateurs, quelle utilité au final ? Le combat, ils ne peuvent y échapper. Ils sortiront peut-être victorieux une fois, deux fois, mais inéluctablement ils seront un jour face à leur maître. Pour tout ce qui existe, de l'étoile à l'humain, des galaxies au bactéries, le maître est la mort toujours. C'est lui qui programme déjà à l'avance notre temps de vie, à quelques mois ou années près, temps de vie qui varie selon les aléas de l'environnement, de la comète qui s'effondre, s'écrasant en une immense explosion sur telle ou telle planète, jusqu'à la cellule qui, on ne sait encore pourquoi, se détraque, devenant cancéreuse par exemple, mettant ainsi péril le temps pré-programmé, qui nous était impartit par notre corps, lui-même parfaite expression de notre mort en cours, déjà à l'état de fœtus.

« Rien ne mérite d'être défait, sans doute parce que rien ne méritait d'être fait. Ainsi on se détache de tout, de l'originel autant que de l'ultime, de l'avènement comme de l'effondrement. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Là, un état délicat à atteindre, voire impossible à concevoir pour la plupart, tant il faut avoir mis en cause des choses et des choses pour entrevoir, sinon percevoir dans le meilleur des cas, que tout est vain, car le plus souvent infondé, même si cela ne signifie pas que tout est futile pour autant, ou sans intérêt. Mais faire ou défaire ne change rien à notre sort final, strictement rien, sinon, pour ceux et celles qui pense le contraire, se convaincant à tout prix que l'existence sert à quelque chose. D'ailleurs, peut-être sert-elle à quelque chose, quelque chose qui nous dépasse forcément puisque personne n'y a encore trouvé de sens. Ainsi, il arrive un moment où l'avènement ou l'effondrement ne provoque plus rien en nous, ou tout au moins de moins en moins de tumulte, où les valeurs n'ont plus de sens, de consistance, de la plus belle des valeurs à la plus exécrable. Pour ma part je suis à un point où nul naissance, nul événement dit « heureux », ne serait-ce que l'obtention d'un diplôme ou la rencontre par un tiers de son être aimé, me laisse indifférent. Plus d'extase, pas de joie excessive, tout cela est de l'éphémère, y compris ce qui est ressenti par les personnes concernées, car tôt ou trad, elles finiront par oublier ce qu'elles ont éprouvé dans ces moments-là. De même, face à l’exécrable,  le détestable, l'abominable, je deviens également de plus en plus de marbre. Les injustices, parfois les atrocités, la sauvagerie, la barbarie, je les vois comme vous, en entends parler, mais mon esprit ne s'y attarde plus, ne prends plus au sérieux, dans le sens grave, de gravité, toutes ces choses-là. A droite on enlève des jeunes filles par centaines pour les revendre, à gauche on fait exploser des rames de métro ou des avions, au milieu on laisse sur le carreau des milliards de gens qui n'ont pas de quoi vivre décemment, on a même inventé un seuil de pauvreté pour faire croire que l'on prenait cette injustice en cause, de doux chiffres et une douce courbe statistique pour faire passer la pilule, pour ne pas faire culpabiliser ceux qui ne sont pas dans cette situation. Oui, nous sommes bel et bien abject, ou bête, je ne sais pas, peut-être les deux. Enfin, concernant l'effondrement auquel Cioran fait allusion, même de mon sort physique je me détache de plus en plus. Oui, j'ai bien compris maintenant, intégré, assimilé, que ma mort c'est lui. Ainsi, que j'en prenne soin ou non, de même si l'on m'agresse, j'accepte à l'avance qu'il souffre encore, qu'il dépérisse encore un peu plus, peut importe la cause, externe ou interne. Retarder le dernier moment de vie n'est pas mon créneau, vous l'aurez compris. Le précipiter ne l'est pas non plus, sinon je me serai déjà suicidé. Donc je continue mon petit bonhomme de chemin, sans plus chercher du tout où il me mènera, sans plus lui chercher de direction ou d'objectif à atteindre, me laissant uniquement glisser dans les pas de ma compagne, là où la trajectoire qui lui est propre la mène. Je suis comme son mouton et il m'importe peu d'être un mouton ou non tant que je vis paisiblement ma fin.


« Il est des moments où, si éloignés que nous soyons de toute foi, nous ne concevons que Dieu comme interlocuteur. Nous adresser à quelqu'un d'autre nous semble une impossibilité ou une folie. La solitude, à son stade extrême, exige une forme de conversation, extrême elle aussi. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Cette citation me rappelle l'ouverture de mon blog, en septembre dernier, où j'étais dans une phase où je cherchai à apprivoiser la mort, l'idée de mourir, l'idée de ma mort, dans ce type de solitude intérieure. Certes, mon interlocuteur imaginaire n'était pas Dieu, puisque je ne crois en aucun dieu, mais j'ai écrit dans cette esprit-là toutes les « lettres à l'inconnue » qui figure dans la catégorie qui lui est dédié. Oui, il est des moments où nous sommes tellement dans l'ahurissement, l'ébahissement, face à ce qui nous arrive ou nous traverse, sachant que nous sommes parfaitement incapable de faire comprendre à qui que ce soit le chamboulement, le bouleversement, le tremblement de terre, qui nous traverse. Alors, afin d'extérioriser pour mieux apprivoiser, dompter, voire comprendre exactement ce qui se produit, nous nous adressons à l'au-delà, un au-delà qui, nous le savons, ne portera aucun jugement, strictement aucun, sur notre questionnement ou sur notre état des lieux. Oui, lorsque l'on s'expose, savoir que l'on ne sera pas jugé est salvateur, source de délivrance, presque de joie.

« Le même sentiment d'inappartenance, de jeu inutile, où que j'aille : je feins de m'intéresser à ce qui ne m'importe guère, je me trémousse par automatisme ou par charité, sans jamais être dans le coup, sans jamais être quelque part. Ce qui m'attire est ailleurs, et cet ailleurs je ne sais ce qu'il est. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

En deux ans, moment de l'annonce de mon cancer et aujourd'hui, voilà où j'en suis arrivé, exactement à ce qui est décrit dans cette citation. Simplement, à l'heure d'aujourd'hui, je sais quel est cet ailleurs qui m'attire. Il est ma fin, ni plus ni moins, que je ne cesse de m'imaginer en large et en travers. Ce n'est pas la mort que j'imagine, l'état de mort, sa condition, car là, j'avoue être en panne d’imagination. Non, c'est la ? Où cela se passera-t-il ? Qui y aura-t-il autour de moi ? Y aura-t-il m^me quelqu'un, car mon grand-père maternelle est mort seul dans une chambre d'hôpital, aucun proche autour de lui Moi, j'aimerai que Cynthia et ma fille prennent chacune l'une de mes mains jusqu'à mon dernier souffle. Oui, égoïstement, j'aurai l'impression de ne pas partir seul, d'emmener un peu d'elles dans ce néant dont je ne connais que le nom. De même, de manière plus ou moins consciente, de sentir leur main dans les miennes me donnera certainement l'impression que j'ai encore du temps devant moi, que l'adieu n'est pas pour tout de suite. Quoi qu'il en soit, il est vrai que plus ça va et plus je feins de m'intéresser à des choses dont je n'ai, finalement, plus rien à foutre. Seules m'intéressent aujourd'hui les choses et les êtres qui m'apportent un semblant d'épanouissement, de contentement, voire, dans les cas les plus exceptionnels, du plaisir.Aussi, comme il est bien peu de chose qui m'intéresse encore vraiment, c'est aussi l'une des raisons pour laquelle je ne cherche plus du tout à nouer de nouvelles relations. Effectivement, je sais que si cela advenait, tôt ou tard, je serai obligé de feindre là encore, d'être hypocrite, disons le mot, et je ne peux me concevoir ainsi. Même si je sais désormais qu'aucune valeur ne tient la route, que toutes, sans exception, sont démontables, niables, il n'en reste pas moins que j'en ai gardé à mon compte et, bien que cela soit sot et inutile, car ne changeant pas la face du monde ni la nature humaine, je veux m'employer à agir en fonction d'elles, tant que cela me sera possible. L'honnêteté est la première des valeurs dans mon tableau. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut tout dire, mais par contre cela implique qu'il ne faut pas mentir. Démerdez-vous comme vous voulez, mais ne me mentez jamais, car si je le découvre, il en sera immédiatement fini de notre relation. L'hypocrite étant un menteur, vous comprendrez alors que je me vis très mal dès que je dois feindre de m'intéresser à quelque chose dont je n'ai que faire.


« Si détrompé qu'on soit, il est impossible de vivre sans aucun espoir. On en garde toujours un, à son insu, et cet espoir inconscient compense tous les autres, explicites, qu'on a rejetés ou épuisés. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Je ne peux qu'abdiquer face à cette affirmation. Bien sûr qu'en moi j'ai le secret espoir de durer encore longtemps. J'ai cet espoir, je le sais, uniquement parce que j'ai autour de moi des êtres chers que j'ai envie de continuer à côtoyer. Si ces êtres n'étaient pas là ou, par je ne sais quelle malchance, ils venaient à disparaître du jour au lendemain, peut-être qu’inconsciemment un autre type d'espoir m'habiterait, mais plus celui de durer.

« La curiosité de mesurer ses progrès dans la déchéance, est la seule raison qu'on a d'avancer en âge. On se croyait arrivé à la limite, on pensait que l'horizon était à jamais bouché, on se lamentait, on se laissait aller au découragement. Et puis on s'aperçoit qu'on peut tomber plus bas encore, qu'il y a du nouveau, que tout espoir n'est pas perdu, qu'il est possible de s'enfoncer un peu plus et d'écarter ainsi le danger de se figer, de se scléroser... » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

A peu de chose près, je me reconnaît dans ces lignes à travers mon cancer. Certes, avant l'annonce de ce dernier, je n'avais certes pas la curiosité de mesurer mes progrès dans la déchéance puisque qu'à l'époque, j'avais surtout la curiosité de savoir si l'entreprise que je voulais créer me permettrait, financièrement, d'en vivre. Puis il y eut l'annonce du cancer et, dès ma première chimiothérapie, j'étais en mode automatique sur l'évolution de ma déchéance, voulant croire que les médecins arriveraient à enrayer ma maladie. Cet état d'esprit dura jusqu'à mon opération du poumon, ce charcutage de mon corps, où là je me crûs sauvé d'affaire. Mais virent les examens de contrôles un ou deux mois plus tard et, là, on découvrait une nouvelle métastase dans mon cerveau. D'un coup je suis tombé par-dessus les rempart de mon château en Espagne. C'est alors que j'ai commencé à penser, et pense encore, que l'horizon était à jamais bouché, que je ne pourrai pas aller bien loin dans le temps. Puis l'on a découvert plus tard une troisième puis une quatrième métastases. Depuis je ne peux que constater qu'il est vrai que l'on peut continuer à s'enfoncer inexorablement dans la maladie, mais néanmoins continuer à vivre, et bien plus longtemps que je ne le pensais naguère. Ainsi, depuis, c'est en toute conscience, comme je l'ai dit précédemment, que j'entretiens l'espoir de durer encore et encore. Dans quelles conditions ? Ce sera la surprise.

« Je ne connais personne de plus inutile et de plus inutilisable que moi. C'est là une donnée que je devrais accepter tout simplement, sans en tirer la moindre fierté. Tant qu'il n'en sera pas ainsi, la conscience de mon inutilité ne me servira à rien. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

De Cynthia

26 juillet 2015


Aujourd'hui, fin de semaine, dimanche, temps pluvieux, il est midi. Je pense que cet après-midi je ferai une sieste, juste pour le plaisir de me sentir m'endormir, même si je ne me sens pas particulièrement fatigué à cette heure. Il faut dire que j'ai dormi toute la matinée, ou presque, une nuit qui aura durée plus de douze heure.

Cynthia s'est remise à écrire, j'ai découvert cela ce matin, à mon réveil justement, en consultant mes mails. Elle a aussi un blog, mais elle n'avait plus publié depuis au moins un an, si ce n'est plus. Donc en ce moment elle n'a pas le moral. Ni moi ni elle ne savons où est la clef de l'énigme. Est-ce son affectation en Franche-Conté, le fait que nous allons habiter Belfort, ville qui ne l'inspire vraiment pas en l'état actuel des choses ? Tout ce que je sais, l'unique certitude que j'ai à cette heure, c'est qu'elle regrette de quitter la Bretagne, pas forcément Rennes, mais la région. De mon côté, je pense que sa baisse de moral est liée à son inactivité intellectuelle. Effectivement, pendant toute l'année scolaire son cerveau était accaparé par ses cours à la faculté et les cours qu'elle donnait à ses élèves. Du travail, ce n'est pas ce qui lui a manqué, et de fait, elle ne pouvait prendre en parallèle toute la mesure de mon état, de mes changements, ainsi que de tout ce qui concerne l'évolution du couple que forme ses parents. Donc, le spectacle de la maladie ou des malades n'étant pas forcément des plus réjouissant, des questions doivent lui traverser l'esprit, des questions concernant son avenir et, d'une manière plus générale, sur l'avenir. Comment vais-je évoluer, que ce soit physiquement ou psychologiquement ? Il en va de même de ses parents, surtout en ce qui concerne son père dont l'état, me semble-t-il, la préoccupe plus que l'état de sa mère qui, pourtant, est la malade, la personne en sursis. Mais je ne la blâme pas du tout, car je comprends parfaitement qu'elle s'identifie plus à son père qu'à sa mère, vu qu'elle tient la même place que lui à mes côtés. Donc tous les efforts qu'ils font, efforts que je ne soupçonne qu'à peine car ni l'un ni l'autre n'en parle, elle sait pertinemment de quoi il en retourne. Ayant moi-même fait des efforts dans le passé envers Cynthia, lors de nos deux ou trois premières années d'union, je sais bien que cela peut fatiguer, parfois lasser, voire même décourager. Donc elle s'inquiète beaucoup pour son père, surtout que lui aussi commence à avancer dans l'âge et n'a plus les mêmes ressources, la même énergie, qu'il y a encore deux ans. Oui, même si l'on ne peut voir la vieillesse prendre du terrain au jour le jour sur une personne, diminuant lentement mais sûrement les capacités, les facultés, de cette dernière, il suffit de ne pas l'avoir vu pendant un laps de temps assez long, ce qui a été le cas toute cette année entre Cynthia et ses parents, pour voir brutalement le changement, la diminution, la perte de force, l'endurance qui n'est plus la même, voire l'épuisement rapide et profond.

Cynthia ne voulant pas parler directement avec moi de ses états d'âme, non parce qu'elle veut me les cacher, ce qui n'est pas le cas du tout, mais qui pense que je ne suis pas la bonne oreille, le bon interlocuteur pour pouvoir l'aider à surmonter cette épreuve, je la laisse donc gérer à sa sauce la résolution de ses problèmes internes. Oui, je ne peux que comprendre son attitude, car je sais parfaitement qu'il est des situations, des états d'esprit que l'on voudrait modifier, un bien-être intérieur que l'on souhaiterait, aimerait retrouver, et que pour se faire, nos proches ne nous sont d'aucune utilité pour faire le point avec nous-mêmes, et parfois même, par leur trop grande attention ou par des réflexions qui nous heurtent, ils enveniment les choses, ils font gonfler le problème initial, rajoutant sur ce dernier des couches supplémentaires de problèmes dont, évidement, nous nous serions passés. Quoi qu'il en soit, concernant Cynthia, je ne m'en fais pas plus que ça, car d'ici deux semaines cela en sera fini de l'oisiveté dont elle n'a pas du tout l'habitude, elle sera à fond dans l'action entre le déménagement et l'emménagement, elle n'aura plus le temps de se poser des questions existentielles et, sitôt l'emménagement effectué, sa nouvelle année scolaire débutera, ce qui, là-aussi, l'occupera plus qu'assez. Oui, Cynthia n'a pas l'habitude de l'oisiveté volontaire, choisie, déterminée. Elle ne sait pas rester à ne rien faire, elle n'a pas encore appris à déconnecter parfois son cerveau, repoussant ainsi à plus tard pensées, réflexions ou actions.

samedi 25 juillet 2015

Cioran," De l'inconvénient d'être né" III

25 juillet 2015


« La lucidité n'extirpe pas le désir de vivre, tant s'en faut, elle rend seulement impropre à la vie. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

« L'idée qu'il eût mieux valu ne jamais exister est de celles qui rencontrent le plus d'opposition. Chacun, incapable de se regarder autrement que de l'intérieur, se croit nécessaire, voire indispensable, chacun se sent et se perçoit comme une réalité absolues, comme un tout, comme le tout. Dès l'instant qu'on s'identifie entièrement avec son propre être, on réagit comme Dieu, on est Dieu.
C'est seulement quand on vit à la fois à l'intérieur et en marge de soi-même, qu'on peut concevoir, en toute sérénité, qu'il eût été préférable que l'accident qu'on est ne se fût jamais produit. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Ce n'est pas tant la mort qui rend impropre à la vie, mais bel et bien les civilisations que nous avons créé, de la première à la plus récente, les valeurs que nous avons instaurés, souvent à travers le religieux, bien avant l'invention des religions monothéistes, à l'époque de l'âge de pierre, âge où furent créés les premiers villages, puis les premières cités, les premiers rituels religieux où l'on priait tout et n'importe quoi tant, à cette époque et bien après, on ne comprenait rien au fonctionnement de la nature, époque où la procréation était encore un grand mystère, mais l'homme, déjà soucieux de maîtriser son environnement, de le façonner afin qu'il soit adéquat pour lui et lui seul, soucieux également de donner un sens à l'existence, donc un sens à la mort, cet état de fait qu'il ne comprenait pas plus qu'on ne le comprend aujourd'hui, oui, car en la matière nous sommes toujours aussi ignorant ce qu'est l'état de mort. Comme nos lointains ancêtres, nous, nous ne pouvons que constater l'état de fin de vie, c'est tout. A ce propos Cioran écrit :

« La vie n'est rien ; la mort est tout. Cependant il n'existe pas quelque chose qui soit la mort, indépendamment de la vie. C'est justement cette absence de réalité distincte, autonome, qui rend la mort universelle ; elle n'a pas de domaine à elle, elle est omniprésente, comme tout ce qui manque d'identité, de limite, et de tenue : une infinitude indécente. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Oui, nous sommes incapable de saisir sa réalité distincte, c'est indéniable. En conséquence, que de fantasmes, que de visions, que de peurs et de préjugés avons-nous sur elle. Quoi qu'elle soit, je veux penser que la mort ne peut offrir pire sort que celui que nous sommes réservés entre nous les humains. Détruire, être médisant, la violence, l'agressivité, le mécontentement, l'aigreur, le rejet, tout cela parce que nous sommes naturellement des êtres égoïstes, comme tout ce qui relève du vivant d'ailleurs, pensant d'abord à nous conserver avant de penser à la conservation de tout ce qui nous est semblable, c'est à dire du monde vivant dans son ensemble, voilà les sentiments qui nous animent le plus souvent, voilà pourquoi nous créons des sociétés injustes, dont seuls les plus pourries tirent leur épingle du jeux, sachant pertinemment que notre peur naturel, engendrant le plus souvent la lâcheté de notre part, feront que nous nous soumettrons volontairement aux diverses formes de peurs qu'ils nous infligent. Le chantage à l'emploi fait partie de ces dernières et elle n'est pas la moindre de nos inventions glauques, méprisable.

« Chaque fois que je pense à l'essentiel, je crois l'entrevoir dans le silence ou l'explosion, dans la stupeur ou le cri. Jamais dans la parole. »  (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Oui, même si je disserte sur nos sociétés, sur notre espèce, sur le sens ou non de l'existence, je suis pourtant incapable, comme tout le monde d'ailleurs, d'exprimer l'essentiel, quelque soit le thème, le sujet donné. Si cela était possible, il n'y aurait plus besoin de cinquante millions de livres pour traiter de tous ces sujets. Un seul suffirait. Ne serai-ce que par rapport aux religions monothéistes qui se réclament toutes les trois du même Dieu, le fait qu'il y ait trois livre pour traiter de la question démontre qu'aucun n'y parvient. A quand un quatrième livre, une quatrième religion monothéiste ?


« Ce rien de lumière en chacun de nous et qui remonte bien avant notre naissance, bien avant toutes les naissances, c'est ce qu'il importe de sauvegarder, si nous voulons renouer avec cette clarté lointaine, dont nous ne saurons jamais pourquoi nous fûmes séparés. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

En cela, je veux croire que la mort me ramènera ce rien de lumière, et c'est parce que j'y crois que je l'attends avec une certaine forme de sérénité. Comme tous, je retrouvais mon état initial, et parce que je suis un matérialiste philosophiquement parlant, ce sera certainement sous la forme d'atome, d'électron, d'ions. Mais peut-être suis-je complètement à côté de la plaque, que tout ce que nous considérons comme non-vivant, tel l'atome justement, font justement et exclusivement partie du monde du vivant. Effectivement, puisqu'ils sont les briques premières de nos chairs, il se peut que la mort, l'état de mort, sa réalité distincte, se passe complètement d'eux, qu'ils n'aient pas de place pour eux dans cette autre forme d'existence. Je parle d'existence, car comme le vie et la pierre ont une existence, la mort a forcément la sienne. Simplement nous n'en connaissons ni le fond ni la forme.


« Dire : « Tout est illusoire », c'est sacrifier à l’illusion, c'est lui reconnaître un haut degré de réalité, le plus haut même, alors qu'au contraire on voulait la discréditer. Que faire ? Le mieux est de cesser de la proclamer ou de la dénoncer, de s'y asservir en y pensant. Est entrave même l'idée qui disqualifie toutes les idées. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

En cela, je m'épuise comme bien d'autre pour rien. Effectivement vouloir démontrer, montrer, faire entrevoir à quiconque que tout n'est qu'illusion, c'est également, peut-être, affirmer une autre illusion. Donc, nous ne pouvons sortir de ce cercle vicieux et, le plus sage sans doute, serait de se taire, de cesser d'essayer de convaincre sur cet état de fait, pour ne passer son temps qu'à contempler l'autre s'embourber les pieds dans ce qu'il tient pour vérité.

« Quand nous discernons l'irréalité en tout, nous devenons nous-mêmes irréels, nous commençons à nous survivre, si forte soit notre vitalité, si impérieux soient nos instincts. Mais ce ne sont plus que de faux instincts, et de la fausse vitalité. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

« La perception de la précarité hissé au rang de vision, d’expérience mystique. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

La perception de la précarité ne se peut que lorsque l'on a discerné l'irréalité en tout, autrement dit la futilité de tout, sans exception, et c'est seulement là, effectivement, dans cet état d'esprit, que nous vivons une expérience mystique,  expérience qui n'a rien à voir du religieux ou une quelconque forme de spiritualité. C'est l'expérience du « néant », d'un vide dont on éprouve le plein de ce vide. Dès lors, vis-à-vis de qui que ce soit, même de l'être le plus cher, nous ne faisons plus que faire semblant d'être quelqu'un, quelqu'un que nous savons pertinemment de pas être nous. C'est alors le moment propice pour aller vivre en ermite, seule situation, seul cadre où nous n'aurons plus à faire semblant. Le mourant, peut importe à quel stade est sa maladie, son âge avancé, est parfaitement conscient de la précarité de toute chose. Il est simplement dommage de devoir être dans cet état pour l'éprouver, la vivre quotidiennement en soi, car si dès notre plus jeune âge nous avions conscience de cet état de fait, sans doute l'homme serait plus raisonnable, plus sensé, plus juste. Même son ego ne lui serait plus d'aucune utilité.

« La souffrance ouvre les yeux, aide à voir des choses qu'on n'aurait pas perçues autrement. Elle n'est donc utile qu'à la connaissance, et, hors de là, ne sert qu'à envenimer l'existence. Ce qui, soit dit en passant, favorise encore la connaissance.
« Il a souffert, donc il a compris. » C'est tout ce qu'on peut dire d'une victime de la maladie, de l'injustice, ou de n'importe quelle variété d'infortune. La souffrance n'améliore personne (sauf ceux qui étaient déjà bons), elle est oubliée comme sont oubliées toutes choses, elle n'entre pas dans le « patrimoine de l'humanité », ni ne se conserve d'aucune manière, mais se perd comme tout se perd. Encore une fois, elle ne sert qu'à ouvrir les yeux. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Début de week-end

25 juillet 2015


Aujourd'hui je n'ai pas dormi douze heures d’affilée, même si ce n'est pas l'envie qui m'a manqué. Non, levé vers 7h30, une demi-heure après j'étais à la laverie automatique et j'ai passé toute ma matinée à laver et faire sécher le linge. Bref, un week-end qui commence bien, car pour quiconque lave son linge dans des laveries sait à quel point c'est passionnant d'attendre et de voir les machines tourner, tourner et encore tourner. Vers midi, tout était fini, car oui, nous avions accumulé tant de linges sales que Cynthia n'avait m^me plus de quoi se mettre. Donc aux grands maux les grands moyens.

Depuis midi donc, je suis dehors, histoire de me reposer, de récupérer, de détendre ma tête et, parallèlement, d'essayer de réveiller mon esprit qui, avouons-le, dort encore un peu, raison pour laquelle j'ai sorti mon ordinateur pour écrire un peu, espérant que cela stimulera mes neurones. Il est donc 14h30 et, depuis midi, je n'ai fait que regarder les gens passer. Au début j'ai été dans le quartier Saint-Anne et j'ai été surpris du monde qu'il y avait. Effectivement je cherchais la tranquillité, presque le silence, mais là, ça bougeait dans tous les sens. Ce n'est qu'une heure après qu'on était samedi, jour du marché au fleurs, aux fruits et légumes, place des Lices, à cent mètre de la place Sainte-Anne. Du coup j'ai quitté le quartier pour trouver une terrasse plus calme et suis à présent dans le quartier « République », attablé dans un café qui s'appelle « Le Clin ». J'ai découvert ce café il y a peu de temps, peut-être un mois ou deux. Puis, de fil en aiguille, j'ai commencé à sympathiser avec le patron du café et depuis, dès que je viens dans ce quartier, c'est dans son bar que je vais, délaissant tous ceux de la rue Vasselot, la rue piétonne où j'allais naguère. Le patron du bar, patron dont je ne connais même pas le prénom, est de Dinard. Il a grandi là-bas et c'est suite à nos conversation que notre escapade à Dinard s'est faite. C'est lui qui m'a parlé des bateaux-bus qui allait de Saint-malo à Dinard et m'a entretenu sur ce qui nous attendais dans cette ville. Du fait de mon état physique, de ma difficulté de marcher longtemps à cause de mes essoufflements réguliers et fréquents, nous n'avons pu, Cynthia et moi, visiter tout ce qu'il y avait à voir à Dinard. Aussi, la semaine prochaine, après notre excursion en bateau de toute la baie de Saint-Malo, promenade qui durera une heure trente en matinée, nous nous rendrons de nouveau à Dinard pour visiter ce que nous n'avons pas pu voir la dernière fois.

Comme à chaque fois que quitte la maison pour me rendre dans un café dans Rennes, je propose à Cynthia de m'accompagner ou de venir me rejoindre. Aujourd'hui, elle n'a pas envie de sortir. Aussi, ne sachant pas vraiment ce que j'aurai envie de faire une fois dehors, j'ai pris deux livres avec moi au cas où je serai en capacité de me concentrer pour la lecture. Le premier est un livre de poésie d'Yves Bonnefoy, livre que j'ai lu il y a sept ans et que je redécouvre, et le second est un livre de Cioran, toujours lui, qui s'intitule « Syllogismes de l'amertume ». Lui aussi, je vais le redécouvrir et, à l'avance, je m'en délecte. D'ailleurs, après cet écrit, je pense que c'est lui que je vais lire, la poésie attendra un peu.

Enfin, dans la semaine qui précédera notre départ pour Belfort, avec Cynthia nous avons prévu d'aller visiter le grand aquarium de Saint-Malo. Ce sera donc également une occasion supplémentaire d'aller sur la plage, de voir la mer, et, si le temps s'y prête, pour Cynthia de se baigner à nouveau.

Sinon j'ai appelé ma sœur tout à l'heure, tant pour lui donner des nouvelles que pour en prendre. De même, ma fille passera une dizaine de jours chez ma mère début août, car elle n'a qu'une envie, retrouver sa cousine, Lùa, la fille de ma sœur. J'ai donc demandé à ma sœur de voir avec Lùa si Jade pourrait passer quelques jours chez elle. A priori, cela devrait pouvoir se faire, à ma grande satisfaction, car j'aime savoir ma fille heureuse.

Là, je pense à Cioran. Donc je vais le lire un peu et, si j'en ai la force, écrirai un autre article autour de ses citations et aphorismes.

vendredi 24 juillet 2015

Cioran, De l'inconvénient d'être né II

24 juillet 2015


En ce moment, toute cette semaine d'ailleurs, je me sens le cœur léger, contrairement à je ne sais plus quelle semaine l'ayant précédé. Oui, d'être occupé avec Cynthia, avec les groupes dont je fais partie sur facebook, m'amène à ne plus penser à moi, mon nombril, et donc mon cancer, ma maladie, même si cela ne m’empêche pas pour autant de ressentir et de penser à mes handicaps. Chaque jours je sens mon corps, l'éprouve au sens premier du terme, il n'est plus une forme dans le paysage, un décors terrestre, je suis lui et seulement lui, ma pensée devenant de plus en plus accessoire, l'un de ses accessoires, mais en aucun cas l'intégralité de l'être que je me pensais être naguère.

« La conscience aigu d'avoir un corps, c'est cela l’absence de santé.
… Autant dire que je ne me suis jamais bien porté. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Comme je l'ai déjà écrit, je relis Cioran, le redécouvre, et, ce, dans la sérénité la plus totale, même si aux yeux du plus grand nombre, c'est un auteur sombre, voire désespérant. Pour moi, il est simplement réaliste et seuls les aveugles ou ceux qui se voilent la face savent que la réalité est rarement quelque chose de tendre, de doux, plus encore lorsque l'on est malade ou en état d'handicap physique, voire d'invalidité. Que dit-il d'ailleurs à propos de la maladie ?

« Qu'est-ce que l'injustice auprès de la maladie ? Il est vrai que l'on peut trouver injuste le fait d'être malade. C'est d'ailleurs ainsi que réagit chacun, sans se soucier de savoir s'il a raison ou tort.
La maladie est : rien de plus réel qu'elle. Si on la déclare injuste, il faut oser en faire autant de l'être lui-même, parler en somme de l'injustice d'exister. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Pour ma part, contrairement à d'autres cancéreux qui, à juste titre, peuvent se demander pourquoi la vie leur a réservé un tel sort, je ne vois pas d'injustice, plus aujourd'hui, à être devenu un malade. Mon cancer du poumon n'est pas arrivé par hasard, là est mon opinion. Si je n'avais pas fumé tant et tant d'années, plus de trente, je pense que jamais je n'aurai déclaré ce cancer. Je ne peux donc m'en prendre au destin et, de même, puisque je me suis remis à fumer depuis deux semaines, n'envisageant pas d’arrêter demain, j'accepte à l'avance qu'il se manifeste à nouveau dans mes poumons, poumons aujourd'hui sains depuis l'opération lors de laquelle on m'enleva la tumeur. Certes, entre temps, des cellules cancéreuses de cette tumeurs sont parties se promener dans mon cerveau, générant métastase sur métastase, des micros tumeurs cancéreuses, endommageant bel et bien le fonctionnement de mon intellect et de mes humeurs. Mais bon, où est l'injustice dans tout cela ? Je connaissais, comme tout le monde, fumeur ou non fumeur, les méfaits du tabac et ses éventuelles conséquences mortelles. Cependant j'ai fais le choix de fumer. Peut-être que déjà à l'époque où j'ai allumé ma première cigarette, j'avais alors treize ans, vivre ne m'intéressait déjà plus.


« Chez certains, la perspective d'une fin plus ou moins proche excite l'énergie, bonne ou mauvaise, et les plonge dans une rage d'activité. Assez candides pour vouloir se perpétuer par leur entreprise,ou par leur œuvre, ils s'acharnent à la terminer, à la conclure : plus un instant à perdre.
La même perspective invite d'autres à s'engouffrer dans l'à quoi bon, dans une clairvoyance stagnante, dans les irrécusables vérités du marasme. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Pour qui me connaît un peu, ils savent que je suis dans l'à quoi bon. Est-ce la position la plus sage, la plus sensée ? En tout cas c'est celle qui me demande le moins d'effort et, parce que j'étais déjà un fainéant et le suis plus encore depuis que j'ai réalisé la futilité, la brièveté, de la vie, j'entends bien poursuivre dans cette voie, celle du moindre effort. Aussi, lorsque j'observe celles et ceux qui sont dans ma situation être en « rage d'activité », je les contemple comme des objets étranges, des extra-terrestres, ne comprenant pas pourquoi ils tiennent à tout prix à la réalisation de quoi que ce soit, y compris dans le domaine des relations humaines, se démenant et faisant des efforts dans tous les sens, bien souvent des efforts qui les fatiguent encore plus, alors que, plus tôt que tard, la maladie les emportera. Oui, je suis plus partisan du repos, de la détente, tant du corps que de l'esprit, en attendant cet instant-là, cet instant qui nous mènera dans l'au-delà.

« Ce n'est que dans la mesure où, à chaque instant, on se frotte à la mort, qu'on a chance d'entrevoir sur quelle insanité se fonde toute existence. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Encore une fois, à partir de ce constat qui est également le mien, à quoi rime tout effort ? A cela, Cioran rajoute :

« Nos misères physiologiques nous aident à envisager l'avenir avec confiance : elles nous dispensent de trop nous tracasser, elles font de leur mieux pour qu'aucun de nos projets de longue haleine n'ait le temps d'user toutes nos disponibilités d'énergie. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Ne voyant mon avenir qu'à court-terme, voire très court-terme, oui, je le vois avec confiance puisque je ne fais plus aucun projet, n'ai plus aucun projet de longue haleine. Sincèrement, c'est une délivrance, c'est s'échapper du monde de l'homme, car ne m'importe plus ses règles et ses codes. Je n'ai plus de question à me poser, à m'inquiéter pour l'avenir de ma fille ou de qui que ce soit, car, à priori, bientôt je ne serai plus là pour participer de leur monde. De même, parce que j'ai la chance d'être en France, l'état ne laisse pas sans ressources financières les personnes dans mon cas. Certes, je ne touche pas des mil et des mil, mais n'ayant besoin de rien, matériellement parlant, cette allocation que je perçois est amplement suffisante pour satisfaire mes quelques plaisirs, c'est à dire m'asseoir à des terrasses de café, y prendre un verre, tout en contemplant le paysage.


« Après certaines expériences, on devrait changer de nom, puisque aussi bien on n'est plus le même. Tout prend un autre aspect, en commençant par la mort. Elle paraît proche et désirable, on se réconcilie avec elle, et on arrive à la tenir pour « la meilleure amie de l'homme », comme l'appelle Mozart dans une lettre à son père agonisant. »  (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Là encore, pour beaucoup qui sont dans mon cas, peut-être même l'immense majorité, la mort ne paraît pas désirable pour autant, même si tous et toutes la sentons proche. Donc je me démarque, une fois de plus, et me fais fort de la trouver encore plus désirable afin, tout simplement, d'en avoir moins peur. Oui, je ne me leurre pas, car si vraiment le fait de mourir de me faisait pas peur, il y a des lustres que j'aurai quitté notre monde. Une fois de plus, cela me fait penser à ceux qui se suicident. Dans mon regard, même si je ne sais s'il avait peur de commettre leur acte ou non, même si je ne sais s'ils avaient peur de mourir ou non, je ne peux que comprendre, admettre et approuver leur geste, dès lors qu'ils ne trouvaient plus aucun intérêt de supporter, d'endosser sur leurs épaules, tout ce que notre société réclame, ses règles, sa morale, ses valeurs.
Sinon, comme le dit si bien Cioran, après certaines expériences, et là il ne s'agit pas uniquement de maladie, il peut s'agir d'un viol, d'un meurtre, de la perte d'un être cher, oui, nous ne sommes plus du tout les mêmes. Pour ma part, comme je l'ai décrit à de nombreuses reprises dans mes articles, je ne peux que constater, prendre acte, que je ne suis plus celui que j'étais il y a deux ans encore. La maladie a terrassé l'identité que j'avais alors. Certes, il y a bien encore quelques restes, mais ils sont quantité négligeable et n'ont que très peu d'incidence sur celui que je suis devenu depuis.

« Une maladie n'est bien nôtre qu'à partir du moment où on nous en dit le nom, où on nous met la corde au cou... »  (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Semaine bien remplie...

24 juillet 2015


Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écrit pour moi, délaissant ainsi mon blog, mon journal intime, depuis quelques jours. Effectivement, plutôt que de ne me consacrer exclusivement qu'à ma personne, acte que j'avais pris l'habitude de faire toute cette année passée à Rennes, je profite que Cynthia soit en vacance pour me consacrer également à elle, à nous, à des activités communes qui excluent tout usage de l'ordinateur. A côté de ça, il faut aussi savoir que mon temps d'éveil journalier n'est pas bien long. Oui, effet secondaire de la radiothérapie, je dors beaucoup, parfois jusqu'à seize heures par jour. Une journée n'ayant que vingt-quatre heure, je ne peux donc mener de front les quelques activités que j'ai encore.

Aujourd'hui, j'ai fini de recopier toutes les citations de Cioran avec lesquelles je veux faire des articles. Cela m'aura pris deux bonnes semaines, mais je suis amplement satisfait du résultat. Cependant, ces citations sont nombreuses et je ne suis pas sûr de toutes m'en servir.

Là, je serai bien incapable de vous dire ce que j'ai fait chaque jour depuis la publication de mon dernier article, mémoire défaillante oblige, mais je peu vous dire qu'hier, Cynthia et moi, avons passé la journée à Dinard et à Saint-Malo. Évidement j'ai du mettre le réveil afin de ne pas dormir douze heure ou plus, mais la journée s'est très bien passé, je l'ai bien supporté, la fatigue ne se manifestant réellement qu'au moment de notre départ de Saint-Malo, vers 21h00. Nous y sommes arrivé le matin, vers 8h30, et de suite sommes allés au port afin de prendre un bateau-bus pour nous conduire à Dinard, situé de l'autre côté de la baie. C'était la première fois que Cynthia prenait un bateau en mer. Auparavant, la seule fois où elle monta dans un bateau, c'était à Paris, lors d'une mini-croisière en péniche, il y a de cela six ans. La traversée de la baie de Saint-Malo en bateau-bus lui a tellement plus, que nous avons décidé de faire la semaine prochaine une excursion plus longue en bateau, d'une durée d'une heure et demi, lors de laquelle nous ferons le tour intégral de la baie de Saint-Malo, passant à nouveau devant Dinard, puis allant bien plus loin en haute mer. Il  ne nous reste qu'à choisir le jour et acheter les billets.

A côté de ça, les rares moments où je n'étais pas avec Cynthia, j'étais sur facebook, à lire ou commenter dans les deux groupes dont je fais partie. Effectivement, rien de fastidieux là-dedans, et comme j'étais bien souvent fatigué, je n'ai dû intervenir qu'une fois ou deux. Non, hormis recopier les citations de Cioran qui, même si ce n'est que du recopiage, me fatiguait bel et bien, ne me permettant plus de me concentrer sur autre chose, comme écrire pour mon blog par exemple, j'ai néanmoins répondu à un mail de Virginie, plus précisément à une question impossible, car ayant constaté que, depuis sa maladie, son compagnon avec un rapport au corps de l'autre qui avait changé, elle me demandait ce qu'il en était pour moi. En résumé, je lui ai dit que je ne voyais plus les corps comme avant, qu'il s'agisse du mien ou de celui des autres, que c'est comme si je voyais déjà à l’œuvre la putréfaction à venir de ces derniers. Bref, tout corps que je voyais m'apparaissant éphémère, comme irréel quelque part, à 'image de la vie en somme, provisoire, sans véritable consistance, amené inévitablement à se modifier, à se transformer, jusqu'à vieillir ou devenir invalide, ils n'avaient plus de véritable considération de ma part. C'est ainsi que les contacts charnels, physiques, ne m'intéresse plus, ne m'attire plus, même si j'éprouve parfois le besoin irrépressible de toucher Cynthia, de lui manifester une marque de tendresse charnel, que ce soit via un baiser ou en touchant, délicatement, une partie de sa peau.

De même, hier matin, juste avant notre départ pour Dinard, je consultai rapidement ma messagerie sur facebook et y découvrais un message de Lila. Hier soir, étant épuisé après cette réelle journée de vacance en compagnie de Cynthia, je n'ai pas eu la force de lui répondre. Je le ferai donc tout à l'heure, après cet écrit. Oui, elle ne semble pas aller très bien en ce moment et, dans la mesure de ce que je peux, j'essayerai de lui répondre de la manière la plus adéquat par rapport à sa situation qui n'est pas des plus faciles.

dimanche 19 juillet 2015

Un bon dimanche

19 juillet 2015


Je constate que depuis deux jours je reviens à mes anciens amour, c'est-à dire la philosophie, la psychologie, le tout à travers ma relecture de Cioran, alors qu'il y a peu encore j'en avais assez de ces sujets. Je ne peux dissocier cet état de fait de ce qui se passe dans mon cerveau, même si j'ignore exactement ce qui se passe, comment cela se passe, et de la diminution parallèle de la cortisone quotidienne que je prends. Du coup, pour l'instant je délaisse un peu la poésie, mais je sais que ce n'est que provisoire. De même, si Cynthia n'avait déjà pas rangé tous mes livres dans les cartons, je crois que j'aurai pris un livre de Nietzsche, je ne sais lequel exactement. Lui aussi je l'ai lu il y a bien longtemps, alors que j'avais vingt-cinq ans peut-être, mais en le relisant aujourd'hui, avec un regard complètement différent que celui que j'avais alors, peut-être comprendrais-je mieux certaines de ses idées que je cernais alors avec du mal. Il se pourrait même que je ne sois plus du tout sur la même longueur d'onde que lui.

De même, et cela je sais que je le ferai comme je l'ai fait pour Cioran, je créerai une rubrique consacré à Paul Watzlawick, un psychologue dont j'ai lu toute l’œuvre également, qui traite beaucoup du fonctionnement et du rôle essentiel de la communication dans nos rapports les uns avec les autres. Avant lui, j'avais lu Freud, Jung, un peu Lacan et quelques autres, bref des tendances diverses du courant psychanalytique où, chacun à sa sauce, tentait d'expliquer notre fonctionnement. Aucun ne m'a jamais convaincu, hormis Paul Watzlawick. Il est un théoricien dans la théorie de la communication et le constructivisme radical, le constructivisme étant une philosophie qui postule  que notre approche de la connaissance repose sur l'idée que notre image a de la réalité, ou les notions structurant cette image, sont le produit de l'esprit humain en interaction avec cette réalité, et non le reflet exact de la réalité elle-même. En plus d'être un psychologue,  Paul Watzlawick était également psychothérapeute, psychanalyste et sociologue. Ses travaux ont essentiellement porté sur la thérapie familiale, l'interaction entre ses membres et les pathologies pouvant découler, ou être directement générés, par cet environnement. Déjà à l'époque, j'avais peut-être trente ans, je trouvais d'une évidence limpide ses concepts, ses théories, sa manière de concevoir l'être. Si dans le domaine philosophique, aucun philosophe ne s'est imposé à moi, il n'en va pas de même dans le domaine psychologique.

Quoi qu'il en soit j'ai passé une excellente journée et soirée, ne vais pas tarder à rentrer. Effectivement j'ai passé presque toute ma journée avec Cioran, à relire et recopier certains de ses aphorismes, son univers m'entraînant dans le mien, un univers très proche du sien à quelque nuance près. Cela m'a évidement refait penser à ma maladie, au cancer, et à tout ce qu'il signifie pour moi. Cependant, ces pensées étaient marquées par la sérénité, la détente, nul peur ou angoisse me traversant. Je regrette simplement de presque pas avoir vu Cynthia de la journée, car moi préférant être dehors et elle dans la maison, nous nous sommes juste croisé pour déjeuner rapidement ensemble. A sa décharge il faut dire que le temps n'était pas fameux aujourd'hui, que le ciel était presque constamment couvert et qu'il y eut pas mal de petites averses, ce qui ne lui a certainement pas donner l'envie de sortir.

Donc je suis content de constater que mes facultés intellectuelles se portent mieux qu'il y a  peu de temps encore. Je peux effectivement me concentrer un peu plus longtemps que d'ordinaire, réfléchir également un peu plus longtemps, comme si, petit-à-petit, les choses reprenaient leur cours. Espérons que cela va durer, que les semaines à venir ne m’amèneront pas d'effets secondaires contrariants autres que les problèmes visuels que j'ai actuellement.

Rupture II

19 juillet 2015


Debout depuis 8h00, dehors une heure après, à la terrasse d'un café près de la gare, je me suis occupé à recopier des citations, des aphorismes, des pensées de Cioran, toutes issues de son livre « De l'inconvénient d'être né », son ouvrage le plus connu, sans conteste, mais qui n'est cependant pas mon préféré. Puis, n'ayant plus de cigarillos, j'ai quitté ce café pour me rendre dans le quartier « république », là où se trouve un tabac ouvert le dimanche matin, puis me suis installé dans un café à proximité, là où je me trouve actuellement. J'ai hésité entre reprendre la copie des notes de Cioran ou écrire mes propres mots, car dans ma tête je constate que ce n'en est pas fini avec mon frère. Aussi, afin de passer une journée tranquille, sans tumultes dans mon esprit, j'ai pris le parti de continuer à vider mon sac sur ma relation avec mon frère, à faire le point de ce qu'il en est en moi à ce jour.

Immédiatement je me souviens de nos premières années, celles qui vont de nos naissances réciproques à mes trente ans. Jusqu'à ce qu'il soit âgé de seize ou dix-sept ans, je l'ai pour ainsi dire ignoré, il ne m'intéressais pas. C'était l'époque où j'étais un jeune majeur et, comme de tout temps, je trouvais les plus jeunes que moi inintéressant. Oui, dans mon esprit étriqué, ils ne pouvaient avoir l’expérience de la vie que j'avais, l'audace qui me conduisait régulièrement à braver l'interdit, à l'enfreindre, bref, tous et toutes n'étaient dans mon regard que des petits cons juvéniles. L'instauration d'une relation digne de ce nom avec mon frère, Chafik, démarra donc très tard, alors que lui-même s’apprêtait à devenir majeur. Effectivement, j'avais remarqué qu'il commençait à avoir du répondant, une certaine forme de rhétorique et une volonté de s'affirmer comme au-dessus du lot, ou au moins à égalité avec ses copains. J'appréciai ce côté de sa personne et, du coup, je commençais à aller vers lui, à connaître son monde, ses copains, ses loisirs. A cette époque nous habitions tous deux encore chez ma mère et, de fait, nous croisions tous les jours. Dans ma famille, hormis ma sœur et mon père, ce dernier ne vivant plus avec nous à cette époque, les joutes verbales étaient monnaies courantes entre ma mère et ses deux fils. Inutile de vous dire qu'il était rare que nous soyons sur la même longueur d'onde que notre mère et c'est en association que mon frère et moi essayions par tous les moyens rhétoriques de casser les raisonnements de notre mère. Voilà ce qui a été le socle de notre relation, notre opposition à notre mère, à sa forme de pensée, voire à certains de ses actes. Pour autant, en dehors de la maison, chacun avait sa propre vie, mon frère de son côté et moi de la mienne, et il n'était nullement question de se rendre des comptes sur ce que nous faisions ou non. Oui, ce qu'il faisait dans sa bulle me laissait complètement indifférent et, peut-être, inversement.

Puis quelques années plus tard, alors que j'avais aux alentours des vingt-trois ans, m'étant engagé dans une spirale désastreuse où le mal que je pouvais faire ou me faisais était chose courante, il devint mon confident. Oui, dès que quelque chose n'allait pas dans ma tête, dès qu'un questionnement me perturbais, bien souvent je le couchais par écrit et lui donnait à lire. Très rapidement je m’aperçus qu'il ne me donnait pas son avis et, dans un premier temps, j'avais envisagé de cessé de lui faire lire mes écrits, écrits qui étaient mon intimité la plus profonde, tant sur ce que je pensais de moi que du reste. Cependant, éprouvant le besoin impératif de me sentir reconnu et accepté pour ce que j'étais, mes travers y compris, je continuais à lui faire lire mes écrits. Cela dura jusqu'en 2007, date où j'ouvris mon premier blog, portant à la connaissance d'autres individus ce que j'avais gardé secret tant d'année. Depuis, jamais plus je ne fis de mon frère mon interlocuteur privilégié. Pendant une bonne décennie, entre mes vingt et trente ans, il fut effectivement le seul à connaître tous mes secrets avec mon meilleurs ami de l'époque, Laurent. Pour autant, c'est avec Laurent que je construisais des choses, vivais, le voyant presque quotidiennement, discutant, échangeant sur tout et sur rien, étalant mes états d'âme dans un état alors désastreux. Mon frère était en quelque sorte mon AFP, tandis que Laurent était le journal avec lequel j’œuvrai.

A côté de tout cela, il y avait tous les aspects de mon frère que je n'appréciais pas et il est clair que s'il n'avait pas été mon frère, mais juste un lambda comme un autre, jamais il ne serait entré ans le cercle de mes relations. Effectivement, très vite, je ne sais même pas s'il avait déjà vingt-deux ans, son choix fut d'écarter sa famille de sa vie. Sa décision était prise et les autres, pourvu que ces derniers lui apportent satisfaction, passerait en priorité dans sa vie. Il a ainsi fait tous les efforts que tout le monde effectue pour garder, préserver, entretenir certaines de ses relations, tous efforts qu'il n'était pas prêt à effectuer pour les membres de sa famille. Vous dire que je n'étais pas du tout sur la même longueur d'onde serait un euphémisme. De même, il est d'autres détails de sa personnalité, dont celui de vouloir jouer le rôle de moralisateur, de personne ayant une certaine forme de sagesse, qui me gonflais également passablement, lui qui est devenu si rapidement un alcoolique et dont les actes de sa vie étaient en totale contradiction avec ses dires. Là encore, ce type de personnalité n'est pas fait pour moi. Personnellement je n'apprécie que les gens dont les actes sont, dans la mesure du possible, le plus conforme avec leur pensée, leur vision des choses, et peu importe que je ne partage pas forcément leur point de vue. Ainsi, c'est bien souvent que j'écoutais mon frère jouer au sage, me taisant souvent pour éviter de casser ses raisonnements, afin de ne pas lui faire de mal. Il se peut que de son côté il ait fait de même. Quoi qu'il en soit, et cela ne date pas d'hier soir, notre vision de l'existence est on ne peut pus différente, ainsi que notre conception de l'homme. Enfin, mon frère est bien plus apte à remettre en cause l'autre, chose qui est la plus aisée à faire au monde, que lui-même. En cela, là encore, c'est un état d'esprit qui nous distingue, car même si je remet parfois l'autre en cause, en parallèle je ne peux m'empêcher de m'interroger sur le bien-fondé de cette remise en cause, me remettant en question par là-même.

Mais depuis près de vingt ans maintenant, nos rapports ont bien changé, notre relation n'a plus du tout suivi la trajectoire initiale. Elle est devenu ce que je décrivais dans mon article précédent, « Rupture », où si je ne me manifeste pas à lui, alors je n'aurai strictement aucune nouvelle de lui puisqu'il ne s'intéresse pas plus de deux secondes au sort des membres de sa famille. Pendant vingt ans, uniquement en souvenir de nos jeunes années passées ensemble, j'avais fait le choix d'occulter tous ces aspects déplorables de son caractère, de son état d'esprit. A présent je crois que j'ai assez donné et qu'il est temps que je l'envoi se faire foutre, le laissant dans sa bulle pour ne me consacrer qu'à la mienne où il n'y aura plus de porte d'entrée pour sa personne. L'exception a assez duré et, même si ce n'est pas d'hier que cela date, il ne mérite vraiment plus la peine de ce privilège.

En moi, depuis cet incident sur facebook, je sens ma contrariété d'alors se dissiper de plus en plus, ma tranquillité intérieure revenir petit-à-petit, y compris en pensant à lui, ce qui est un très bon signe, celui qu'il me sera simple de l'oublier, facile de tirer une croix définitive sur lui. Non, cette modification, sa mort que je programme en moi, ne sera pas l'histoire de décennie ou d'années, même pas de mois. Je découvre ainsi qu'il était bien moins implanté dans mon cœur ou mon esprit que je ne le pensais, que ces vingt dernières années, sans que je m'en aperçoive, ont fait leur travail d'usure à force d’absence de sa personne ou de comportements que j'ai trouvé choquant. Cependant, pour qui me connait, je ne suis pas un saint non plus, loin de là, et il serait bien trop simple, bien trop facile et lâche d'affirmer qu'il est le seul responsable de cette situation. Non, je pense que les choses sont beaucoup plus simple. J'ai toujours fui, éviter les personnes qui ressemblaient à mon frère, trouvant la plupart d'entre elles sans véritables consistances. Certes, comme lui, elles sont des êtres très sociables, d'accès relativement facile, mais sociable ne veut pas dire fréquentables pour autant ou  intéressantes. De même, parmi les personnes vivant dans son type de bulle, pas l'une d'entre elles ne m'a jamais aidé à m'élever dans ma vie, à sortir de quelques enfers intérieur qui furent mon lot quotidien à l'époque de mes vingt ans, pas plus que je n'en ai trouvé de profondes dans leurs raisonnements, dans leurs réflexions. Je vois, peut-être à tort, le monde de mon frère comme un monde superficielle, où les quelques combats qui y sont menés sont d'arrière-garde, d'un autre âge, tout au moins dans la forme. C'est un monde de rêveur où le plaisir, se faire plaisir, mais uniquement avec ce qui leur fait plaisir, méprisant les autres formes de plaisirs, prime sur tout le reste et, bien évidement, ils n'hésitent pas à écarter, critiquer, quiconque serait un frein à leur logique.

Mais me direz-vous, n'est-ce pas ainsi que cela se passe dans chaque bulle ? Évidemment que oui et ma bulle n'échappe pas à la règle, preuve en est ma critique de celle de mon frère, sous-entendant ainsi que la mienne serait, sinon meilleurs, tout au moins plus intéressante que la sienne. Mais comme vous le savez, il en faut pour tous les goûts et, tant qu'une bulle et ses membres ne porte pas atteinte aux autres bulles, toutes se valent quelque part. Pour leurs membres, elles ne sont là que pour un temps, le temps de leur existence, et pour traverser la vie y a-t-il un meilleur chemin qu'un autre, une meilleure route ? Je crois que l'important est que chacun y trouve son compte, mais pour autant si bien des bulles peuvent exister côte à côte pacifiquement, cela ne signifie pas qu'elles peuvent habiter ensemble. Moi, je ne peux plus habiter avec mon frère. Je me rappelle même l'avoir hébergé un temps, il y a une dizaine d'année, mais je l'ai viré un ou deux mois plus tard, car il n'était même pas capable d'avoir la bienséance de respecter quelques règles de base que je lui avais fixé. Ainsi, même dans les faits, vivre avec lui ne m'était pas possible. N'ayant jamais eu besoin de lui dans les pires moments de mon histoire, il ne me manquera donc vraiment pas, même si lors de ces fameuses périodes douloureuses, je ne peux que reconnaître, admettre, proclamer, que sa simple présence me fût tout de même salutaire sur le moment.

samedi 18 juillet 2015

Rupture

18 juillet 2015


Il est 8h00, hier soir je me suis couché tôt, très tôt par rapport à d'habitude, car je ne voulais pas penser ni réfléchir. Donc, sous les coups de 22h00 j'étais déjà au lit pour ne me réveiller que ce matin vers les 7h00. Cependant, immédiatement mon cerveau s'est remis en branle, pensant déjà à ma contrariété de la veille et comme il est clair qu'il est hors de question que cette dernière me gâche toute ma journée, alors je la sort, par écrit, mode bien plus efficace pour régler mes litiges internes que toute discussion. Cela concerne mon frère, ce salaud aurais-je envie de dire, mais ce n'en est pas un. C'est juste un petit prétentieux, alcoolique, sûr de la valeur de sa personne, égocentrique, qui pense que parce qu'il possède un savoir certain et une bonne rhétorique, que cela lui permet de vous traitez comme bon lui semble. S'il a besoin de vous, peut importe la raison, que ce soit pour des questions d'ordre matériel ou pour aller se bourrer la gueule, il se manifestera à vous. Si par contre vous ne lui êtes d'aucune utilité dans son quotidien, soyez-vous sa mère, son frère, sa sœur ou son meilleur ami d'un temps, vous n'aurez strictement aucune nouvelle de sa part. A priori, ne faisant pas du tout partie de son monde et, ce, depuis presque toujours, n'ayant jamais eu d'affinité réelle avec ses amis, qu'il s'agisse des femmes ou des hommes, n'étant allé me promener dans son petit univers qu'à de rares occasions, comme l'on fait un voyage exotique, histoire de voir autre chose pour un période bien délimité, nous n'avons en commun que notre goût pour l'écriture et faire de la musique, créer via ces activités, même si pour ma part j'ai cessé peu à peu toute activité créative depuis l'apparition de mon cancer. Mon frère est plus jeune que moi, trois années nous séparent, mais dans l'esprit, la pensée, la manière de voir les choses et d'agir en conséquence, ce sont bien des années-lumière qui nous sépare. Ainsi, mon frère ayant fait le choix volontaire de mettre sa famille complètement de côté pour ce qui est de son quotidien, hormis lorsqu'il était dans le besoin, comme lorsqu'il n'avait plus de toit par exemple, devant retourner vivre, ne serait-ce qu'un temps, chez notre mère, acceptant également et prenant sans scrupule l'argent que nous pouvions lui donner, quel retour avions-nous par la suite, une fois qu'il s'était trouvé un logement indépendant ? Et bien plus de nouvelle, à nouveau et, ce, presque du jour au lendemain. Les rares choses que je connais de sa vie depuis des décennies, je ne les sais que parce que je suis allé vers lui, en lui proposant des sorties dans son petit monde fermé lorsque nous habitions tous deux Paris, ou en lui téléphonant régulièrement lorsque nous étions dans des villes distinctes, tel que c'est le cas depuis sept ans à présent. Ainsi, depuis ces dernières années, pas une seule fois il ne m'a contacté et, depuis l'apparition de mon cancer, il y a bientôt deux ans, cela n'a pas changé. A tort, au début, j'ai pensé qu'il prendrai un peu plus souvent de mes nouvelles et, ce, directement. Très vite j'ai compris qu'il fallait que je brise cette attente, que jamais cela ne se ferait. A sa décharge, lorsque j'ai appris mon cancer et que je lui ai demandé de venir me voir, il a de suite accepté, quittant Toulouse pour Lyon. Comme il n'avait pas d'argent, je lui ai donc payé son billet de train, mais déjà à l'époque je me posais la question de savoir s'il aurait tout mis en œuvre pour venir me trouver, c'est à dire trouver les fonds pour financer ce voyage, si je n'avais pu le faire. Ma certitude est qu'il ne l'aurait pas fait, alors qu'il est parfaitement capable de le faire pour aller voir telle ou telle copine au bout de la France ou pour financer ses beuveries quotidienne. Enfin, à chaque fois que j'ai ma mère au téléphone, je l'entends qui se lamente sur le silence de mon frère. Elle, elle n'a pas encore pris le pli qu'elle ne comptait pas pour grand chose dans la vie de son fils. Peut-être y a-t-il une place pour nous dans l'un des recoins de son cœur, mais cela ne va guère plus loin puisqu'aucun acte en conséquence, silence radio sur tout la ligne.

De mon côté, pendant toute cette année passé à Rennes, je l'appelai une fois par mois pour le tenir au courant de ma situation. Je ne vous cacherai pas que je trouvai ça bien lamentable que ce soit à moi de le faire, que cela ne vienne pas spontanément de lui. D'ailleurs, plus d'une fois je me suis demandé si je n'allai pas cessé de l’appeler comme le ferai un vulgaire mendiant en chasse de charité, voire de compassion. Notre autre moyen de communication était facebook. Pour ma part, je ne publie pas souvent, tant facebook m’apparaît surfait, un lieu où l'hypocrisie ne peut que régner en maître tant chacun veut paraître politiquement correcte aux yeux des autres. Par contre, mon frère, lui, publie beaucoup. Chaque jours, ou presque, il publie au moins quatre à cinq articles et il y en a pour tout les goûts. Parfois ce sont des articles engagés entre deux articles de plaisanterie. Ainsi, régulièrement je laissais des commentaires sur ses posts, c'était un moyen de rester en contact. Puis il y eu hier où un commentaire que je lui laissai ne le satisfit pas. J'appris à cette même occasion que ce n'était pas la première fois que cela se produisait, que chaque semaine je laissais des commentaires ouvrant grand la porte à la polémique, ce qui lui déplaisait fortement. Cette remarque, venant de lui, lui qui est le premier à créer des polémique juste pour le plaisir de jouer avec les mots, voire les idées, m'ait apparu singulièrement gonflé. A partir de là, je n'eus pas besoin de réfléchir longtemps, ce fût la goutte d'eau qui fit déborder mon vase, l'évidence était là. Ma maladie étant ce qu'elle est, mon incertitude quant à ma durée de vie étant également ce qu'elle est et à comment je veux mener ce laps de temps, font qu'il est devenu hors de question que je sente, que j'éprouve de la frustration en moi, de la contrariété, car il est des sentiments bien plus agréables à éprouver, telle que la tranquillité, une certaine forme de sérénité, l'attachement réciproque envers certaines personnes et, ce, dans les faits, non pas uniquement planqué au fond d'une cave jamais ouverte. Déjà, avant même l'apparition de mon cancer, je faisais un tri très sélectif des personnes que je côtoyais, préférant amplement rester seul qu'être en compagnie de quelqu'un qui m'indisposerait trop souvent. Mais depuis que j'ai mon cancer, que mon cerveau est atteint, car je pense que cela doit jouer fortement sur mes humeurs et, en conséquence, ce que je suis capable de supporter ou non, mon tri est devenu encore plus radical. Dit autrement, toute personne qui tente de m'empêcher de faire ce dont j'ai envie, je suis prêt à la rayer d'un trait de ma vie et, ce, le jour même. Avec mon frère, même s'il ne le sait pas, mon contentieux avec lui ne date pas d'hier à cause de toutes les raisons que j'ai cité plus haut. Donc j'ai décidé de le rayer de ma vie, vie à laquelle il n'a jamais participé dans les faits. De plus, ce n'est certainement pas son univers qui me manquera, univers auquel je n'ai, moi non plus, jamais participé. Ainsi, en prenant cette décision, je ne prendrai plus le risque d'être déçu, contrarié ou frustré par quelqu'un qui, à mes yeux, parce que nous ne partageons pas du tout les mêmes valeurs dans le domaine familiale, n'en vaut pas la peine.

Hier soir, j'étais tendu, ne sachant si je prenais ou non la bonne décision. Ce matin, maintenant que j'ai étalé une partie du fond de ma pensée, je me sens déjà nettement plus serein et, même si ce n'est pas la plus agréable des décisions à prendre, c'est pour moi la plus sage, la plus conforme à ce que je suis devenu car je ne veux plus me faire emmerder par qui que ce soit, encore moins par mes proches, car ce sont eux, toujours, qui font le plus mal lorsque, justement, ils déçoivent nos attentes, nos souhaits ou nos espoirs. Quoi qu'il en soit, dans les faits, ma rupture avec mon frère ne changera pas grand chose. Je vais simplement agir comme il le fait, c'est à dire le laisser sans nouvelle et le reste se fera tout seul, c'est à dire que nous ne nous verrons plus du tout, mais n'est-ce pas ce qui était déjà le cas, là encore, depuis bien des années.

Une personne en moins dans sa vie, qui que ce soit, le temps du deuil passé, car toute disparition se digère tôt ou tard, c'est également un poids en moins à porter sur ses épaules ou dans son cœur. Oui, les joies et peines de cette dernière n'auront plus d'influence directe sur les nôtres, les problèmes qu'elle pouvait nous occasionner, quelque soit la nature des obstacles, n'existent plus, et peu importe que la personne en question soit vivante ou morte, la seule difficulté étant de faire le deuil. La précarité de la vie étant ce qu'elle est dans mon regard, la futilité de tout ce que nous y vivons étant manifeste dans ma pensée, oui, il serait bien trop sot que je m'attarde encore sur le désagréable, peut importe ce qui le crée, être ou événement, et j'ai pris mon parti d'ignorer, de mettre de côté, de jeter à la poubelle tout ce qui s'y rapporte. Égoïsme poussé à son extrême ? Non seulement je ne m'en cache pas, mais je l'assume. Pour autant, égoïste ne veut pas dire égocentrique, ce que je ne suis pas vraiment. Oui, j'accepte d'ouvrir la porte de mon monde, j'accepte et sais que ce dernier n'est pas le nombril du monde, que ce que je crois ou pense n'est pas vérité et que je peux vivre en bonne entente avec toute personne étant sur cette même longueur d'onde. Néanmoins, même si elles sont plus le fruit d'un conditionnement dont je n'ai pas jugé utile de me défaire auparavant, avant mon cancer, il y a des valeurs auxquelles je tiens encore, qui ont une signification pour moi, comme la notion de famille et, même si je peux intellectuellement le comprendre, j'ai bien du mal à accepter qu'au sein d'une famille certains membres ignorent complètement les autres membres, à plus forte raison lorsque ces dits-membres étaient épauler lorsqu'ils en avaient besoin. Mais bon, contrairement à hier, mon souci n'est plus de refaire le monde ni les êtres. De même, il ne m'intéresse plus du tout d'argumenter comme je le faisais jadis pour convaincre qui que ce soit du bien-fondé de mon point de vue. Oui, avec mon cancer comme seule perspective intangible, immuable, et donc ma mort dans son dessein, j'estime ne plus avoir d'explication à donner, à fournir, sur ce que je crois ou non, fais ou pas. Lorsque je le fais, c'est uniquement dans le but de garder une relation, espérant que l'autre me comprenant il pourra plus facilement accepter l'être que je suis devenu, l'être que je deviens.